— Mesdemoiselles, dit Athénaïs de Tonnay-Charente qui était aussi l’aînée, je ne sais ce que vous pensez de notre avenir, mais je crois que nous avons beaucoup de chance d’appartenir à Madame plutôt qu’à la Reine…
— Nous nous amuserons certainement bien davantage ! renchérit Aure de Montalais en contemplant avec satisfaction le cercle de jeunes gentilshommes qui brûlaient de faire leur connaissance…
— Vous devez savoir cela, vous, Fontsomme ! La duchesse votre mère, qui remplace Mme de Béthune plus souvent qu’à son tour, ne trouve pas sa charge trop pesante ? Des nains, des duègnes macérées dans le bénitier et des prières, surtout des prières, quand toute la Cour ne songe qu’à chanter et à danser ?
— Je vais vous confier un secret, dit Marie en riant. Ma mère est capable de s’accommoder de n’importe quelle forme de cour, mais ce qui lui gâche la vie, c’est le chocolat ! Elle déteste le chocolat qui lui donne mal au cœur. Et malheureusement, la Reine en boit plusieurs tasses par jour…
— Moi, je trouve cela plutôt bon et je m’en accommoderais beaucoup plus que des prières…
— Mesdemoiselles, mesdemoiselles ! Laissons là ces futilités, faisons notre choix parmi ceux que nous allons côtoyer chaque jour et accordons-nous afin de nous apporter secours et assistance. Et surtout, éviter de piétiner les plates-bandes de l’une ou de l’autre, dit Athénaïs. Pour ma part, je trouve le marquis de Noirmoutiers assez de mon goût.
— Le beau miracle, rit Montalais. On le dit amoureux de vous et prêt à demander votre main. De mon côté, j’ai des visées assez hautes. À défaut du duc de Buckingham qui va nous quitter parce que Monsieur est jaloux de lui, j’avoue que le comte de Guiche…
— Mauvais choix, ma chère ! L’héritier du maréchal de Gramont est l’ami de cœur de Monsieur !
— Oh, vous croyez ?
— J’en suis certaine. Cependant, il se peut qu’il ne le reste pas longtemps s’il continue à regarder Madame comme il le fait depuis deux jours. S’il n’est pas en train de tomber amoureux, je veux bien être pendue !
— En ce cas, fit Aure de Montalais avec philosophie, il faudra que je regarde ailleurs… Et vous, ajouta-t-elle en souriant à Marie, vers qui se tourne votre cœur ?
La petite – elle était la plus jeune des trois – devint toute rouge.
— Oh moi je… je ne m’intéresse pas aux jeunes gens. J’aime qu’un homme soit vraiment un homme. Pas une ébauche.
— Vous avez un penchant pour un barbon ? fit Athénaïs moqueuse. C’est grand dommage ! Allons, dites-nous tout puisque nous allons vivre à présent aussi proches que des sœurs…
Elles étaient toutes deux charmantes, amicales et ne songeaient certainement pas à se moquer d’elle, pourtant Marie répugnait à lancer le nom qui habitait sa tête et son cœur. Son regard flotta autour d’elle, s’arrêta…
— C’est… c’est M. d’Artagnan !
— Le capitaine des mousquetaires ?
Les deux autres étaient ébahies mais Marie releva bien haut son petit nez en agitant nerveusement son éventail.
— Et pourquoi pas ? C’est la plus fine lame du royaume, dit-on, et il a… des dents superbes !
Comprenant qu’elle avait trouvé là un faux-fuyant, ses compagnes se mirent à rire de bon cœur. D’un geste presque tendre, Athénaïs caressa sa joue d’un doigt léger.
— Vous avez raison : nous sommes trop curieuses ! Gardez votre secret, petit masque !… Je crois, en tout cas, que nous ne nous ennuierons pas ensemble…
De ce jour, Sylvie ne vit presque plus sa fille en dehors des cérémonies religieuses auxquelles toute la Cour assistait. Ou plutôt toutes les cours, car il fut vite évident que celle de Madame l’emportait sur les autres. Tout ce que la France comptait de noblesse jeune, riche, gaie, vivante et avide de s’amuser se donna rendez-vous au palais des Tuileries ou au château de Saint-Cloud dont Monsieur avait fait une merveille… Le petit homme avait du goût et si sa « passion » pour sa jeune femme ne dura guère que quinze jours, il se montra ravi d’être au centre de ce que la vie parisienne comptait de plus élégant et de plus joyeux : en un mot d’être à la pointe de la mode ! Et Madame enchantait tous les cœurs. On la découvrait vive, intelligente, primesautière, aimant par-dessus tout séduire et s’amuser. Le départ de Buckingham, que Monsieur avait exigé de sa mère parce qu’il le trouvait outrecuidant – Philippe appartenait à cette espèce de jaloux, la pire de toutes, qui est celle des jaloux sans amour –, n’avait guère touché Madame. Le beau duc avait fait son temps d’adorateur et devait céder la place à une autre cible, beaucoup plus passionnante aux beaux yeux de la princesse : le Roi, qui se rendait chez elle au moins une fois par jour. Louis XIV lui-même, qui venait de signer le contrat de mariage de Marie Mancini, son grand amour de jeunesse, avec le richissime prince Colonna et de la voir partir sans sourciller pour l’Italie, se libéra d’Olympe de Soissons en la nommant surintendante de la maison de la Reine en remplacement de la princesse Palatine. Ce qui ne causa aucun plaisir à sa femme : en dépit du fait qu’il la rejoignait chaque soir dans son lit avec une grande ponctualité, il était évident que Madame l’occupait tout entier.
En revanche, on vit beaucoup Fouquet dans la maison de Conflans où Sylvie s’était résolue à rester avec l’approche des beaux jours et, surtout, le bruit que le Roi ne tarderait guère à transporter la Cour à Fontainebleau. Proche de Saint-Mandé et voisin du domaine de Mme du Plessis-Bellière, le joli manoir représentait pour lui un havre d’amitié où il était certain d’être toujours compris, toujours encouragé car les deux femmes se voyaient souvent et il n’était pas rare que venant chez l’une il trouvât l’autre.