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Deuxième partie

LA HAINE D’UN ROI

1664

CHAPITRE 7

UNE ÉTRANGE NAISSANCE

Lorsque, dans les derniers jours d’octobre, la Cour quitta Fontainebleau pour rentrer passer l’hiver au Louvre, Sylvie de Fontsomme poussa un soupir de soulagement. Depuis le dernier printemps on était passé du Louvre à Vincennes puis à Saint-Germain, à Compiègne et enfin à Fontainebleau, avec un intermède en mai à Versailles où Louis XIV entreprenait de construire le plus magnifique palais de la terre et où, en attendant, il donnait des fêtes dans le parc du petit château jadis construit par son père. La plus belle était sans conteste « Les plaisirs de l’île enchantée » qui avait duré six jours et où le goût du faste du jeune monarque s’était affirmé avec éclat. Et où, hélas, s’était affirmée aussi sa passion pour Louise de La Vallière dont il avait eu un enfant.

Certes, la timide jeune fille, toujours aussi follement éprise, avait accouché discrètement dans une maison proche du Louvre et le petit garçon déclaré sous un faux nom vivait loin de la Cour. Certes, La Vallière, héroïque, s’était montrée auprès de Madame dont elle était toujours fille d’honneur – et qui la détestait ! – quelques heures seulement après la naissance, mais le Roi ne cacha pas sa joie. Une joie presque aussi grande qu’à la naissance du Grand Dauphin survenue à l’automne de 1661. Ajoutons que cinq mois après la Reine et neuf après le fameux été de Fontainebleau où le Roi et sa belle-sœur affichaient leur mutuelle attirance en se quittant le moins possible, Madame donna le jour à une fille – dont elle n’éprouva aucune joie car dans sa déception elle criait qu’il fallait la jeter à la rivière ! Après cela, il ne fit doute pour personne que Louis XIV y avait contribué plus que Monsieur son frère et que l’on avait en lui un redoutable géniteur…

Depuis, Marie-Thérèse avait mis au monde une petite fille qui, hélas, ne vécut pas et attendait un nouvel enfant pour Noël. La Vallière, elle, en attendait un pour le début de l’année nouvelle et les courtisans, un peu désorientés par cette avalanche de bébés, ne savaient plus vraiment où donner de la révérence, mais en général on s’en amusait…

Ce n’était pas le cas de Marie-Thérèse. La malheureuse n’avait pas ignoré longtemps les débordements conjugaux de son époux et s’en désolait. Elle en souffrait même de façon si évidente que la Reine Mère ne voyait plus que faire pour la consoler. Mme de Fontsomme non plus, à qui elle se confiait volontiers et qui lui avait murmuré, un soir où La Vallière traversait ses appartements[67] pour aller souper chez la comtesse de Soissons :

— Cette fille qui a des pendants d’oreilles en diamants est celle que le Roi aime…

Une telle douleur désolait Sylvie. Elle n’avait jamais imaginé que le Roi Très Chrétien, son charmant petit élève d’autrefois, pût, avec l’exercice du pouvoir, se muer en une sorte de sultan vivant au milieu d’un harem et jetant le mouchoir à l’une ou à l’autre selon sa fantaisie. Et elle se plaisait de moins en moins dans cette cour où elle manquait d’air parce qu’elle y rencontrait de moins en moins d’amitié, cette amitié qui lui avait toujours été si précieuse.

Il y avait d’abord l’interminable procès de Nicolas Fouquet, inique et partial au point que le peuple, d’abord hostile bien entendu au surintendant des Finances, opérait depuis quelque temps une conversion totale qui lui faisait considérer Fouquet comme un martyr et Colbert comme un bourreau sans nuances que des libelles insultaient à longueur de journée. Outre Nicolas, cette douloureuse affaire tenait éloignés beaucoup de gens que Sylvie aimait : la femme du prisonnier, son amie Mme du Plessis-Bellière, ses frères et ses enfants étaient dispersés. Seule restait sa mère, femme d’une grande austérité, que Sylvie fréquentait peu. Il y avait aussi celui qu’elle appelait le cher d’Artagnan, que sa femme et ses mousquetaires ne voyaient plus guère depuis trois ans parce que le Roi l’avait chargé de garder l’accusé à vue dans une tour de la Bastille…

Et puis – mais c’était de peu d’importance ! – le maréchal de Gramont, si assidu jusqu’à l’arrestation de Fouquet, feignait le plus souvent de ne pas voir Mme de Fontsomme lorsqu’ils se trouvaient ensemble à la Cour. Devenu colonel-général des chevau-légers, il se souciait de ne pas compromettre la faveur dont il jouissait, et Sylvie ne cachait pas assez qu’elle plaignait infiniment le prisonnier.

La mort aussi creusait des vides. Elle avait emporté Élisabeth de Vendôme, duchesse de Nemours, l’amie d’enfance, la presque sœur fauchée par la petite vérole au moment où la Cour goûtait à Versailles les délices de l’Île enchantée. Par crainte de la contagion, Sylvie avait reçu l’interdiction d’aller la réconforter durant sa maladie. Seule sa mère, la duchesse de Vendôme qui ne craignait rien, surtout pas la mort, et une servante dévouée s’étaient occupées d’elle. Seul aussi, parmi les amis de la famille, le jeune « Péguilin » devenu comte de Lauzun à la mort de son père, brava tous les interdits pour venir saluer celle dont il avait pensé un instant faire sa belle-mère. Il s’en tira avec une quarantaine dans son logis mais ne s’en déclara pas moins satisfait d’avoir rendu hommage à une dame qu’il aimait bien. D’autant qu’il n’était plus question de mariage avec l’une des « petites Nemours » qui avaient été si folles de lui : l’aînée épousait le duc de Savoie et l’on disait que la seconde épouserait bientôt ce roi de Portugal refusé avec tant d’énergie par Mademoiselle qu’elle était exilée une fois de plus à Saint-Fargeau. Encore une amitié éloignée pour Sylvie ! En revanche, si Lauzun avait dû abandonner aussi ses vues sur Marie de Fontsomme, la façon cavalière dont la jeune fille avait expédié son prétendant avait noué entre celui-ci et celle qu’il souhaitait comme belle-mère une amitié, certes épisodique, mais solide et plutôt amusante.

Enfin, au printemps précédent, il avait fallu renoncer à la compagnie de Suzanne de Navailles exilée à la suite d’une péripétie semi-burlesque, assez peu honorable pour le Roi et qui, surtout, éclairait d’un jour inquiétant le côté rancunier de son caractère.

L’affaire avait eu pour cadre le château de Saint-Germain où, en dépit de sa passion pour La Vallière et de son assiduité nocturne chez sa femme, le Roi s’était pris d’un caprice pour Mlle de la Mothe-Houdancourt, l’une des plus jolies filles d’honneur de Marie-Thérèse. Il lui fit une cour si évidente que Mme de Navailles, responsable en tant que dame d’honneur du joyeux escadron, s’était crue autorisée par sa charge à faire une légère – oh très légère ! – remontrance au jeune potentat, suggérant qu’il choisisse ses maîtresses ailleurs que dans la maison de sa femme. Louis XIV accepta la mercuriale sans trop rechigner mais, la nuit suivante, au lieu d’emprunter le chemin habituel pour gagner la chambre de sa belle, il alla jouer les matous sur les toits du château où s’ouvraient de fort commodes lucarnes. Ce qu’apprenant, la duchesse de Navailles y fit poser des grilles intérieures durant la journée et, le soir venu, le Roi dut s’en retourner, insatisfait et même tout à fait furieux. N’osant pas donner libre cours à sa colère pour ne pas offenser sa femme, Louis XIV ravala sa rancune et attendit une occasion. Ou plutôt la récupéra.

Il s’agissait d’une fausse lettre du roi d’Espagne destinée à éclairer Marie-Thérèse sur les amours de son époux avec La Vallière. Cette épître avait pour auteurs la comtesse de Soissons, son amant le comte de Vardes et le comte de Guiche qui était celui de Madame, mais elle était si mal présentée qu’arrivée chez la Reine et entre les mains de la Molina, celle-ci sans rien en dire à sa maîtresse alla tout droit chez le Roi. Fureur de celui-ci et impossibilité de trouver un coupable : on en était là au moment de l’affaire des grilles. C’est alors que Mme de Soissons, toujours aussi venimeuse, vint avec un bel aplomb suggérer à son ancien amant que la dame d’honneur pouvait bien être à l’origine de cette vilaine histoire. Trop heureux de l’occasion, Louis XIV se soucia peu de chercher plus loin. Il tenait sa vengeance et, le soir même, les Navailles, mari et femme, recevaient un ordre d’exil qui les expédiait dans leurs terres du Béarn sans grand espoir d’en revenir de si tôt. Ce qui déchaîna la colère de la Reine Mère :