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Sur l’avis du docteur, on avait permis à Mme de Mauban de voir le roi et de lui donner les soins que réclamait son état, de ces soins dont une femme seule est capable.

La vie royale ne tenait qu’à un fil, et moi j’étais toujours là, en train, bien portant, libre!

Toutefois, il régnait à Zenda un grand découragement et, sauf lorsqu’ils se querellaient, ce à quoi ils étaient fort enclins, ils se parlaient à peine. Mais, au plus profond de cette déprimante inaction, Rupert menait sa besogne satanique, le sourire aux yeux et la chanson aux lèvres, et riait aux grands éclats, disait Jean, parce que le duc envoyait toujours Detchard veiller sur le roi quand Mme de Mauban descendait à la cellule – précaution qui, en effet, ne manquait pas de sagesse de la part de mon cher frère.

Jean, son récit terminé, empocha sa récompense et nous supplia de lui permettre de rester à Tarlenheim: il redoutait d’aller se remettre dans la gueule du lion. Mais j’avais besoin de lui à Zenda et, sans qu’il fût nécessaire de recourir à la force, je réussis, en rendant mes arguments plus irrésistibles encore, à le décider à retourner au château et à se charger de dire à Mme de Mauban que je travaillais pour elle et que je la priais, si c’était possible, de rassurer le roi et de lui redonner courage.

Car, si l’incertitude est mauvaise pour les malades, le désespoir est pire encore – et il se pouvait fort bien que le roi fût mourant de désespoir – je n’avais pu, en effet, rien apprendre de précis sur la maladie qui le minait.

«De quoi se compose la garde du roi, maintenant? demandai-je, me souvenant que deux des Six étaient morts, ainsi que Max Holf.

– Detchard et Bersonin sont de garde la nuit, Rupert Hentzau et de Gautel le jour, Sire, répondit Jean.

– Ils ne sont que deux?

– Oui, Sire, deux auprès du roi, mais les autres ne sont jamais loin. Ils couchent dans une chambre au-dessus et accourraient au premier appel, au moindre coup de sifflet.

– Une chambre au-dessus? Je ne savais pas cela. Existe-t-il une communication entre cette chambre et la salle de garde?

– Non, Sire. Il faut descendre une douzaine de marches et sortir par la porte qui ouvre contre le pont-levis pour entrer dans la pièce qui précède le cachot du roi.

– Et cette porte est fermée à clef?

– Les quatre seigneurs ont chacun une clef, Sire.» Je me rapprochai de mon interlocuteur.

«Ont-ils aussi la clef de la fenêtre grillée? demandai-je en baissant la voix.

– Je crois, Sire, qu’il n’y en a que deux; une pour Detchard, une pour Rupert.

– Où loge le duc?

– Dans le château, au premier étage. Ses appartements sont à droite, quand on se dirige vers le pont-levis.

– Et Mme de Mauban?

– Son appartement fait pendant à celui du duc, à gauche. Mais on ferme sa porte le soir, dès qu’elle est rentrée.

– Pour l’empêcher de sortir?

– Probablement, Sire.

– Le soir, on lève le pont-levis, on en remet aussi les clefs au duc, de sorte que personne ne peut pénétrer sans avoir recours à lui.

– Et où couchez-vous, vous?

– Dans le vestibule du château avec cinq domestiques.

– Armés?

– Armés de lances, Sire, mais nous n’avons pas d’armes à feu. Le duc ne se fierait pas à eux s’ils étaient munis d’armes à feu.»

Je me décidai à agir et à agir en personne. J’avais échoué une première fois par l’échelle de Jacob; à quoi bon recommencer? Il valait mieux tenter d’attaquer sur un autre point.

«Je t’ai promis vingt mille couronnes, repris-je. Tu en auras cinquante mille, si tu fais ce que je vais te dire, demain, dans la nuit. Mais, d’abord, ces domestiques dont tu parles, savent-ils qui est le prisonnier?

– Non, Sire. Ils pensent que c’est quelque ennemi particulier du duc.

– Tu crois qu’ils n’ont aucun soupçon? Ils sont persuadés que je suis bien le roi?

– Pourquoi auraient-ils des soupçons?

– Écoute bien, alors. Demain, à deux heures du matin, exactement, ouvre la porte principale, la porte de la façade du château. Sois absolument exact.

– Serez-vous là, Sire?

– Pas de questions. Fais ce que l’on te dit. Trouve une excuse: il fait trop chaud, on manque d’air; je ne te demande pas autre chose.

– Pourrai-je me sauver par cette porte, Sire, aussitôt que je l’aurai ouverte?

– Parfaitement, et aussi vite que tes jambes te porteront. Encore une chose: remets ce mot à Mme de Mauban, oh! il est écrit en français, tu ne peux pas le lire, et adjure-la de se conformer aux ordres qu’il contient: nos vies à tous en dépendent.»

L’homme tremblait de tous ses membres. Que voulez-vous? C’était un peu risqué de me confier à lui; mais je n’avais pas le choix, je n’osais tarder davantage, j’avais peur que le roi mourût.

Lorsque mon homme fut parti, je fis venir Sapt et Fritz, et leur exposai le plan que j’avais conçu.

Sapt secoua la tête.

«Pourquoi ne pas attendre? demanda-t-il.

– Et si le roi meurt?

– Michel sera bien forcé d’agir.

– Et si le roi se remet, s’il vit?…

– Eh bien!

– S’il vit plus de quinze jours?» fis-je simplement. Et Sapt se mordit la moustache. Soudain, Fritz von Tarlenheim me mit la main sur l’épaule. «Allons, dit-il, tentons l’aventure.

– Soyez tranquille: je n’ai pas l’intention de vous laisser en arrière.

– Oui, mais vous, vous resterez ici pour prendre soin de la princesse!»

Un éclair joyeux passa dans les yeux du vieux Sapt.

«Comme cela, Michel serait sûr de son affaire dans tous les cas, fit-il en riant, tandis que si vous venez, et si vous êtes tué et le roi aussi, qu’est-ce que deviendront ceux de nous qui auront survécu?

– Ils serviront la reine Flavie, dis-je. Je bénirais le ciel si je pouvais être l’un d’eux!

«Jusqu’ici, continuai-je, j’ai joué le rôle d’imposteur, au profit d’un autre, il est vrai, ce qui est une atténuation; mais je ne veux pas le jouer pour mon compte personnel. Si le roi n’est pas délivré vivant et réinstallé sur son trône avant le jour fixé pour les fiançailles, je dirai la vérité: advienne que pourra.

– Faites ce que vous voudrez, mon enfant, dit Sapt. Allez.» Voici quel était mon plan: une troupe de gens solides, sous la conduite de Sapt, devait arriver devant la porte du château sans avoir été aperçue. Il le fallait à tout prix, et ordre avait été donné de se débarrasser de tout indiscret, de tout curieux, de s’en débarrasser avec le sabre; les armes à feu étaient absolument proscrites comme bruyantes et dangereuses.

Si tout marchait à souhait, la petite troupe se trouverait devant la porte, au moment même où Jean l’ouvrirait. La porte ouverte, mes amis s’élançaient et s’emparaient des domestiques s’ils opposaient quelque résistance, ce qui n’était point vraisemblable. À cet instant précis, tout mon plan reposait sur cette concordance: un cri de femme devait retentir, un cri perçant, déchirant, poussé par Antoinette de Mauban. À plusieurs reprises elle appellerait: «Au secours! Au secours! Michel! Rupert Hentzau!… Au secours!»