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— Marie ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Cela veut dire que vous avez gâché ma vie et que je ne vous le pardonnerai jamais, vous entendez ? Jamais !

Un sanglot étrangla le dernier mot.

Malgré la colère qu’elle sentait monter en elle devant tant d’injustice, Sylvie s’efforça au calme : les traces de chagrin que portait le ravissant visage la poussaient plus à ouvrir les bras qu’à brandir la foudre. François, sans doute, l’avait repoussée et… mon Dieu, c’était déjà si beau qu’elle n’ait pas mis son horrible menace à exécution et qu’elle soit là, bien vivante…

— Si tu essayais de me dire ce qui s’est passé ? Pourquoi avoir quitté, en plein hiver, le château de Solliès où tu te plaisais pour accomplir ce long chemin ? Et seule par-dessus le marché ? Tu n’as donc pas vu Perceval ?

Cette fois, Marie lui fit face et croisa les bras sur sa poitrine comme pour barrer l’accès de son cœur :

— Non, je ne l’ai pas vu. Pas plus que je n’ai vu l’homme que je voulais épouser et qui m’avait juré sa foi…

Elle ne retenait plus ses larmes et Sylvie sentit l’épouvante l’envahir. En dépit des liens du sang révélés, Louis XIV aurait-il fait assassiner Beaufort comme il avait fait exécuter le pauvre Nabo ?

— Pourquoi ne l’as-tu pas vu ? Que… que lui est-il arrivé ?

Au milieu de ses pleurs, Marie eut un sourire de dédain :

— Soyez rassurée ! Votre amant se porte bien. Du moins je le suppose car la flotte était encore en mer quand je suis partie.

— Mon amant ? M. de Beaufort ne l’est pas.

— Il ne l’est peut-être plus mais il l’a été, sinon je ne vois vraiment pas comment il aurait pu devenir le père de mon frère !

Un instant calmée, l’épouvante s’empara de nouveau de Sylvie qui eut un cri :

— Qui t’a dit une chose pareille ?

— Un ami de Mme de Forbin qui est devenu le mien. Un gentilhomme qui semble tout savoir de vous, ma mère !

Les deux derniers mots furent crachés avec un dégoût qui acheva de bouleverser Sylvie. Un terrible effort de volonté la tint debout au bord du gouffre qui menaçait de l’engloutir.

— On dirait que tu choisis bien mal tes amis. Puis-je savoir le nom de celui-là ?

Si elle croyait que Marie allait le lui lancer à la figure, elle se trompait. La jeune fille resta un instant sans voix, la regardant avec une espèce de dégoût.

— Et vous ne niez même pas ? Tout ce qui vous importe, c’est de savoir qui m’a empêchée de me couvrir de honte et de ridicule ?

— Pourquoi la honte ? Pourquoi le ridicule ? M. de Beaufort n’est pas ton père, que je sache ?

— S’il est celui de mon frère c’est exactement la même chose à mes yeux. En l’épousant je deviendrais la belle-mère de Philippe et cette idée me fait horreur ! Je ne veux pas de vos restes ! Et que vous ayez pu en accepter jusqu’à l’idée m’est insupportable. M. de Saint-Rémy avait bien raison…

Sylvie sursauta :

— Quel nom as-tu dit ? Saint-Rémy ? J’ai bien entendu ?

Marie parut soudain gênée et surtout mécontente d’elle-même :

— Cela m’a échappé mais… vous avez bien entendu. On dirait que vous ne l’aimez guère ? ajouta-t-elle avec un petit rire qui sonna faux.

— Si c’est celui que je crois, si c’est un homme revenu des Îles il y a peu d’années.

— C’est bien lui. Ce qui prouve que vous le connaissez autant qu’il vous connaît.

Sylvie ne répondit pas tout de suite. Le retour inopiné de cet ennemi juré l’accablait. Elle ne savait par quel chemin tortueux il s’était introduit dans la noble famille provençale où sa fille avait trouvé refuge, mais n’était pas loin d’y voir le doigt du destin attaché à la ruine de sa maison et des siens. Elle alla s’asseoir dans un fauteuil, ou plutôt s’y laissa tomber.

— C’est à M. de Beaufort que tu aurais dû en parler. Une nuit, dans le cimetière Saint-Paul à Paris, il a failli le tuer au moment où il s’apprêtait à faire mourir ton jeune frère d’une horrible façon, afin de pouvoir revendiquer le titre de duc de Fontsomme auquel il prétend avoir des droits. Ce démon a pu lui échapper et disparaître grâce, je le suppose, à la protection de Colbert qui ne nous pardonne pas notre amitié pour Nicolas Fouquet et les siens.

— Quelle fable me contez-vous là ?

— Ce n’est pas une fable, malheureusement. Libre à toi d’y croire ou de n’y pas croire, mais je regrette infiniment que M. de Raguenel ne soit pas ici pour te la raconter.

— Au fait… Où est-il ? Vous disiez tout à l’heure…

— Il est parti attendre à Toulon M. de Beaufort qu’un grave danger menace. Si j’ai bien compris, cela ne te concerne plus. Puis-je te demander ce que tu comptes faire à présent ? Restes-tu ici ?

— Vous plaisantez, ou n’avez-vous pas remarqué la voiture qui m’attend dehors ? Je suis seulement venue vous dire ce que je pensais de vous et de votre conduite.

— Tu as raison. Il vaut mieux que les choses soient claires entre nous. À ce propos, et toujours dans un souci de clarté, tu peux t’installer rue Quincampoix ou à Conflans. Tu seras certaine de ne pas m’y rencontrer : le Roi m’a exilée ici comme il a exilé ta marraine à Nanteuil… et certains autres.

Marie s’attendait à tout sauf à cela. Elle ouvrit des yeux immenses.

— Vous ? Exilée ? Mais pourquoi ?

— Cela ne te regarde pas. Ah, encore une question : ton frère sait-il ce que t’a confié ce bon M. de Saint-Rémy ?

— Comment l’aurait-il pu : il est encore en mer avec… dois-je dire son père ?

Sylvie laissa aller sa tête contre le haut dossier de velours et ferma les yeux, infiniment lasse :

— Tu le peux, mais pour l’amour de Dieu et s’il te reste une once d’amour pour lui, ne dis jamais rien à Philippe, sinon qu’il doit se garder d’approcher si peu que ce soit un monstre nommé Saint-Rémy et qui n’en veut qu’à sa vie.

— Je ne dirai jamais rien. Vous pouvez dormir en paix avec votre secret.

Sylvie ne la vit pas ramasser ses fourrures et marcher vers la porte en les traînant derrière elle. Elle ne l’entendit pas sortir. Ce fut seulement quand la chaise roula sur les graviers de la cour d’honneur qu’elle sut qu’elle n’avait plus de fille.

Lorsque Jeannette accourut vers elle après avoir vu Marie quitter le château de ses pères sans un regard pour quiconque, la duchesse avait glissé de son siège et gisait sur le sol, secouée par une violente crise de nerfs qui épouvanta sa suivante. On la releva, on la porta dans sa chambre à peine consciente.

Le soir venu, quand Perceval de Raguenel arriva au château, recru de fatigue mais assez satisfait d’avoir accompli sa mission – les navires de Beaufort étaient rentrés au port une heure après que Marie eut quitté Solliès –, il la trouva en proie à un violent accès de fièvre qui l’effraya. Sylvie, en effet, délirait et ce délire était tel que le chevalier décida de faire garder la malade par Jeannette, Corentin ou lui-même à l’exclusion de toute autre personne. On se relaierait à son chevet et toute visite serait interdite jusqu’à nouvel ordre. Y compris celle du médecin de Bohain que l’on avait appelé sans le trouver et qu’il se sentait tout à fait capable de remplacer.

Quant à Marie, il s’occuperait d’elle lorsque sa mère serait hors de danger…

CHAPITRE 10

LA GRANDE EXPÉDITION

Le temps et la maladie se refermèrent sur Sylvie plus étroitement encore que les murs de sa chambre. Ses nerfs, tendus à l’excès depuis trop longtemps, craquèrent d’un seul coup en même temps que se déclarait une fluxion de poitrine contractée en sortant trop peu couverte dans le froid hivernal. En dépit des soins de Perceval de Raguenel qui, outre sa parfaite connaissance des plantes, avait jadis pris goût à la médecine avec son défunt ami Théophraste Renaudot, son état s’aggrava au point que l’on en vint à redouter une issue fatale. Durant des jours et des nuits, Sylvie délira sous la garde de Jeannette et de Perceval, désolés et à peu près impuissants. Elle était si mal que Perceval n’osait s’éloigner pour se mettre à la recherche de Marie, qu’il rendait responsable en grande partie de l’état de sa mère. Pourtant, il fallait que la jeune fille sût ce qu’elle avait fait. Ce serait trop triste, trop injuste, surtout si Sylvie mourait sans avoir revu aucun de ses enfants !