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— Mais enfin si les enfants arrivent ?

— Ils attendront, voilà tout. À ce propos, je ne sais si votre intendant vous l’a dit, mais personne ne sait où se cache la jeune Marie.

— Pas même Mme de Montespan ?

— Pas même ! Et l’on n’en sait pas plus chez Madame où tout le monde est persuadé qu’elle est entrée dans un couvent. Pour en revenir à maître Ragnard c’est un homme qui ne parle pas, ou juste le nécessaire, qui a horreur des questions et ne vous répondra pas si vous lui en posez. Chez moi, il vit en solitaire dans une grande pièce sous les combles où il entasse une foule de livres et d’objets. On lui monte ses repas et il n’en sort que lorsque j’ai besoin de lui ou lorsque je change de résidence…

— Et cela satisfait Votre Altesse ?

— Tout à fait, même si mon Ragnard tient davantage du sorcier normand que du médecin traditionnel. Cela dit, la belle santé que toute la Cour m’envie devrait vous donner confiance…

— Certes ! Cependant Votre Altesse vient de dire qu’elle repartait demain ?

— Oui, mais je vous le laisse. Quand il s’estimera satisfait de son ouvrage, il vous le fera savoir et vous me le renverrez. J’ajoute qu’il n’acceptera aucun paiement… Mmm ! ajouta-t-elle en laissant palpiter ses narines, cela sent diantrement bon ! Montrez-moi ma chambre que je m’y lave les mains et passons à table ! Je meurs de faim.

Elle en apporta la preuve en faisant honneur à la cuisine de Lamy avec un entrain communicatif. Ainsi, Perceval qui n’avait pas faim se surprit à lui tenir tête fort honorablement. Elle tint même à féliciter le jeune maître queux en des termes qui firent craindre un instant à Perceval qu’elle ne lui offrît de passer à son service, mais Mademoiselle avait le cœur trop bien placé pour se faire payer l’aide qu’elle apportait. Elle partit le lendemain comme elle l’avait annoncé et ne cacha pas son plaisir de trouver dans sa voiture une grande bourriche remplie de pâtés, de tourtes, de pâtisseries et de confitures qui l’aideraient à supporter les longueurs du chemin. En tendant une dernière fois sa main à Perceval, elle murmura :

— Vous avez ma promesse, chevalier, que je ferai tout au monde pour raccommoder Sylvie avec le Roi. Il a toujours pour elle beaucoup d’affection et je ne comprends pas ce qui a pu se passer pour amener un tel changement !

— Pas maintenant, alors, Madame ! Je supplie Votre Altesse de ne rien tenter avant… quelque temps. Les ordres d’exil sont tombés sur un coup de colère du Roi. Il vaut mieux la laisser s’apaiser. D’autant que pour l’instant ma pauvre filleule serait bien en peine de paraître à la Cour.

— Soit ! Nous attendrons un peu… mais pas trop longtemps. Il n’est pas bon non plus de se faire oublier.

Raguenel pensait, au contraire, que se faire oublier serait la meilleure chose pour Sylvie et les anciens habitués du Val-de-Grâce[73], mais il ne voulait pas non plus décourager Mademoiselle. Il tint sa langue, salua une dernière fois et regarda la cavalcade encadrant le carrosse embouquer la grande allée à vive allure.

Commença alors, pour le château, une période étrange : il y avait Sylvie enfermée seule avec le médecin inconnu sans que personne pût savoir à quel traitement il la soumettait, et puis, autour, il y avait le château tout entier dont la vue semblait suspendue à cette chambre si bien close. Même Jeannette ne pouvait dire ce qui s’y passait. Suivie d’un laquais toujours chargé qu’elle laissait dehors, elle apportait de l’eau, de la nourriture qui se composait surtout de potages aux légumes, de lait et de compotes, changeait les draps du lit et le linge de la malade dont la maigreur l’effrayait, ou devait se procurer des choses aussi bizarres que de la glace et des sangsues mais, chaque fois qu’elle entrait, le médecin se tenait debout devant la fenêtre, le dos tourné, les mains appuyées à l’espagnolette ; il n’en bougeait pas sauf pour aider à changer les draps car il ne permettait pas l’entrée d’une autre servante. Il ne parlait pas, ne regardait même pas Jeannette, ce qui avait le don de l’agacer. Quant à Sylvie, elle la trouvait toujours endormie.

— C’est à croire qu’il lui donne une drogue pour ça avant que j’arrive, confia-t-elle à Perceval et à Corentin. Mais on dirait qu’elle va mieux. Elle n’est plus rouge et serait même plutôt pâle. Seulement, parfois, on dirait qu’elle souffre dans son sommeil. Oh ! J’ai tellement hâte qu’on nous la rende, conclut-elle en s’essuyant les yeux au coin de son tablier. Et puis ce n’est pas bien convenable, cet homme qui vit enfermé avec elle jour et nuit !

— Si c’est le prix à payer pour la guérir, c’est de peu d’importance, soupira le chevalier. Une grande malade n’est plus une femme pour son médecin et le médecin n’est plus un homme…

Cette belle confiance ne l’empêchait pas de passer des nuits blanches devant la porte si bien close, installé dans un fauteuil qu’il y transportait chaque soir, épiant les bruits, parfois bizarres, qui venaient de la chambre : cela ressemblait à des prières, des incantations dans une langue inconnue. Il en venait à penser qu’en disant qu’il y avait du sorcier dans ce Ragnard, Jeannette ne se trompait pas beaucoup. Cela expliquait le soin avec lequel Mademoiselle cachait ce médecin : la redoutable Compagnie du Saint-Sacrement avait de longues oreilles et même une princesse pouvait la redouter.

En attendant, Perceval trouvait le temps fort long, d’autant qu’il souffrait aussi du manque de nouvelles venues du monde extérieur. On ne savait toujours pas ce qu’était devenue Marie. Il avait fait lui-même un aller et retour à la Visitation de la rue Saint-Antoine dans l’espoir qu’elle y serait peut-être retournée, mais personne ne l’y avait vue. De plus – et plus inquiétant encore ! – il n’avait pas reçu la moindre réponse de Toulon. Personne n’avait répondu à sa dernière lettre. Pas même l’abbé de Résigny, cet infatigable écrivassier. La flotte s’était-elle encore déplacée ? Comment le savoir dans ce Fontsomme enfermé à la fois par les neiges et l’exil de sa maîtresse ?

Enfin, l’hiver s’effaça. La terre boueuse reparut avec les fondrières et les premiers bourgeons des arbres. Et puis, un matin, alors que Perceval rapportait son fauteuil chez lui, la porte de Sylvie s’ouvrit et maître Ragnard, habillé de pied en cap, son bagage à la main, fit son apparition. Il regarda le chevalier avec un grand calme et prononça les premières paroles que celui-ci eût entendues de sa bouche :

— Voulez-vous me faire préparer un cheval, s’il vous plaît ?

— Vous partez ?

— Sans doute. Mon ouvrage est achevé. La malade est entrée en convalescence et je n’ai plus rien à faire ici…

Il se dirigeait vers l’escalier, se ravisa :

— Vous trouverez sur la table mes instructions écrites pour les soins qu’il convient de donner encore dans les jours à venir. Serviteur, monsieur ! Ah ! Faites attention, elle a besoin de ménagements.

Fou de joie, Perceval l’accompagna aux écuries, cherchant un moyen quelconque de le remercier et aussi d’en savoir un peu plus sur le mal dont avait souffert Sylvie ; l’autre s’obstina dans un mutisme total, se contentant de soulever son chapeau lorsqu’une fois en selle il se dirigea vers la grande avenue du château. Perceval n’attendit pas qu’il se fût éloigné et prit sa course jusqu’à la chambre de sa filleule où une Jeannette enthousiaste l’avait précédé. Sylvie était étendue dans son lit les yeux grands ouverts, des yeux clairs et qui regardaient droit. Visiblement, elle était encore faible mais un peu de rose revenait à ses lèvres et elle sourit en tendant les bras vers lui :

— Que c’est bon de vous retrouver ! Il me semble que je ne vous ai pas vu depuis des années…