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— Vous punissez la vertu à présent ?

Ce fut le début d’une brouille entre la mère et le fils, brouille qui ne dura guère : Louis vint demander son pardon, pleura même mais ne cacha pas qu’il lui était impossible de « gouverner ses passions » et qu’en tout état de cause, il faudrait bien que l’on s’y fasse : sa mère comme les autres.

Sylvie vit partir son amie avec un chagrin d’autant plus vif qu’il lui fallut ensuite subir la nouvelle dame d’honneur, l’ex-marquise de Montausier, devenue duchesse pour la circonstance, grâce aux éminents services guerriers de son époux, et qu’elle n’aimait vraiment pas. La nouvelle duchesse n’était autre que la fameuse Julie d’Angennes – fille de la non moins fameuse marquise de Rambouillet qui avait été si longtemps la reine des Précieuses –, celle que Montausier n’avait conquise, après nombre d’années, qu’en faisant composer pour elle un étonnant recueil de vers illustrés, La Guirlande de Julie. Le mariage avait eu lieu quand la belle atteignait ses trente-huit ans, ce qui était un record de virginité. C’était un bel esprit à qui le Roi avait confié tout d’abord le gouvernement des Enfants de France, lorsqu’ils se réduisaient au seul Dauphin. À présent, c’était la jeune Reine qu’on lui donnait à gouverner en quelque sorte, et elle montra vite de quoi elle était capable en s’essayant à faire accepter l’affaire La Vallière à la pauvre petite épouse révoltée qui, à toutes ses objurgations, répondait sans se lasser : « Je l’aime, je l’aime, je l’aime… »

— Si vous l’aimez vous devez souhaiter lui plaire… et accepter ses amies. Les amours des hommes ne durent jamais bien longtemps…

— Cela vous plaît à dire, madame, mais cette fille est plus reine que moi. Voyez ces fêtes que l’on donne…

— En l’honneur de Votre Majesté et de la Reine Mère !

— À qui ferez-vous croire cela ? s’écria Marie-Thérèse qui était beaucoup moins sotte qu’on ne le croyait en général. Les vers des poètes, les allusions, tous les hommages vont à elle et nous n’avons, nous autres reines, qu’à regarder… et accepter.

— Votre Majesté a tort de se mettre en tels états. Le Roi n’aime pas que l’on pleure. Il reviendrait vers Votre Majesté plus aisément s’il trouvait visage riant, ajustements coquets et commerce agréable avec celles qu’il lui arrive de choisir. Il vous faut acquérir l’expérience des choses du monde.

Sylvie alors était intervenue, assez écœurée du rôle que jouait la dame :

— Ce n’est pas la faute de la Reine si elle souffre ! À cela les plus beaux raisonnements ne peuvent rien…

Le Roi entrant à cet instant précis, la dispute qui menaçait tourna court, mais l’émotion de son arrivée inopinée fut si forte pour Marie-Thérèse qu’elle se mit à saigner du nez en abondance. Cela déplut.

— Du sang, à présent ? Jusqu’ici, ma chère, vous ne m’offriez que des larmes… Songez à l’enfant que vous portez !

Et il se retira, suivi de Mme de Montausier qui lui parlait à l’oreille. Il fallut à Sylvie, assistée de Molina et du jeune Nabo, de longues minutes pour que la Reine retrouve un peu de calme mais ce fut le jeune Noir qui réussit le mieux à apaiser sa maîtresse par ses chansons, ses rires et les espèces d’incantations dans une langue incompréhensible qu’il lui murmurait. En trois ans, il avait beaucoup changé, Nabo. C’était à présent un garçon de quinze ans, beau comme une statue de bronze. La Reine, dans son caprice de femme enceinte, le réclamait sans cesse auprès d’elle : il lui était devenu aussi nécessaire que le chocolat dont elle absorbait de telles quantités qu’elles lui gâtaient les dents. Naturellement, cette présence incessante, comme celle de la naine d’ailleurs, incommodait la nouvelle dame d’honneur.

— Il arrivera que la Reine donne le jour à quelque petit monstre, disait-elle à qui voulait l’entendre. On devrait retirer de sous ses yeux des objets aussi insolites qui peuvent l’influencer gravement.

Mais Marie-Thérèse ne voulait pas se séparer de ceux qui lui rappelaient si fort son enfance dans le silence alourdi d’encens des palais castillans, soutenue du mieux qu’elle pouvait par Anne d’Autriche décidée à l’aider de tout ce qui lui restait d’influence.

Souffrant de plus en plus du cancer qui rongeait son sein, la vieille Reine de soixante-trois ans n’ignorait pas qu’elle allait vers une fin douloureuse et s’y préparait en multipliant les séjours dans son cher Val-de-Grâce, ou encore chez les Carmélites de la rue du Bouloi où sa belle-fille se rendait aussi fréquemment. Sa chère Motteville ne la quittait pas et elle recevait aussi quotidiennement la visite de son confesseur, le père Montagu, jadis lord Montagu, amant de la duchesse de Chevreuse et confident des belles amours d’autrefois. Mme de Fontsomme qui, à présent, la plaignait de tout son cœur venait aussi souvent qu’elle le pouvait ; ses liens d’amitié avec Mme de Motteville s’en trouvaient d’autant plus resserrés que la malade montrait toujours un vif plaisir à recevoir celle qu’il lui arrivait encore d’appeler en souriant « mon petit chat ! »…

Le soir du retour de Fontainebleau, une fois Marie-Thérèse installée dans son grand appartement du Louvre, Sylvie, libérée pour un temps, se fit conduire chez Perceval de Raguenel comme elle le faisait chaque fois que la Cour touchait terre à Paris entre deux déplacements. Cela lui permettait de retrouver son cher parrain, l’atmosphère si agréable de la rue des Tournelles, et de laisser fermé la moitié de l’année son hôtel de la rue Quincampoix, dont le plus gros du personnel rejoignait Fontsomme ou le manoir de Conflans, qui était la maison préférée de Sylvie. Enfin, c’était là qu’elle avait le plus de chances de voir sa fille dont l’affection envers Perceval s’affirmait toujours davantage alors que celle portée jusque-là à sa mère semblait décroître.

Non qu’aucun incident se fût produit mais, depuis la nuit de Fontainebleau où Marie avait déclaré son amour à François et, surtout, depuis le départ de son frère avec l’homme qu’elle s’obstinait à aimer, la jeune fille avait beaucoup changé. En dehors des rencontres à la Cour, elle ne venait chez sa mère qu’en passant, dans l’espoir – trop souvent déçu ! – d’avoir « des nouvelles de Philippe » bien qu’un autre nom soit inscrit dans le filigrane. Son affection n’avait plus la chaleur de naguère : elle était… superficielle, distraite et semblait ressortir davantage de l’habitude que des mouvements du cœur. En revanche, elle professait pour Madame une sorte de dévotion, ne trouvant la vie supportable qu’auprès d’elle, ne cessant de proclamer l’agrément qu’il y avait à vivre aux Tuileries ou à Saint-Cloud, et refusant avec une belle régularité les partis qui se présentaient. Ainsi Lauzun n’avait été, parmi ses prétendants, qu’un météore : elle lui avait très vite laissé entendre que, n’ignorant rien de sa passion pour la ravissante princesse de Monaco, elle ne voyait aucune raison de tenir à ses côtés le rôle sans gloire d’épouse éternellement trompée à qui l’on ne demande que trois choses : renflouer des finances plutôt tristes, faire des enfants et surtout se taire. Or, tout au contraire de ce qu’elle attendait, ce langage direct lui en fit un ami.