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Revenant à l’instant présent, Sylvie contempla Mme de Montespan :

— Pensiez-vous vraiment contribuer à son bonheur en lui permettant de réaliser cette folie ?

— Je le pense, oui, parce que Marie est de celles qui vont jusqu’au bout de leurs projets, comme je le suis. Quitte à le regretter un jour mais, au moins, elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes, ajouta-t-elle avec un soupçon d’amertume qui n’échappa pas à l’oreille fine de sa visiteuse.

— Auriez-vous donc des regrets, madame ?

— De m’être mariée contre la volonté du Roi et même des miens parce que, après la mort de mon fiancé, le marquis de Noirmoutiers tué en duel, j’ai laissé l’amour m’emporter comme il emporte Marie ? Je n’en suis pas encore très sûre… il se peut d’ailleurs que Marie rencontre mon époux.

— Il est parti ?…

— … pour rejoindre lui aussi M. de Beaufort, fit la marquise avec un petit rire nerveux. Il compte sur les combats à venir pour refaire quelque peu notre fortune. À ce propos, madame la duchesse, vous êtes responsable, vous aussi de la conduite de votre fille.

— Comment cela ?

— Vous êtes une mère fort généreuse. Vous savez, d’expérience sans doute, que tenir son rang à la Cour est dispendieux et vous ne laissez jamais Marie manquer d’argent. Cela permet bien des folies… comme, par exemple, d’aider parfois une amie… moins heureuse, acheva-t-elle, sans que sa tête altière indiquât la moindre gêne.

Sylvie ne lui demandait rien de tel. Elle se contenta de remarquer :

— Peut-être avez-vous raison mais j’ai toujours aimé la voir belle et parée, c’est pourquoi je ne regrette rien. Au surplus, elle est libre d’en disposer comme il lui convient et pour telle cause qui lui tient à cœur. Je sais qu’elle vous aime.

— Et je le lui rends bien, comme je lui rendrai chaque sol prêté car un jour, je le sais, je serai riche… très riche même. Et puissante si j’en crois la prédiction que l’on m’a faite.

— Je n’en doute pas… Eh bien, ajouta Sylvie en se levant, il me reste à vous remercier de votre franchise et à me retirer.

Rejetant ses fourrures, Athénaïs rejoignit sa visiteuse dont elle étreignit les mains dans un geste spontané.

— En vérité vous êtes des gens rares, vous les Fontsomme, et l’on doit tenir à honneur d’être de vos amis. Ne craignez pas pour Marie ! D’abord parce que c’est une fille forte… et ensuite parce que j’ai prié mon frère Vivonne, qui la connaît et l’admire, d’essayer de la rencontrer pour lui venir en aide le cas échéant. Naturellement sous le sceau du secret, et comme nous sommes très proches je sais qu’il m’obéira. Il est, comme vous ne l’ignorez pas, général des galères par intérim.

Cette fois, Mme de Fontsomme dissimula une grimace. Ce surcroît de protection ne lui disait rien qui vaille. D’abord, trop est l’ennemi d’assez ; ensuite, parce qu’elle connaissait le jeune Vivonne depuis le temps héroïque où il était élevé auprès du jeune Roi en tant qu’enfant d’honneur. D’une folle bravoure, comme Beaufort, mais un fieffé galopin qui devait plus tard pencher sérieusement vers le libertinage. Mais quelle sœur ne voit son frère paré de toutes les qualités ? Elle se promit, quand elle aurait des nouvelles de Perceval, de l’avertir sur l’éventuelle protection de l’aîné des Mortemart.

Elle n’en remercia pas moins Mme de Montespan qui, glissant son bras sous le sien, tint à l’accompagner jusqu’à l’escalier. Avant de la quitter, celle-ci dit encore à sa visiteuse :

— Ne vous faites pas trop de reproches pour l’argent. J’aurais aidé Marie de toute façon et elle serait partie au besoin par le coche, déguisée en bourgeoise si les moyens lui avaient manqué. Je ne suis même pas certaine qu’elle n’aurait pas fait la route à pied… Elle l’aime vraiment.

C’était bien cela qui tracassait le plus Sylvie, et ce tracas, elle le partagea avec Jeannette qui l’attendait avec impatience.

— Ce n’est pas à toi que j’apprendrai que les filles sont folles quand elles sont amoureuses, et je peux juger par moi-même de la gravité du cas de Marie. Je crois bien qu’elle est tombée amoureuse de François la première fois qu’elle l’a vu, tout comme moi. Et elle n’avait que deux ans ! Deux de moins que moi qui en avais quatre quand ce malheur m’est arrivé…

— Ne soyez pas hypocrite ! dit Jeannette avec sa rude franchise. Vous dites malheur mais vous pensez bonheur… À propos d’hypocrite, Mme la marquise de Brinvilliers est passée tout à l’heure vous demander si vous vouliez l’accompagner dans ses visites charitables à l’Hôtel-Dieu pour porter les douceurs aux malades. Je lui ai dit que vous étiez au Louvre.

— Tu ne l’aimes pas beaucoup, on dirait ?

— Je ne l’aime pas du tout, et ne me faites pas de contes, elle vous déplaît autant qu’à moi.

— C’est vrai. Elle est charmante pourtant ! Jolie, gracieuse et obligeante. Toujours prête à rendre service…

— Trop ! Beaucoup trop ! Si vous voulez m’en croire, moins vous la verrez et mieux vous vous porterez !

Sylvie ne répondit pas. Depuis qu’un jour, sur le chemin de l’église, elle l’avait payée de l’aide apportée à Beaufort en présentant la jeune femme à la Reine, elle s’était efforcée de ne pas développer davantage leurs relations parce qu’elle n’arrivait pas à éprouver de la sympathie pour la marquise. Peut-être à cause de cette avidité à fleur de peau qu’elle avait découverte. En outre, sa réputation, encore intacte au moment où toutes deux étaient entrées en relations, se dégradait avec une curieuse rapidité. Mme de Brinvilliers affichait sa liaison avec un certain chevalier de Sainte-Croix qui se disait alchimiste. Le mari, quant à lui, ne cachait pas davantage ses relations avec une certaine personne, et les échos des colères du Lieutenant civil Dreux d’Aubray, père de la marquise, débordaient de beaucoup les limites de la rue Neuve-Saint-Paul.

Perceval qui entretenait toujours de bonnes relations avec ceux de la Gazette – le fils de Théophraste Renaudot et son petit-fils, l’abbé, qui s’intéressait beaucoup aux nouvelles – prétendait même qu’il lui arrivait de fréquenter les tavernes et qu’elle buvait de façon immodérée. Aussi déconseillait-il fortement à Sylvie de poursuivre des relations qui ne lui apporteraient rien de bon. Dans les premiers temps, celle-ci avait résisté : ne devait-elle pas quelque chose à la marquise pour avoir aidé François à sauver Philippe ?

— Votre dette est payée, rétorqua-t-il. En outre, cette femme œuvrait surtout pour son propre compte : souvenez-vous qu’elle voulait écarter à tout prix du chemin de son père l’encore trop belle Mme de La Bazinière. Quand le destin a placé le duc de Beaufort sur son chemin, elle a sauté sur l’occasion : obliger un prince du sang, même bâtard, est une aubaine que l’on ne trouve pas à tous les coins de rue…

Avec le temps, Sylvie avait fini par admettre qu’il avait raison et s’était efforcée de tenir à distance la remuante marquise après l’avoir accompagnée à deux reprises dans ses visites aux malades de l’Hôtel-Dieu. Elle avait pourtant été sensible à la douceur, la gentillesse et la générosité avec lesquelles la jeune femme se penchait sur les plus misérables. Celle-ci était trop fine pour ne pas s’en être aperçue, et c’était le plus souvent pour obtenir sa compagnie dans ces occasions qu’elle venait la chercher.