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— Vous me le confieriez ?

Émerveillé par ce bonheur qu’elle lui offrait et qu’elle allait payer de larmes amères, il plia le genou devant elle, les mains ouvertes comme pour mieux recevoir ce beau présent mais sans oser toucher celle qui le lui offrait. Ce fut Sylvie qui se pencha et posa ses doigts sur les grandes paumes.

— Qui pourrait mieux veiller sur lui que son père ? murmura-t-elle. En outre, je sais que vous en ferez un homme digne du nom qu’il porte.

— Sur ma vie je vous le jure ! Mais lui, que pense-t-il ? Lui avez-vous parlé de cette idée ?

L’ombre d’un sourire adoucit le joli visage tendu où le souci mettait sa griffe :

— Lui ?… Il est fou de joie ! Au lieu d’entrer au collège, il va être le page d’un prince et surtout il va voir la mer, les bateaux…

— Il les aime ?

— Autant que vous les aimez. Alors qu’il devrait être un terrien convaincu, il ne rêve que de grand large. Quand partez-vous ?

— Dans ces conditions, dès demain. Faites préparer son bagage. Je passerai le chercher moi-même, en voiture. Une fois à Brest j’écrirai au Roi qu’il a été obéi…

Sans quitter les mains de François qui à présent serraient les siennes, Sylvie se leva :

— Je le verrai avant vous. Philippe parti, je retournerai à Fontainebleau.

Tous deux marchaient à présent côte à côte, à pas lents. D’un geste naturel qui fit frémir François, Sylvie glissa sa main sous son bras et il y posa aussitôt la sienne. Pendant de trop brèves minutes, ils goûtèrent l’instant infiniment doux qui les unissait dans un amour plus grand qu’eux, qui était l’épanouissement de celui qu’ils n’avaient jamais vécu puisqu’ils se retrouvaient parents sans avoir jamais formé un couple.

— Vous en prendrez bien soin, n’est-ce pas ? demanda-t-elle d’une petite voix si triste que François dut lutter contre l’envie de la prendre dans ses bras. Sentant qu’il risquerait de tout gâcher, il se contenta de presser doucement les doigts délicats :

— Il vivra sans cesse auprès de moi…

— Ah, j’allais oublier ! Il y a l’abbé de Résigny, son précepteur. Il meurt de peur à l’idée de naviguer mais il refuse de quitter son élève. Déjà, il entendait le suivre au collège pour le préserver des amitiés dangereuses. Alors chez les marins !

Beaufort ne put s’empêcher de rire et cela leur fit du bien à tous les deux.

— J’ai déjà un chapelain, mais s’il sait jouer aux échecs votre abbé sera le bienvenu. Et s’il ne sait pas on lui apprendra.

Au seuil de la maison ils s’arrêtèrent. D’un geste plein de tendresse, François disposa le capuchon de velours autour du visage de Sylvie.

— Allez en paix, mon cœur ! Vous savez bien que, sans le connaître, j’ai toujours aimé notre petit Philippe. Je vous promets qu’il sera heureux. Demain je viendrai le chercher…

Elle se haussa sur la pointe des pieds pour poser, sur la joue bien rasée, un baiser léger et parfumé comme un pétale de fleur.

— Que Dieu vous bénisse et vous garde !

Une heure après le départ de son fils, Sylvie repartait pour Fontainebleau où, le soir même, elle obtenait d’être reçue par le Roi au retour de sa promenade. Louis XIV avait hâte, en effet, de connaître les développements de l’affaire débutée dans son cabinet. Il approuva les agissements de Beaufort et, bien qu’elle eût été prise sans sa permission, il approuva aussi la mesure décidée pour la sécurité du jeune Fontsomme. Il se contenta de remarquer :

— Vous ne craignez pas, en confiant votre fils au duc de Beaufort, de… susciter certains bruits ?

Sans broncher, Sylvie le regarda droit dans les yeux :

— Quoi que l’on fasse, Sire, on donne toujours à parler et, à ce propos, j’oserai demander au Roi de bien vouloir garder ce départ secret… à cause de ceci.

Elle tendait le billet menaçant reçu au lendemain du sauvetage de Philippe. Louis XIV le prit, le lut, fronça les sourcils puis, étalant le papier sur son bureau, il y appuya sa main, signifiant ainsi son intention de le garder.

— Vous avez ma parole, duchesse ! Il en sera fait selon votre désir, bien légitime. L’homme n’en sera pas moins recherché. Quant à mon cousin Beaufort, j’espère qu’il saura se montrer digne de votre confiance. À présent, allez rejoindre votre reine. Sa grossesse l’incommode et elle vous réclame…

La révérence étala largement la robe de satin gris sur le tapis royal. Mme de Fontsomme emportait une curieuse sensation en dépit de la bonté montrée par le Roi : lorsqu’il prononçait le nom de Beaufort, ses lèvres se pinçaient de façon curieuse. Fallait-il en conclure qu’il n’avait rien oublié de la Fronde, rien pardonné malgré les apparences, et qu’après tout ce commandement à la mer dont François était si heureux n’était rien d’autre qu’un moyen de l’écarter de la Cour et de la personne royale ?

Pendant ce temps, une scène que Sylvie eût jugée pleine d’intérêt se déroulait dans la maison de la rue des Petits-Champs qui était le domicile parisien de Colbert : le ministre, fort en colère, tançait vertement un Fulgent de Saint-Rémy visiblement mal à l’aise :

— Vous avez accumulé les sottises ! L’enlèvement du jeune duc était prématuré et n’a servi qu’à attirer la colère du Roi…

— J’ai besoin d’argent et vous ne m’en donnez guère, hasarda piteusement le coupable. Pour cette fois j’aurais rendu l’enfant… et je serais plus riche de cinquante mille livres…

— Que vous auriez dû partager avec votre complice ! Je vais vous en donner un peu mais vous allez disparaître aussi longtemps qu’il le faudra.

— Dois-je suivre M. de Beaufort en Bretagne ?

— Sûrement pas ! Il vous connaît à présent et il a de bons yeux. En outre, ce fruit-là n’est pas mûr et je ne suis pas encore assez puissant pour monter la grande affaire qui le fera disparaître. Nous verrons quand Fouquet aura été condamné et exécuté. Alors, il faudra que je me débarrasse de tous ses bons amis qui ne me pardonneront pas d’avoir causé sa perte. En attendant, il faut faire silence… et laisser la duchesse jouir en paix de ce qu’elle croit être une victoire. Elle est d’ailleurs beaucoup trop bien en cour ces temps-ci…

— Vous me traitez fort mal, monsieur le ministre, grogna Saint-Rémy. Comme si je n’avais aucun droit. Pourtant la promesse de mariage que je détiens est bien réelle…

— Elle le sera tout autant quand le temps viendra de la produire. Pour l’instant, je veux que vous imitiez Mme de La Bazinière et quittiez Paris.

— Pour aller où ?

— Pourquoi pas… en Provence ? suggéra Colbert en prenant une bourse assez ronde dans une armoire et en la jetant à son visiteur. Vous pourriez m’y être utile. Le gouverneur en est le duc de Mercœur, le frère aîné de Beaufort qui est veuf d’une nièce de Mazarin. Je peux vous recommander à lui. C’est une bonne pâte et vous pourriez essayer de gagner sa confiance. Les Vendôme forment une famille unie et vous apprendrez peut-être des choses intéressantes. Mais ne faites rien – vous m’entendez bien ? – rien sans mon aveu ! Sinon je vous abandonne !

— J’obéirai mais… faudra-t-il attendre longtemps ? Je ne suis plus tout jeune !

— Le temps qu’il faudra. Il travaille pour moi. Devenu tout-puissant je ferai de grandes choses pour le royaume mais j’abattrai l’un après l’autre tous mes ennemis. Prenez patience si vous voulez être un jour duc de Fontsomme ! Vous pourriez même épouser la veuve de votre demi-frère !

Et Colbert éclata de rire.