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L’ombre d’un sourire flotta sur les lèvres sèches.

— Peut-être après tout y ai-je eu quelque mérite ? Sans vous détester vraiment au début, je me méfiais de vous… surtout à cause de cet amour têtu que vous vous obstiniez à porter à mon fils…

— Je sais. Vous me l’avez déjà dit… en d’autres circonstances.

— Je n’ai pas oublié. J’étais certain que vous vouliez surtout être duchesse…

— La vie est étrange, n’est-ce pas ? Je le suis sans l’avoir voulu.

— C’est, je crois, ce mariage avec un homme de cette qualité qui m’a ouvert les yeux sur la vôtre. Surtout après sa mort du fait de mon fils, si peu de temps avant qu’il ne tue aussi son beau-frère. Nous sommes des hommes terribles, j’en ai peur. Je… je vous ai fait beaucoup de mal…

— Pas autant que vous l’auriez voulu car vous ne m’avez jamais détruite… et pas davantage l’amour que je n’ai jamais cessé de lui porter.

— Vous l’aimez toujours ?

— Oui… je l’aimerai jusqu’au bout… et peut-être au-delà, si Dieu le veut !

Un silence que combla aussitôt la lourde respiration du mourant à la recherche de son souffle.

— Me croirez-vous si je vous dis que j’en suis… très heureux ?… À présent… je dois dire pourquoi je vous ai mandée. C’est d’abord… pour vous demander de me pardonner… un pardon à la mesure de mes remords qui sont profonds. Ensuite… Je voudrais que vous veilliez sur François… Il va être amiral de France et il a de nombreux ennemis que cette haute charge n’apaisera pas, tant s’en faut.

— Comment le pourrais-je ? Il court les mers à des centaines de lieues de moi, exposé à tous les dangers de la mer et des hommes…

— Quand on va mourir, il arrive que l’avenir entrouvre son voile. Un grand amour possède infiniment de puissance… et je sens qu’un jour il aura besoin du vôtre… Me promettez-vous ?

Vaincue par l’émotion, Sylvie se laissa tomber à genoux auprès du lit.

— Je vous le jure, monseigneur ! Tout ce qui sera en mon pouvoir, je le ferai pour lui…

— Me pardonnez-vous ?

— De tout mon cœur…

Alors, à travers les sanglots qui la secouaient, elle sentit sur son front la main de César qui traçait lentement le signe de la Croix.

— Que Dieu vous bénisse… comme je vous bénis ! S’il veut entendre le pécheur que je suis, je le prierai pour vous deux…

Au contraire de ce que l’on aurait pu penser, Louis XIV montra un réel chagrin de la mort de cet oncle tout en contrastes, à la fois follement brave et calculateur, débauché et cependant profondément chrétien avec des repentances spectaculaires, mais aussi généreux et compatissant aux petites gens, comme l’était François, cet oncle qu’il appelait « mon cousin ». Et puis, c’était le dernier des fils d’Henri IV qui retournait au Père. Aussi, à la surprise générale, ordonna-t-il que ses funérailles fussent celles d’un prince du sang. Tant qu’il fut en son hôtel de Vendôme, quatre hérauts d’armes veillèrent aux angles du catafalque aspergé régulièrement d’eau bénite par le premier gentilhomme de la Chambre. Partagée entre l’orgueil et le chagrin, la duchesse priait au pied du cercueil. Sylvie vint y plier le genou et dire une prière, en compagnie de Perceval mais aussi de Jeannette, et même de Corentin accouru de Fontsomme, pour saluer une dernière fois le prince dont ils avaient été les serviteurs. Ce fut pour Sylvie l’occasion d’apprendre que, dans son château de Picardie, le jeune Nabo reprenait goût à la vie en s’initiant à la culture et à l’art du jardinage : il était pour Corentin une aide non négligeable et toujours souriante…

Ensuite, elle, Jeannette et Perceval partirent pour Vendôme où l’on allait célébrer les funérailles. Seuls le fils aîné Louis de Mercœur, qui devenait duc de Vendôme, et ses deux fils, Louis-Joseph et Philippe, respectivement âgés de onze et dix ans, menèrent le deuil : l’escadre de Beaufort guerroyait toujours quelque part au large des côtes africaines…

Après que César eut été déposé en grande pompe dans le caveau de la collégiale Saint-Georges, Sylvie, avec une profonde émotion, fit ses adieux à celle qui lui avait servi de mère : Françoise de Vendôme voulait demeurer à jamais auprès de celui qu’elle avait aimé, qui lui avait donné de si beaux enfants et qui, en dépit de sa vie dissipée, lui avait toujours gardé une tendre admiration. Elle allait habiter le couvent du Calvaire où, depuis quelque temps déjà, elle se faisait bâtir un logis particulier ; elle y vivrait sous l’habit religieux…

Enfin, avant de reprendre le chemin de Paris, Sylvie tint à effectuer un dernier pèlerinage : monter seule au sommet de cette tour de Poitiers qu’elle regardait si souvent en pleurant de rage, jadis, quand ses petites jambes de quatre ans lui en interdisaient l’ascension. Elle se jurait, alors, d’y arriver un jour…

C’était chose faite à présent et, dans le vent aigre de novembre elle regarda longuement la ville et la campagne étendues à ses pieds, sachant qu’elle n’y reviendrait plus. Aussi bien n’avait-elle plus rien à y faire : elle était duchesse, l’égale de François, et la tour était à jamais vaincue… mais elle n’en était pas plus heureuse pour cela. Aujourd’hui, avec le duc César, elle enterrait son enfance, demain, avec la Reine Mère, elle dirait adieu à une adolescence trop brève dont elle regrettait à présent qu’elle n’eût pas duré plus longtemps.

Car Anne d’Autriche, elle aussi, s’en allait vers une mort qui lui semblait de plus en plus désirable. Dans son grand lit de soie et de velours bleu brodés d’or, couronné en haut de chaque colonne par un bouquet de plumes bleues, « aurore », et d’aigrettes blanches, elle endurait un martyre que l’opium dont ses médecins la bourraient parvenait de moins en moins à éteindre les douleurs. Déchéance suprême pour cette femme belle, soigneuse de sa personne et toujours si délicate dans ses goûts, le sein gangrené répandait une odeur pénible que ses femmes s’efforçaient d’écarter d’elle en agitant des éventails en peau d’Espagne au parfum chaleureux.

Cette longue torture dura jusqu’en janvier. Un matin, soulevant pour la regarder l’une de ses belles mains, elle murmura :

— Ma main est enflée… Il est temps de partir…

Il était temps, en effet. Alors se déroula le lent cérémonial qui accompagne les rois jusqu’à l’heure dernière et qui commençait par une longue et minutieuse confession…

Ce matin-là, au moment où son carrosse la déposait à la porte du Louvre, Mme de Fontsomme vit la maréchale de Schomberg descendre d’une voiture trop maculée de boue et de neige pour ne pas arriver tout droit de la campagne. Elle courut vers elle avec une exclamation de joie :

— Comment êtes-vous si vite arrivée, Marie ? demanda-t-elle en l’embrassant. Aux petites heures du matin, j’ai envoyé un courrier à Nanteuil pour vous demander de vous hâter si vous vouliez revoir notre reine vivante…

— Mlle de Scudéry qui m’écrit souvent – pas à moi seule d’ailleurs : elle doit écrire un volume tous les jours – m’a fait savoir hier que Sa Majesté allait mourir. Elle a souvent tendance à exagérer les choses, mais cette fois, sa lettre rendait un son de vérité et je suis partie cette nuit…

— J’en suis tellement heureuse, mon amie ! Naturellement je vous garde chez moi. Renvoyez-y votre équipage se faire bouchonner et se mettre au chaud puisque j’ai le mien.

En se tenant par le bras, elles traversèrent ensemble la grande cour qu’une averse de neige avait blanchie dans la nuit et atteignaient le Grand Degré quand elles virent devant elle un homme déjà âgé, qui montait lentement en s’appuyant sur une canne et que certains de ceux qui se rendaient chez la Reine Mère saluaient en le dépassant. L’ex-Marie de Hautefort eut tôt fait de le reconnaître et l’arrêta :