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— Vous pouviez difficilement agir autrement. Je savais Marie capable d’une grande détermination, mais à ce point !… Son excuse est qu’elle vous aime depuis toujours, je crois. Peut-être autant que Sylvie elle-même…

— Sylvie ! dit Beaufort avec un accent douloureux. Pensez-vous qu’il me réjouisse de faire d’elle ma belle-mère quand je rêvais d’en faire ma duchesse ?

— Je pense qu’il faut laisser le temps au temps… que vous avez eu raison de mettre en avant les délais imposés par les circonstances. Mais… pouvez-vous me dire où se trouve Marie en ce moment ?

— À Solliès – c’est à trois lieues d’ici environ – chez la marquise de Forbin. Elle est, vous le savez peut-être, la mère de Mme de Rascas, la belle Lucrèce qui est la maîtresse de mon frère Mercœur et pour laquelle il fait construire à Aix ce qu’il appelle le pavillon Vendôme. C’est aussi pour moi une amie et je lui ai confié Marie, sans dire qu’elle est ma… fiancée puisqu’il paraît qu’elle l’est. J’ai exigé que, jusqu’à nouvel ordre, tout cela demeure secret…

— Sage précaution ! Peut-être arriverons-nous un jour à obtenir de Marie qu’elle vous rende votre parole ?

— Ne rêvez pas… Vous ne l’avez pas vue comme moi je l’ai vue…

La lettre s’achevait sur un récit succinct de l’entrevue que le chevalier de Raguenel avait eue avec Marie au château de Solliès et par l’annonce de son prochain retour. De toute évidence, la rencontre ne s’était pas bien passée et Perceval préférait attendre d’être en face de Sylvie pour en donner les détails. À moins qu’il préfère ne rien dire du tout. C’est du moins ce que pensait Mme de Schomberg :

— Pour qui sait lire entre les lignes il est très mécontent. J’avoue que je le suis aussi. Je n’aurais jamais cru ma filleule, que j’aime tendrement, capable de telles actions. Sa fugue m’amusait plutôt, je ne vous le cache pas, Sylvie, mais cette scène grandiloquente, cette façon d’obliger un homme à lui engager sa foi sous la menace du suicide me choque profondément. C’est d’un… commun !

— Oh c’est un peu ma faute ! soupira Sylvie. J’ai méconnu l’ardeur et la solidité de son amour pour François parce que je n’imaginais pas qu’il pût la conduire à de tels excès…

— Le malheur c’est que l’on ne connaît pas vraiment ses enfants. Parce qu’on leur a donné la vie, on doit penser qu’ils vous ressembleront en toutes choses, mais il y a derrière nous, derrière eux, des siècles d’ancêtres qui ont leur mot à dire. L’amour mis à part, les enfants restent des inconnus pour leurs parents… puisque l’amour est aveugle. Ce que vous vivez en ce moment, mon amie, me console de n’en point avoir…

Sylvie fit deux ou trois tours dans la pièce, redressant une fleur, maniant un livre aussitôt reposé, occupant ses mains pour tenter de dissimuler sa nervosité.

— Je me demande, s’interrogea-t-elle enfin, ce que Philippe pense de tout cela ? Mon parrain n’en parle pas.

— Peut-être parce qu’il n’en a rien à dire…

En réalité, Philippe était trop désorienté pour avoir une opinion précise. Le poids des nouvelles qui lui tombèrent dessus, à son retour d’inspection, l’étourdit un peu. L’arrivée de sa sœur, son installation chez Mme de Forbin-Solliès et l’entretien en tête à tête où Beaufort lui demanda la main de Marie, en spécifiant bien qu’il ne pouvait être question, en aucun cas, d’ébruiter la nouvelle, puis la longue promenade qu’il fit le long du port avec Perceval et, enfin, sa visite au château de Solliès dont il était un habitué, le plongèrent dans un abîme de réflexions où se bousculaient des questions sans réponses du genre de celle-ci : pourquoi un événement aussi heureux qu’un mariage entre gens qui s’aiment devrait-il être tenu secret ? Ou encore : pourquoi l’humeur de son chef bien-aimé, toujours si joyeuse depuis leur retour à Toulon, était-elle devenue détestable ? Enfin, pourquoi Marie, à la conduite de laquelle il ne comprenait pas grand-chose, semblait-elle vouloir effacer jusqu’au souvenir de leur mère ? Et pourquoi refusait-elle de rentrer auprès de Madame qu’elle aimait tant ?

L’abbé de Résigny, resté son confident le plus intime, lui conseilla sagement de rester à l’écart et de ne pas essayer de pénétrer les arcanes compliqués d’un cœur de jeune fille. La lettre de quinzaine que celui-ci adressait avec beaucoup de régularité à Mme de Fontsomme reflétait à la fois l’état d’esprit du jeune homme et les conseils qu’il lui prodiguait en duo avec Perceval.

Enfin, l’escadre quitta Toulon pour courir sus aux Barbaresques et Perceval de Raguenel reprit le chemin de Paris après une dernière entrevue avec Marie. Il avait le cœur lourd. Jusqu’à la dernière minute il avait espéré emporter un mot de tendresse pour Sylvie, mais, sûre désormais de la parole extorquée à Beaufort, plus sûre encore d’elle-même, de sa jeunesse, de sa beauté et d’une victoire finale qui chasserait enfin sa mère des pensées de son « fiancé », la jeune fille s’était contentée de lui déclarer :

— Dites-lui que je suis heureuse et que j’espère l’être davantage. Je lui suis reconnaissante d’avoir écrit son consentement à ce mariage que je désire tant. Peut-être nous aidera-t-elle à obtenir celui du Roi ?

— Je ne le lui conseillerai pas. Nul ne peut se permettre de tenter d’influencer une décision du Roi. Surtout en ce qui concerne le duc de Beaufort qu’il n’aime guère. Que ferez-vous s’il refuse ?

— Nous pourrons toujours nous marier secrètement. Comprenez donc, à la fin, que ce que je veux c’est être à lui, et que s’il fallait vivre l’exil cela ne me ferait pas peur puisque je serais avec lui…

Qu’ajouter à cela ? Perceval rejoignit Sylvie à laquelle il fit un rapport aussi complet que possible. Elle l’écouta sans rien dire puis, quand ce fut fini, elle demanda seulement :

— Dites-moi au moins comment est cette dame de Forbin ? Pensez-vous que Marie se trouve bien chez elle ?

— Oh, à merveille ! ricana Perceval. La marquise possède toutes les qualités d’une grande dame jointe aux grâces d’une femme aimable, cultivée et pleine de générosité, et nous pouvons remercier Dieu que cette folle lui soit confiée. Nous n’aurions pu espérer mieux et je la crois pleine de compréhension car, au moment où j’allais la saluer après avoir dit adieu à Marie, elle a murmuré : « Dites à Mme la duchesse de Fontsomme que je ferai en sorte qu’elle n’ait aucun reproche à m’adresser au jour où j’aurai l’honneur d’être en sa compagnie… »

Sylvie ferma les yeux pour mieux apprécier le poids d’angoisse qui se retirait d’elle. Sachant cette dame une amie de François et se souvenant trop bien de son expérience dans la demeure de Catherine de Gondi, à Belle-Isle, elle avait craint que Mme de Forbin-Solliès fût une ancienne maîtresse ou une amoureuse déçue. Il s’entendait si mal à juger les femmes ! Ce qui n’était pas le cas de Perceval. Aussi exhala-t-elle un long soupir, rouvrit les yeux et sourit au visage las de son vieil ami :

— Vous auriez dû commencer par me dire cela. Je n’ai guère confiance dans les « amies » de Monseigneur ! Eh bien, en ce cas, il ne nous reste plus qu’à attendre des nouvelles…

— Je peux déjà vous en donner de fraîches, dit Perceval en ouvrant son justaucorps pour en tirer une lettre. Avant de s’embarquer, le duc m’a donné ceci pour vous…