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Le regard bleu et le regard noir, aussi étincelants l’un que l’autre, se croisèrent comme des lames d’épée. Ce fut le Roi qui détourna la sien.

— Maudite tête de bois ! Faites comme vous l’entendrez !… Adieu, madame !

Comme si elle eût été celle d’un simple particulier en colère, la porte royale claqua le plus démocratiquement du monde. Avec un bon sourire, le capitaine des mousquetaires offrit derechef sa main à sa compagne :

— M’offrirez-vous un gobelet de vin chaud à la cannelle ? Par ces temps de froidure, c’est le meilleur remède que je connaisse contre les gelures du cœur.

— Tout ce que vous voulez ! Je ne remercierai jamais assez le Ciel de m’avoir donné un tel ami.

Et c’est ainsi, fièrement accompagnée par d’Artagnan et saluée, grâce à lui, par tous les soldats de garde, que Sylvie quitta le Louvre vingt-neuf ans, presque jour pour jour, après y être entrée dans le carrosse de la duchesse de Vendôme. Cette fois, pour n’y plus revenir.

Dans la cour, le capitaine demanda son cheval, mit Sylvie en voiture et l’escorta dans les rues nocturnes jusqu’à sa demeure. Voyant deux voitures qui attendaient, il préféra se retirer :

— Le vin chaud sera pour plus tard. Vous avez des visites et il vaut mieux que je regagne le Louvre.

— Je suis triste à la pensée que nous ne nous verrons plus, soupira Sylvie.

— Et pourquoi s’il vous plaît ?

— Demain je pars pour Fontsomme d’où je ne bougerai et je ne veux pas vous mettre dans un mauvais cas vis-à-vis du Roi.

D’Artagnan eut un sourire féroce qui fit briller ses dents blanches :

— Il faudra bien que ce blanc-bec apprenne que, s’il veut de bons serviteurs, il faut les laisser libres de leurs affections. J’irai vous voir et vous donner des nouvelles. Et c’est à moi que je ferai plaisir alors parce que… je ne peux pas imaginer une existence d’où vous seriez à jamais absente.

Émue, elle lui tendit une main sur laquelle il attarda ses lèvres puis, sautant en selle aussi lestement qu’à vingt ans, le mousquetaire partit sans se retourner…

Au coin de la cheminée de la bibliothèque, Sylvie trouva Marie de Schomberg, Perceval et La Porte qui l’attendaient en buvant ce vin à la cannelle auquel d’Artagnan avait renoncé. Lorsqu’elle les rejoignit, les trois visages se tournèrent vers elle :

— Eh bien ? dit la Maréchale.

— Exilée sur mes terres. Comme vous et comme vous, ajouta-t-elle en regardant tour à tour l’ancienne dame d’atour et le plus fidèle serviteur d’Anne d’Autriche. Celui-ci se leva et fit deux ou trois tours dans la pièce :

— Je gagerais ma tête que j’ai raison. Le confesseur de la Reine Mère a dû exiger d’elle, pour lui donner l’absolution et avant qu’elle ne reçoive le corps du Christ, qu’elle dise la vérité à son fils aîné.

— Et moi je dis que c’est impossible ! s’écria Marie. Même en confession, un secret d’État n’est pas fait pour les oreilles du premier prêtre venu !

— Mgr d’Auch n’est pas le premier prêtre venu et, même s’il l’était, violer le secret de la confession entraîne la damnation, dit Perceval. Cela dit, l’adultère est un péché grave : la Reine se devait à elle-même d’en décharger sa conscience. Je pense comme La Porte : le Roi sait tout à présent. Et vous êtes en danger… N’avez-vous pas été les complices de ses amours avec Beaufort ?

— Elle ne nous aurait pas livrés ! lança Marie avec violence…

— Livrés non, reprit La Porte, mais il a dû exiger de savoir qui pouvait être au courant. Cependant, je suppose qu’avant de donner des noms elle a dû faire jurer au Roi de ne pas nous faire de mal. Sinon nous serions déjà à la Bastille. Il se contente de nous éloigner de lui à jamais.

— La Porte a raison, approuva Perceval. Le hasard a voulu que, réunis tous trois, vous soyez les premiers à tomber sous son regard quand il est sorti de la chambre après avoir appris que, s’il porte bien le sang d’Henri IV, il n’a pas celui de Louis XIII. C’est une terrible révélation pour un jeune homme aussi orgueilleux, même si sa mère lui a donné la certitude que son frère Philippe n’en saurait jamais rien. Ce vieux renard de Mazarin savait ce qu’il faisait quand lui et la Reine développaient à qui mieux mieux les goûts féminins du petit prince afin qu’il ne devienne jamais un second Gaston d’Orléans. Louis est le Roi et entend bien le rester. Il est assez normal qu’il écarte de ses regards des visages qui ne peuvent que lui rappeler sa vérité.

— Vous pensez que Mazarin savait ? demanda Mme de Schomberg.

— Elle ne lui a jamais rien caché, fit La Porte avec amertume. N’était-il pas son époux secret ?

La voix de Sylvie, qui se taisait depuis un moment, se fit entendre :

— Et Beaufort ? Que devient-il dans tout cela ?

Le nom généra un silence où l’effroi se mêlait à l’anxiété. Tous savaient que Louis XIV n’avait jamais aimé le plus turbulent des Vendôme et n’osaient imaginer ce que pouvaient être ses sentiments maintenant qu’il savait… Ce fut encore Perceval qui le rompit :

— Le Roi Très Chrétien ne saurait accomplir un parricide qui le damnerait… Mais vous avez raison, Sylvie, de penser à lui. Je vais repartir pour Toulon où je l’attendrai : il faut qu’il soit prévenu de vive voix. Une simple lettre qui peut tomber en n’importe quelles mains serait trop dangereuse. Je vous rejoindrai à Fontsomme… car, bien sûr, vous partez ?

— Dès demain. Cette maison comme celle de Conflans vont rentrer dans le sommeil en attendant que mon fils les réveille…

Le lendemain 26 janvier 1666, Anne d’Autriche mourait, quelques minutes avant cinq heures du matin, en pressant sur ses lèvres le crucifix qu’elle avait gardé toute sa vie à la tête de son lit. Ainsi qu’elle l’avait demandé, on la revêtit de la bure des Tertiaires de Saint-François avant de porter son corps à la nécropole royale de Saint-Denis où elle rejoindrait son époux…

Toutes les cloches de Paris sonnaient en glas lorsque trois voitures, emportant respectivement Mme de Schomberg, La Porte et Sylvie, quittèrent la rue Quincampoix. Perceval, pour sa part, avait opté courageusement pour la chaise de poste en dépit du souvenir médiocre qu’il en gardait.

Avant de quitter son hôtel, Mme de Fontsomme avait réuni son personnel pour le mettre au courant de sa nouvelle situation et rendre leur liberté à ceux qui le désireraient. Mais il n’y eut pas la moindre défection. Berquin et Javotte resteraient à Paris avec quelques valets pour l’entretien de la maison. Tous les autres, y compris le nouveau cuisinier, optèrent pour le château ducal :

— Il n’y a aucune raison pour que Mme la duchesse mange mal sous le prétexte qu’elle habitera désormais la campagne, dit Lamy. En outre, j’y serai à l’aise pour écrire le Traité sur le petit gibier à poil et à plume que j’ai en tête depuis quelque temps…

Le seul regret de Sylvie, en quittant Paris, allait à sa jolie maison de Conflans qu’elle avait toujours aimée et où elle se sentait chez elle plus que nulle part ailleurs. Pour le reste, elle n’était pas attachée à l’hôtel parisien, et moins encore à cette Cour pavée d’embûches et d’ambitions assez sordides, en dépit de la pitié affectueuse que lui inspirait la pauvre petite Reine, plongée dans un réel chagrin et qui allait se trouver bien seule, privée d’un soutien moral que nul ne pourrait lui rendre.

Elle avait raison de craindre un surcroît de chagrins et peut-être aussi d’isolement pour Marie-Thérèse : à peine sa mère eut-elle fermé les yeux que Louis XIV, avec un cynisme confondant, joignait sa maîtresse au nombre des dames de son épouse : La Vallière quittait le Palais-Royal et l’entourage de Madame pour rejoindre celui de la Reine. Le Roi pourrait ainsi la voir plus souvent.