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Le jeune Monsieur se mit à rire :

— Ma sœur, que vous semble cette porte ? demanda-t-il à la jeune fille devenue toute rouge mais qui rit elle aussi.

— La porte me semble fort belle et fort bonne, dit-elle.

Ce fut tout pour ce jour-là. On échangea des politesses glacées et l’on se sépara, le roi d’Espagne emmenant sa fille avec lui.

— Je me demande s’il se résoudra un jour à nous la donner ! grogna Mademoiselle.

— Après-demain, répondit Mme de Motteville qui avait pris connaissance des détails du cérémonial.

— Tout cela est d’un ridicule ! Mon cousin Beaufort a eu tout à fait raison de ne pas venir assister au mariage. Il déteste déjà les Espagnols en suffisance : il se serait livré à quelque éclat.

— Ce qui eût été une stupidité de plus à porter à son crédit, grinça Mazarin qui avait entendu. J’ai d’ailleurs veillé à ce qu’il ne soit pas invité.

— Et le Roi vous a écouté ?

— Sans difficulté. Votre Altesse devrait savoir qu’il ne déborde pas d’amour pour ce turbulent personnage.

Tandis que Mademoiselle ripostait avec la verdeur de langage qu’on lui connaissait, Sylvie s’écarta, partagée entre l’indignation d’entendre ce Mazarin parler du cousin du Roi avec cet insolent mépris et le soulagement de savoir qu’elle ne risquait pas de le rencontrer au détour d’une rue de Saint-Jean-de-Luz. Elle éprouvait le besoin d’un peu de temps encore avant de trouver le courage de poser les yeux sur celui qu’elle avait juré de ne plus revoir. Il était suffisamment inquiétant d’avoir senti son cœur battre plus vite quand son nom était venu aux lèvres de la princesse…

Elle y songea jusqu’à son retour à la maison de l’armateur où elle trouva largement de quoi changer le cours de ses pensées. Après avoir laissé Mademoiselle à son domicile et être entrée à l’église pour une prière, elle revenait à pied dans la joyeuse agitation de la rue quand elle fut abordée par un homme qu’elle ne reconnut pas tout de suite parce qu’il était en costume civil.

— Par grâce, madame la duchesse, veuillez me pardonner d’oser vous arrêter avec cette hardiesse, mais il n’y a que vous qui puissiez me rendre la vie.

Avec un sourire amusé, elle considéra les six pieds de gêne rougissante qui lui faisaient face :

— Vous ne ressemblez guère à un mourant, monsieur de Saint-Mars. Je vous trouve même fort bonne mine !

— Ne raillez pas, par pitié ! Je suis assez malheureux comme cela !

— Et vous risquez de l’être davantage si l’on vous voit arpenter la ville. N’êtes-vous pas aux arrêts de rigueur, ou bien vous a-t-on libéré ?

— Non, et je sais que je cours de grands risques, mais il fallait à tout prix que je vienne jusqu’ici pour essayer de trouver quelqu’un qui me prenne en compassion. Je voudrais… je voudrais faire tenir un billet à la jeune fille qui habite votre maison…

— C’est plutôt moi qui habite la sienne, ou en réalité celle de son père, et je rendrais sans doute à celui-ci un très mauvais service si j’acceptais d’être votre messagère. Que ne vous adressez-vous à un valet ? Il est bien rare qu’avec de l’or on n’obtienne pas quelque complaisance.

Les yeux gris du mousquetaire reflétèrent soudain une vraie douleur :

— Je suis pauvre, madame, et ne possède que ma solde. S’il en était autrement je n’aurais pas besoin d’aide : je serais entré hardiment dans la maison de Manech Etcheverry en lui demandant la main de sa fille mais, dans l’état actuel des choses, il me jetterait dehors dès le premier mot. Or, j’aime Maïtena à en perdre la raison… et je crois que je ne lui déplais pas.

— Je veux bien vous croire, mon ami, dit Sylvie d’un ton radouci, mais en ce cas je dois vous demander ce que vous espérez d’elle, puisqu’il vous est impossible de la rechercher en mariage.

— Rien de contraire à l’honneur ! Dans ce billet, ajouta-t-il en tirant un papier étroitement plié du revers de son gant, je lui dis tout mon amour, je la supplie de ne pas se laisser engager à un autre et d’attendre que j’aie fait fortune. Car, j’en suis certain, un jour viendra où je serai très riche…

— Cela peut demander du temps. Êtes-vous sûr qu’elle saurait attendre ?

— Cela peut aller très vite car j’ai des projets. Au service d’un roi jeune et ardent il suffit d’un coup de chance ! Oh, madame, je vous en prie, acceptez de lui remettre ce billet et je vous bénirai ma vie entière !

Il semblait si malheureux, si sincère aussi, que Sylvie baissa un peu sa garde. Pourtant, elle objecta encore :

— Est-ce tellement urgent ? Ne pouvez-vous attendre de la rencontrer… une autre occasion ?

— Je n’en aurai jamais de meilleure. En outre, il y a urgence parce que son père a des projets de mariage pour elle. Et il faut que je regagne mes arrêts. Ils durent jusqu’à après-demain lorsque la Reine arrivera…

— Soit ! Donnez-moi cela. Je m’arrangerai pour qu’elle l’ait sans me compromettre. Il suffira de glisser le billet sous la porte de sa chambre lorsque je serai certaine qu’elle y sera.

— Oh, madame la duchesse ! Que de gratitude !…

— Ce n’est rien. Mais n’y revenez pas !

En rentrant, Sylvie trouva Perceval qui l’attendait en compagnie du maréchal de Gramont… et en buvant du chocolat. Le vieux soldat-diplomate – il n’avait pourtant que cinquante-six ans mais en portait davantage ! – tenait beaucoup à offrir ses hommages à la veuve de l’un des plus brillants parmi ses pairs et surtout à la belle-fille d’un vieil ami : il avait beaucoup combattu avec le maréchal-duc de Fontsomme qui avait guidé ses premiers pas aux armées.

— Quand votre fils sera en âge de porter les armes, j’aimerais qu’il me soit confié, madame, et qu’en attendant vous m’accordiez la grâce de me considérer de vos amis. J’aurais voulu que ce soit plus tôt mais vous aviez choisi de vivre à l’écart de la Cour et j’en ai moi-même été souvent absent, pris par les armées ou mon gouvernement de Bayonne. Plus rarement dans mon château de Bidache qui en est proche et où j’aimerais tant vous recevoir un jour prochain.

Sylvie n’allait pas tarder à découvrir, l’usage aidant, que lorsque Gramont prenait la parole il ne la lâchait pas de sitôt. La faconde méridionale, sans doute ! C’était un pur Béarnais sec et grisonnant avec un visage taillé à coups de serpe, un grand nez, un œil vif et moqueur et une moustache arrogante et raide qui donnait à sa physionomie un air de chat furieux. Grand air, d’ailleurs, et assez bon homme aimant à traiter généreusement ses amis. Très fier de sa race, au demeurant, il ne laissait ignorer à personne que son père avait été le dernier vice-roi de Navarre et que sa grand-mère n’était autre que la fameuse Corisande d’Andoins qui avait été le premier grand amour d’Henri IV.

Ce jour-là pourtant, il n’y fit pas allusion et ne tarda pas à donner à son discours un tour galant, laissant vite entendre à Mme de Fontsomme qu’il la trouvait fort à son goût. Ce qui agaça un peu Sylvie mais amusa beaucoup Perceval. Ce fut lui, cependant, qui arrêta le flot en demandant à sa filleule si elle ne souhaitait pas goûter, elle aussi, la « boisson des dieux ». Ce qu’elle accepta volontiers.

Le maréchal se hâta de la servir mais elle eut droit alors à une description minutieuse de la façon de préparer le breuvage ainsi qu’à celle de l’instant magique où Gramont y avait goûté, instant qui lui avait « ouvert les portes du Paradis ». Ce ne fut pas le cas de Sylvie : elle admit que cette espèce de purée liquide parfumée à la cannelle n’était pas désagréable, mais c’était beaucoup trop sucré et elle eut un peu mal au cœur. Avec une franchise justifiée par la crainte de se voir noyée sous le chocolat à chacune de ses rencontres avec le maréchal-duc, elle donna son sentiment.