Las d’essayer – sans le moindre succès – de ramener à lui le volage, Monsieur explosa en reproches indignés qui se déversèrent sur ceux qu’il considérait déjà comme coupables. Henriette, avec un flegme tout britannique, se contenta de lui rire au nez en haussant les épaules, mais Guiche s’oublia jusqu’à traiter le prince comme il l’eût fait de n’importe quel mari à l’esprit un peu dérangé. Fou de rage, celui-ci courut chez le Roi pour obtenir contre l’insolent une lettre de cachet qui l’enverrait à la Bastille pour longtemps, mais Louis XIV n’avait aucune envie de faire cette peine au maréchal de Gramont qu’il aimait. Il tenta de calmer le jeu :
— Mon frère, mon frère, je crains que vous ne preniez les choses un peu trop à cœur ! Si Madame est coquette, je vous le concède, songez qu’avant tout elle aime à s’amuser. Quant à Guiche, vous le connaissez depuis longtemps ! Un Béarnais à la tête chaude avec qui vous vous êtes brouillé et raccommodé plus d’une fois…
— Ce n’étaient que peccadilles et j’étais sûr alors de son amitié, mais ce qui vient de se passer ne se peut supporter. Il m’a insulté, Sire, et je demande au Roi de le chasser…
— Comme vous m’avez demandé il y a peu de chasser le duc de Buckingham au risque de créer, avec l’Angleterre, un grave incident diplomatique et de me brouiller avec mon frère Charles II. Grâce à Dieu, nous avons une mère, et c’est elle qui a obtenu ce départ… sans drame !
— Je l’en remercie mais le cas n’est pas le même. Buckingham n’était pas votre sujet. Guiche, si ! Je veux qu’on l’arrête !
— Pour quel crime ? Des mots lancés dans la colère et qu’il doit regretter de tout son cœur ? Cela ne mérite pas l’échafaud… ni même la Bastille ! Allons, mon frère, calmez-vous ! Je vous en fais la promesse, je parlerai à Madame. Quant à Guiche…
— Vous allez le laisser continuer son manège de billets, de sérénades et autres galanteries qui font rire de moi ?
— Je ne permettrai jamais que l’on rie de vous, mon frère, dit le Roi avec gravité. Il partira pour ses terres jusqu’à ce qu’il ait compris le respect que l’on vous doit.
Le soir même, le comte de Guiche quittait Fontainebleau la mort dans l’âme et Louis XIV s’efforçait de consoler son père en l’assurant de son amitié pour la famille de Gramont. Le lendemain, au cours d’une promenade en forêt, il sermonna doucement Madame qui, après s’être montrée courroucée des « injustes et injurieux soupçons de Monsieur », remercia son beau-frère d’avoir su comprendre qu’il lui serait doux d’être délivrée d’un amour embarrassant mais qui ne trouvait pas d’écho dans un cœur heureux de s’épanouir aux rayons d’un aimable soleil levant… Et les deux jeunes gens, heureux de se comprendre si bien, passèrent encore plus de temps ensemble s’il était possible…
En prenant son service, ce matin-là, dans la chambre de la Reine, Sylvie sentit aussitôt que l’atmosphère était tendue. Assise au bord de son lit tandis que Maria Molina la chaussait, Marie-Thérèse offrait une mine boudeuse et des yeux rouges. En dehors des premières prières qu’elle murmurait avant de se lever, elle n’avait pas sonné mot.
— Le Roi n’a pas rejoint la Reine, chuchota Mme de Navailles. Il a dansé une partie de la nuit et le reste, il l’a passé sur le Grand Canal en gondole avec Madame et des musiciens italiens.
Sans répondre, Sylvie prit des mains d’un page les jarretières de rubans ornées de bijoux et vint s’agenouiller devant la Reine pour les boucler autour de ses jambes ainsi que l’exigeait sa charge. Ce qui lui valut un regard navré.
— Votre Majesté a mal dormi ? demanda-t-elle doucement.
— Pas dormi du tout ! fut la laconique réponse.
Puis le pesant silence retomba tandis que Sa Majesté gagnait sa chaise percée comme si elle allait à l’échafaud. Ensuite, le rite de la toilette commença avec le ballet des pages et des chambrières portant l’eau, la cuvette, le savon de Venise et les parfums. Même l’apparition de la première tasse de chocolat ne réussit pas à amener un sourire sur le jeune visage. C’était tout à fait inhabituel. D’ordinaire, surtout quand son époux avait bien accompli son devoir conjugal, Marie-Thérèse était gaie, riait de tout et si on la plaisantait gentiment sur sa nuit, elle riait plus fort et frottait ses petites mains l’une contre l’autre d’un air ravi. Rien de tout cela ce matin dont le joyeux soleil faisait pourtant chatoyer l’or des boiseries, le cristal des vases remplis de fleurs, les coupes d’agates, les porte-flambeaux d’argent et les menus objets de toilette en or pur ! Même Chica la naine feignait de dormir, roulée en boule dans la ruelle du lit, et Nabo, le jeune Noir dont la Reine raffolait, se contentait de la regarder d’un peu loin avec de grands yeux désolés.
La Reine mit sa chemise puis on la vêtit d’une jupe de soie blanche si étroite qu’elle adhérait à ses formes en voie d’épanouissement. On lui passa ensuite un léger corset en toile fine mais bien pourvu de baleines, qu’on laça pour affiner la taille. Elle protesta, disant qu’on la serrait trop. Sylvie en profita pour essayer de détendre l’atmosphère :
— La jeunesse et la minceur habituelle de la Reine ont tendance à faire oublier qu’elle porte un enfant et qu’elle a besoin désormais de grands ménagements. Le Roi aurait dit ce matin à M. de Vivonne que j’ai rencontré dans la cour d’Honneur que la fête s’étant poursuivie plus tard que prévu, il n’avait pas voulu troubler le sommeil de Sa Majesté en venant rejoindre…
Aussitôt Marie-Thérèse parut ressusciter.
— Verdad ?… Que el Rey…
— … s’inquiète fort d’une santé devenue doublement précieuse. C’est ainsi que l’on en use lorsque l’on aime bien Madame… dit Mme de Fontsomme avec une belle révérence qu’un sourire encore tremblant récompensa.
Tandis que Pierrette Dufour, la femme de chambre française, coiffait les magnifiques cheveux, les pages apportèrent les vêtements de dessous et de dessus qui étaient de soie épaisse alternant le bleu et l’or, après quoi, Sylvie fixa les joyaux de tête et de corsage. Un dernier nuage de parfum et Marie-Thérèse se leva, fit une belle révérence à tous ceux qui avaient assisté à sa toilette, prit des gants et, suivie de Nabo qui portait son missel, s’envola chez la Reine Mère comme elle avait coutume de le faire chaque matin. Au seuil des appartements d’Anne d’Autriche, elle se heurta presque à Monsieur qui en sortait, encore rouge de colère et tout ébouriffé.
— Ma sœur, dit-il, je viens de me plaindre à notre mère de ce que l’on nous traite fort mal, vous et moi, et je veux espérer que vous venez faire entendre même chanson ! En vérité cela ne peut plus durer ! Je suis déterminé à regagner mon château de Saint-Cloud si l’on continue à en user envers moi comme tous ces jours !
Et, sans même songer à saluer, Monsieur partit comme un boulet de canon qui ferait voltiger un mouchoir de dentelle, trouvant même le moyen de bousculer un Suisse de garde.
De ce que se dirent Anne d’Autriche et sa belle-fille nul n’en eut confidence, mais quand les deux femmes se rendirent ensemble à la chapelle, suivies cette fois de leurs dames et gentilshommes – on était un dimanche –, chacun put voir que Marie-Thérèse avait de nouveau les yeux rouges et que la Reine Mère arborait un air de sévérité qui ne lui était guère habituel, surtout si tôt le matin. Madame, elle, ne parut pas. La princesse de Monaco vint prévenir qu’elle avait la fièvre, toussait et devait garder le lit :