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Partout dans le château, autour de cette chambre si bien close, les espoirs fleurissaient, les ambitions se déchaînaient. Fouquet passait des heures en compagnie de la Reine Mère dont il n’ignorait pas qu’elle était son plus ferme soutien ; Colbert patrouillait incessamment dans les antichambres du mourant, armé de dossiers qu’il espérait bien avoir encore le temps de soumettre ; le chancelier Séguier avait du mal à cacher ses espérances d’accéder au poste suprême ; la belle Olympe de Soissons se voyait déjà, favorite déclarée, régnant en maîtresse sur les sens du Roi et les affaires du royaume ; seule la jeune Reine priait… mais ses dames avaient vite découvert que, de toute façon, elle priait toujours énormément et qu’en dehors de la passion qu’elle vouait à son époux elle ne s’attachait guère qu’à deux activités : le service de Dieu et le jeu. Ou plutôt les jeux, et d’argent de préférence. Ne les ayant jamais pratiqués dans les palais de son père, elle s’y adonnait à présent avec un enthousiasme qui lui coûtait très cher…

Enfin, l’événement tant attendu, tant espéré, se produisit. Dans la nuit du 8 au 9 mars, vers quatre heures du matin, le Roi qui dormait auprès de la Reine fut réveillé par Pierrette Dufour, une femme de chambre de Marie-Thérèse qu’il avait chargée de le prévenir au cas où la mort passerait : le Cardinal avait exhalé son dernier soupir entre deux et trois heures du matin. Sans éveiller sa femme, il se leva, s’habilla rapidement et gagna la chambre mortuaire où il trouva le maréchal de Gramont qu’il embrassa en pleurant :

— Nous avons, lui dit-il, perdu un bon ami.

Il ordonna aussitôt le deuil en noir, comme pour un membre de sa famille, pleura beaucoup, contrairement à sa mère qui, elle, ne pleura guère, puis, quelques heures plus tard, regagnait Paris où le Conseil était convoqué pour le lendemain. Derrière lui, le château de Vincennes se vida comme par enchantement, laissant le défunt à la grande solitude de ceux dont on n’a plus rien à espérer.

Le lendemain, à sept heures du matin, le Conseil se réunissait au Louvre dans la salle qui lui était habituelle. Ministres et secrétaires d’État, ils étaient sept autour du chancelier Séguier plus important que jamais et qui, du haut de sa majesté, lançait des regards ironiques au surintendant des Finances qui les dédaignait franchement. Élégant à son habitude, tiré à quatre épingles en dépit de l’heure matinale, Fouquet était cependant plus distant que de coutume et regardait par une fenêtre la Seine couverte d’une brume qui ne permettait pas de voir l’autre rive.

Le Roi vint, vêtu de noir, et chacun après l’avoir salué se dirigea vers son siège habituel pour y prendre place, mais Louis XIV resta debout, ce qui obligea les autres à en faire autant. Il se tourna aussitôt vers le Chancelier, laissant peser sur lui un regard sous lequel celui-ci perdit peu à peu sa superbe. Un regard de maître et, quand sa voix s’éleva, le ton, lui aussi, en était nouveau :

— Monsieur, lui dit-il, je vous ai fait assembler avec mes ministres et mes secrétaires d’État pour vous dire que, jusqu’à présent, j’ai bien voulu laisser gouverner mes affaires par feu M. le Cardinal. Il est temps que je les gouverne moi-même. Vous m’aiderez de vos conseils quand je vous les demanderai. Hors le courant du sceau auquel je ne prétends rien changer, je vous prie et vous ordonne, monsieur le chancelier, de ne rien sceller en commandement que par mes ordres et sans m’en avoir parlé à moins qu’un secrétaire d’État ne vous les porte de ma part. Et vous, mes secrétaires d’État, je vous ordonne de ne rien signer, pas même une sauvegarde ni un passeport, sans mon commandement… Vous, monsieur le surintendant, je vous prie de vous servir de Colbert que feu M. le Cardinal m’a recommandé[62]… Pour Lionne, il est assuré de mon affection. Je suis content de ses services…

Ce petit discours fit l’effet d’une bombe. Les sept hommes rassemblés autour de la longue table n’en croyaient pas leurs oreilles. Plus de Premier ministre ! Un Conseil réduit à donner son avis « quand on le lui demanderait » ? Quant au petit couplet sur Hugues de Lionne, chargé des Affaires étrangères, il donnait à penser clairement que si l’on était si content de lui c’est qu’on l’était moins des autres. Le chancelier Séguier se sentit un peu souffrant et rentra vite se mettre au chaud au milieu de ses livres et de ses richesses. Fouquet, lui, fila chez la Reine Mère dont il attendit patiemment le lever pour lui raconter ce qui venait de se passer. Mais elle ne fit qu’en rire :

— Il veut faire le capable, dit-elle en haussant les épaules, mais il aime trop les plaisirs. Cette belle ardeur au travail n’y résistera pas longtemps, à présent que le Cardinal n’est plus là pour tenir serrés les cordons de la bourse…

C’était l’évidence même ! Et Fouquet repartit pour Saint-Mandé tout à fait rassuré.

CHAPITRE 5

LA FÊTE MORTELLE

Le mariage de Philippe d’Orléans et d’Henriette d’Angleterre eut enfin lieu le 30 mars, dans la chapelle du Palais-Royal qui était alors la résidence de la veuve de Charles Ier, mère de la fiancée. Mgr de Cosnac le célébra devant un autel décoré par les Visitandines de Chaillot de ces fleurs en colle de poisson – des roses blanc et argent – qui étaient leur spécialité. Mazarin n’avait quitté ce monde que depuis trois semaines, ce n’en fut pas moins le mariage le plus gai et le plus brillant qui se puisse voir. Madame était ravissante, Monsieur brillait comme un soleil, entouré des plus beaux gentilshommes de la Cour mués en satellites mais un peu éclipsés par l’éblouissant duc de Buckingham. Les deux reines mères arboraient des mines ravies. Seule, Marie-Thérèse s’efforçait de cacher des yeux gros de larmes parce que son époux ne quittait pas la mariée des yeux. Pendant ce temps, parquées dans un salon du palais, les nouvelles filles d’honneur attendaient avec impatience le moment d’être présentées. Marie encore plus que les autres.

Il n’y avait pas assez de place dans la chapelle pour qu’elle et ses compagnes aient pu voir la cérémonie, mais elle le supportait très bien. Il lui suffisait d’être dans la place et le rideau se lèverait bientôt sur la vie dont elle rêvait. C’était cela l’important.

La jeune fille n’en regardait pas moins avec curiosité celles qui allaient partager sa vie quotidienne au service de la princesse en se demandant si elle aurait plaisir à nouer amitié avec l’une ou avec l’autre, comme jadis sa mère avec Mlle de Hautefort. C’était assez difficile à décider parce qu’on ne leur avait pas accordé le droit de se parler depuis que la sévère Mme de La Fayette – une amie personnelle de la reine Henriette-Marie ! – les avait rassemblées en se contentant d’indiquer les noms. Sur la dizaine, Marie n’en avait retenu que quatre ; les autres lui paraissaient dépourvues d’intérêt, appartenant à cette catégorie de la société qu’elle appelait « moutonnière » parce qu’elle se déplaçait toujours en un groupe compact dans lequel on ne distinguait rien. Certes, toutes étaient jolies dans le petit troupeau mais ces quatre-là semblaient aussi intelligentes. Singulièrement celle qui portait le plus grand nom : Athénaïs de Rochechouart-Mortemart, dite Mlle de Tonnay-Charente : grande, d’une blondeur rayonnante avec des yeux magnifiques scintillants comme des diamants bleus, elle avait une allure d’altesse, de grandes manières et un esprit vif qu’un seul mot permettait de déceler. Blonde aussi mais pourtant son contraire, Louise de La Baume Leblanc de La Vallière évoquait les douceurs du clair de lune avec son teint transparent, sa grâce flexible, sa fragilité, ses yeux d’azur clair et ses cheveux aux reflets d’argent. Celle-là était timide et douce. Les deux autres étaient brunes : Aure de Montalais avec un teint d’ivoire chaud et les yeux noirs les plus vifs et les plus gais qui soient, Élisabeth de Fiennes, elle, se contentait d’un châtain foncé avec des joues de rose et des prunelles brunes et veloutées. Mais, à la réflexion, Marie conclut qu’elle se sentait plus attirée par Tonnay-Charente et Montalais : la première parce qu’elle lui rappelait sa marraine, la fière et superbe Hautefort, la seconde parce que, avec elle, on ne devait pas s’ennuyer facilement. La Vallière faisait un peu trop victime prête pour le sacrifice et Fiennes n’avait pas l’air de s’intéresser à ce qui se passait autour d’elle. Son choix personnel fut en quelque sorte ratifié par les deux jeunes filles car l’une lui adressa un sourire et l’autre un clin d’œil. Après la présentation, elles se rejoignirent tout naturellement :