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— J’accepte, Sire.

— En ce cas venez ! Votre main, Madame, ajouta-t-il en revenant à son épouse qui n’avait rien compris mais que les atours noirs de Sylvie inquiétaient.

François, lui, n’osa pas offrir son appui physique à celle qu’il aimait désormais sans espoir, mais le regard qu’il posa sur elle la réconforta et ils marchèrent côte à côte en silence dans le sillage bleu et or de la traîne de Marie-Thérèse.

Tandis que l’on traversait la grande et magnifique salle de bal d’Henri II pour gagner les appartements de la Reine puis ceux du Roi, un incident faillit se produire : avertie par ces mystérieuses transmissions qui à la Cour propagent les nouvelles à la rapidité de l’éclair, Marie, suivie d’Athénaïs qui s’efforçait de la rattraper, voulut se précipiter vers sa mère. Elle fut attrapée au vol par Perceval qui, mêlé aux courtisans comme tout gentilhomme, possédait le droit de le faire, guettait son apparition.

— Doucement, jeune fille ! Personne n’a besoin de toi ici et ta mère moins que quiconque.

— Mais que fait-elle avec M. de Beaufort ?

— Il s’est mis à son service pour retrouver ton frère qui a été enlevé hier par… des inconnus. Ta mère vient de faire appel à la justice du Roi. Le ravisseur serait un personnage important. Maintenant tu en sais autant que moi. Mademoiselle, ajouta-t-il en se tournant vers Tonnay-Charente, soyez assez bonne pour la ramener chez Madame ! Et toi, Marie, tiens-toi tranquille ! Je te promets que tu auras des nouvelles…

— N’ayez crainte ! assura Athénaïs, je me charge d’elle. Elle sera surveillée de près… mais j’enverrai Montalais aux nouvelles ! C’est notre plus habile espionne ! conclut-elle en riant de toutes ses belles dents blanches.

Elle avait pris le bras d’une Marie réticente pour l’emmener quand un nouveau personnage entra sans plus de façons dans la conversation :

— Si forte qu’elle soit, votre Montalais ne vaudra jamais un homme habile, surtout quand il s’agit de savoir ce qui se passe chez le Roi. Mademoiselle de Fontsomme, je suis déjà votre serviteur, acceptez-moi comme chevalier servant. J’ajoute que je suis aussi votre admirateur…

— Quelle audace, Péguilin ! protesta Athénaïs. Vous êtes déjà le serviteur de tellement de dames que vous devez être fort encombré. Laissez mon amie Marie tranquille et retournez à vos affaires ! Je suis sûre que Mme de Valentinois vous cherche…

— Bah ! Elle est chez Madame et nous nous y rendons. Venez, mademoiselle, ajouta-t-il en présentant son poing fermé à Marie avec un regard enjôleur.

— Un instant, coupa Perceval avec un rien de sévérité. Je suis le tuteur de Mlle de Fontsomme… et je n’ai pas l’honneur de vous connaître.

— Moi non plus je ne vous connais pas, fit le jeune homme avec impertinence, mais qu’à cela ne tienne : j’ai nom Antonin Nompar de Caumont marquis de Puyguilhem et je suis…

— Le neveu du maréchal de Gramont, récita Tonnay-Charente les yeux au ciel, et je commande la 1re compagnie de cent gentilshommes aux becs-de-corbin… et mon bec à moi est encore plus acéré que le signe de ma fonction ! Passez votre chemin, marquis ! Vous devriez déjà être à la porte du Roi pour écouter ce qui s’y passe !

— Je n’écoute pas aux portes, mademoiselle, et mes informations sont d’un ordre plus subtil. En outre… je souhaite être mieux connu de votre compagne…

— Elle vous connaîtra bien assez tôt ! Venez, Marie…

— Quelle pécore ! Il faudra qu’elle en rabatte le jour où j’irai vous demander, monsieur le tuteur, la main de votre pupille !

— Vous voulez épouser Marie ?… À propos, je suis le chevalier Perceval de Raguenel. Autant que vous sachiez mon nom.

— Vous avez raison, cela peut servir. Mais dites-moi un peu pourquoi je n’épouserais pas ? Elle est ravissante et c’est un parti magnifique ?

— Et vous, êtes-vous aussi un parti magnifique ?

Le jeune homme eut le curieux sourire qui lui plissait toute la figure et cependant lui donnait beaucoup de charme :

— Je ne dirais pas cela. Mon père, le comte de Lauzun, est plus riche d’ancêtres que de ducats… mais vous pouvez être certain que je ferai mon chemin. Le Roi m’aime bien parce que je l’amuse.

— Je croyais qu’il était question de mariage avec l’une des filles de Mme de Nemours ?

— Impossibilité majeure à cela, mon cher. Si j’épousais l’une, l’autre m’arracherait les yeux et sans doute aussi ceux de l’heureuse élue. Non, grâce à Dieu, ces deux folles et leur mère sont parties exercer leurs ravages en Savoie… et j’espère bien n’en plus entendre parler. À bientôt, monsieur le chevalier… moi je vais aux nouvelles !

Dans le cabinet du Roi, la conversation était moins tournée vers le badinage. En entrant, Louis XIV avait gagné son fauteuil derrière la lourde table où portefeuilles ouverts, classeurs et liasses de papiers attestaient qu’il ne s’agissait pas là d’un vain ornement, puis désigné un siège à Sylvie, Beaufort et l’abbé restant debout, de chaque côté.

— Racontez-moi ce qui s’est passé, ordonna-t-il en se carrant dans le haut fauteuil de chêne et de cuir clouté.

Avec plus de clarté que l’on en pouvait attendre de son émotion, M. de Résigny retraça la scène dont il avait été le témoin : les enfants occupés à leur cueillette, puis les cavaliers tellement sûrs d’eux-mêmes qu’aucun n’avait songé à se masquer, l’enlèvement du petit duc et enfin la phrase dédaigneusement lancée au précepteur éperdu. Quand il eut terminé, le Roi garda le silence un instant, puis :

— Cet homme a dit : « les amis de M. Colbert » ? Qui sous-entendait-il ? En auriez-vous quelque idée, duchesse ?

— Oui, Sire. Il s’agirait d’un certain Fulgent de Saint-Rémy, débarqué voici quelque temps de l’île Saint-Christophe et qui, se prétendant le frère aîné de feu mon époux, réclamait sa part d’héritage… sans d’ailleurs avancer aucune preuve.

— Un frère aîné ? Le maréchal de Fontsomme se serait-il marié deux fois ?

— Pas vraiment, mais il aurait signé une promesse de mariage à une jeune fille au cas où elle attendrait un enfant avant de partir pour la guerre. Elle s’est retrouvée enceinte, le père qui la destinait à un autre s’en est aperçu et l’a jetée dans un couvent dont elle s’est échappée à la fois pour sauver l’enfant à venir et suivre le seul ami qu’elle eût. Ils se sont embarqués pour les îles et l’enfant – ce Saint-Rémy – serait né sur le bateau. Il prétend pouvoir produire la promesse de mariage et s’est dit plus ou moins protégé par M. Colbert…

— Comment avez-vous traité ses prétentions ?

— Il m’est apparu assez misérable et je lui ai donné quelque argent…

— Vous avez eu tort. Ce genre de personnage se jette dans la rue sans explications…

— Je sais, Sire, mais il m’a aussi fait peur, je l’avoue, surtout quand il a dit qu’au cas où il arriverait quelque chose à mon fils – le dernier duc ! –, il ferait valoir ses prétentions devant le Parlement et le juge d’Armes du Roi. Et mon fils vient d’être enlevé…

— Il fallait appeler le guet, madame !… ou bien cet homme possède-t-il quelque moyen d’avoir barre sur vous ? Je ne vois pas bien ce que cela pourrait être car votre vie est limpide, mais les maîtres chanteurs sont pleins d’imagination…

Sylvie réprima un tressaillement : la main de Beaufort venait de se poser, légère puis ferme, sur son épaule comme pour l’engager à la prudence. Sous cette chaude pression, elle éprouva un étrange réconfort parce que cela voulait dire qu’il était prêt à tout pour sauver l’enfant dont il savait mieux que personne de qui il était le fils. Même s’il devait affronter ce jeune homme couronné qu’il avait tout autant de raisons d’aimer.