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— De quoi vous mêlez-vous, d’Artagnan ? s’écria le Roi tout de suite furieux – ce qui ne parut pas troubler le mousquetaire.

— De ce que diront les braves gens. Il est vrai qu’ils sont peu nombreux dans ce palais. Les courtisans, eux, applaudiront et se hâteront de s’inscrire chez le nouveau duc… Mais je sais bien, moi, ce qu’en aurait dit l’auguste mère de Votre Majesté.

— Laissez ma mère à son repos ! En évoquant son souvenir vous ne choisissez pas le meilleur avocat… – puis, s’apercevant soudain de l’étrangeté de sa phrase, il ajouta : La duchesse ne sera pas dépouillée comme vous le pensez : elle gardera son douaire et son manoir de Conflans, qui d’ailleurs lui appartient en propre. Ce qui allège son exil en lui permettant de résider aux abords de Paris…

— Voilà le défunt maréchal et son fils bien mal récompensés du sang versé. Ce misérable comme successeur alors que Votre Majesté n’ignore pas qu’il a tenté d’assassiner le jeune Philippe !

— Il s’est racheté depuis ! À présent, en voilà assez, capitaine. Estimez-vous heureux de ma mansuétude. Votre insolence vous vaudra seulement les arrêts pour un mois. Cela vous permettra de calmer votre tête un peu trop chaude pour mon goût !

D’Artagnan n’insista pas. Il connaissait ce ton tendu présageant un éclat de violence et craignit, non pour lui-même, mais pour Sylvie qui pouvait en faire les frais. Avant de rentrer chez lui pour s’y « arrêter » lui-même, il passa son commandement à son lieutenant et s’accorda une rapide visite au Palais-Royal, où il ne put voir Marie qui était allée prier chez les Carmélites de la rue du Bouloi mais où Madame lui réserva le meilleur accueil.

— Je dirai à Marie que vous êtes venu. Elle souffre beaucoup de la mort de son frère et vous sera reconnaissante de ce que vous avez tenté. Il y a des jours où la cruauté du Roi est confondante. Surtout quand on sait qu’il peut être si bon !

La bonté de Louis XIV, d’Artagnan n’y croyait plus guère. Revenu enfin en son logis, il prit la plume et écrivit à Sylvie une longue lettre où il laissa parler son cœur afin qu’elle fût bien certaine de pouvoir toujours compter sur son dévouement…

À présent, les deux promeneurs revenaient vers le château où les serviteurs occupés à charger dans deux chariots bagages et objets personnels venaient de s’arrêter pour s’empresser autour d’un carrosse de voyage, baisser le marchepied et ouvrir la portière avec des exclamations de joie devant la longue jeune fille mince et blonde, en grand deuil elle aussi, qui en descendait et que tous connaissaient si bien.

— Mon Dieu ! s’exclama Sylvie. C’est Marie !

Celle-ci touchait les mains que ces gens accablés de tristesse tendaient vers elle comme vers un espoir, puis quelqu’un lui désigna les jardins et ceux qui s’y trouvaient. Elle ramassa ses jupes et prit son élan vers eux. À trois pas environ, elle s’arrêta :

— Mère ! dit-elle d’une voix que l’émotion enrouait, je suis venue vous demander pardon…

Elle allait plier les genoux pour se laisser tomber sur le sable de l’allée lorsque Sylvie prévint le geste. Envahie d’une joie qu’elle n’espérait plus, elle ouvrit les bras pour y recueillir sa fille enfin revenue… La pâleur de Marie, la douleur peinte sur son joli visage disaient assez une souffrance égale à la sienne.

Un long moment, elles restèrent ainsi, serrées l’une contre l’autre, mêlant leurs larmes et leurs baisers.

— Il y a longtemps que je t’ai pardonné, murmura enfin Sylvie. Tout ce que j’espérais, c’était de revoir un jour ma petite fille. Oh, Marie, tu ne sais pas la joie que tu me donnes en revenant vers nous !

— Que tu nous donnes, rectifia Perceval. Mais moi, j’étais sûr que tu ne pourrais t’empêcher de venir partager avec ta mère ces heures terribles.

À son tour Perceval embrassait la jeune fille, avec une réticence qui n’échappa pas à Marie.

— Est-ce que vous ne me pardonnez pas ? fit-elle tristement.

— Je ne serai pas plus intransigeant que ta mère mais j’ai plus de mal qu’elle, bien que je t’aime toujours autant. Elle a failli mourir alors que nous ignorions ce que tu étais devenue et, quand nous l’avons appris, c’est elle qui m’a empêché d’aller te dire, devant Madame au besoin, ce que je pensais de toi. Au fond, elle avait raison et je n’aurais fait qu’envenimer les choses. À présent, je suis heureux et nous allons tout oublier ensemble. Mais est-ce que tu sais que nous partons dans une heure ?

— J’ai vu, en effet, vos préparatifs mais pourquoi si tôt ? Et pour aller où ?

— Nous ne voulons pas attendre que le nouveau seigneur nous chasse, dit Perceval avec amertume. Et nous allons à Conflans puisque c’est tout ce que la générosité du Roi laisse à ta mère. Et encore, parce que le manoir lui appartient en propre, comme les biens que lui a donnés, quand elle était enfant, feu Mme la duchesse de Vendôme dont Dieu ait l’âme, ajouta-t-il en ôtant son chapeau avec respect.

Sylvie ne put retenir un sanglot. La duchesse Françoise, en effet, était morte en septembre dernier dans le vieil hôtel du faubourg Saint-Honoré où elle était revenue après le départ de la grande expédition pour être plus proche des nouvelles. Elle avait soixante-dix-sept ans sans doute, mais son ancienne vitalité n’avait pas résisté à la douleur qui la frappait comme elle venait de frapper son fils aîné, Louis de Mercœur, cardinal-duc de Vendôme, abattu disait-on par la disparition de son frère. Et Sylvie avait souffert d’autant plus de la mort de celle qui avait été pour elle une seconde mère que son exil lui interdisait d’aller vers elle pour la revoir une dernière fois et prier au pied de son lit mortuaire.

Doucement, Marie glissa son bras sous celui de sa mère et repartit avec elle à pas lents vers la maison.

— Pauvre duchesse ! murmura-t-elle. On dirait que le sort s’acharne sur la maison de Vendôme.

— Oui, soupira Perceval. Elle aura survécu à ses trois enfants, ce qui est bien la chose la plus cruelle du monde. Dieu veuille protéger les deux garçons sur qui repose désormais la gloire de cette haute maison : le jeune duc Louis-Joseph qui n’a que seize ans et le petit Philippe qui a eu la chance de revenir de Candie entier… mais inconsolable de n’avoir pu retrouver son oncle…

— Beaucoup en sont inconsolables, murmura Marie. Le plus difficile est de se convaincre qu’on ne le reverra jamais plus… qu’il faudra vivre sans lui.

— Tu l’aimes toujours, souffla Sylvie en posant sa main sur celle de sa fille. Tu n’aurais pas dû lui rendre sa parole…

— Oh si ! En admettant qu’il soit allé au bout de ce mariage, il aurait fini par me détester…

Pour alléger l’atmosphère en changeant de sujet, Perceval demanda :

— Notre départ dérange tes plans, sans doute ? Tu pensais rester ici quelques jours ?

— Non. Je ne venais qu’en courant… pour faire ma paix avec vous avant de passer la mer dont on ne sait jamais ce qu’elle vous réserve. Madame part pour l’Angleterre. Le Roi l’envoie rencontrer son frère, le roi Charles II, pour rétablir l’entente entre les deux royaumes. Une ambassade extraordinaire en quelque sorte. Naturellement, je vais avec elle. Oh, le voyage ne durera guère : Monsieur, qui enrage depuis que le chevalier de Lorraine a été exilé, n’autorise pas sa femme à aller plus loin que Douvres où nous ne resterons que trois jours.

— C’est à la fois stupide et cruel ! remarqua Perceval. Quand le Roi décide…

— Monsieur ne s’incline pas toujours. Il est maladivement jaloux des succès d’une femme qu’il déteste depuis la mort de leur fils. La vie n’est pas toujours drôle dans ses châteaux, que ce soit au Palais-Royal, à Saint-Cloud ou à Villers-Cotterêts. Il a bien fallu que l’on concède ces restrictions… Mais j’ai encore autre chose à vous dire… une décision que j’ai dû prendre et que, j’espère, vous me pardonnerez…