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— Un pardon encore ? interrogea Sylvie surprise.

— Oui… à l’avance. Le pardon avant le péché… Cet homme qui va ici prendre votre place, ce Saint-Rémy… est amoureux de moi depuis longtemps, paraît-il. Je me suis résolue à l’épouser.

— Quoi ?

Une même exclamation incrédule à deux voix. Tandis que la duchesse pâlissait, le chevalier de Raguenel devint très rouge :

— Tu deviens folle ? gronda-t-il.

— Non. Essayez de comprendre ! Le Roi veut ce mariage parce qu’il y voit une façon de rattacher le rameau perdu au tronc principal…

— Le Roi ! cracha Perceval. Encore le Roi !…

— Toujours le Roi ! Il pense que nous aurons des enfants. Si je n’accepte pas, il lui fera épouser quelqu’un d’autre. Je suis donc déterminée à accepter et je puis vous assurer qu’il n’y aura jamais d’enfants…

— Non, ne fais pas cela, je t’en prie ! implora Sylvie. Et ne te fie pas au fait que cet homme est beaucoup plus âgé que toi. Si tu lui refuses ce que le mariage lui permet d’exiger, il peut te contraindre à le lui donner. Tu ignores encore, fort heureusement, à quelle violence peut en venir un homme qui désire une femme, ajouta-t-elle avec un frisson d’horreur rétrospective. Cela laisse d’inguérissables…

Mais Marie ne voulait pas en entendre davantage. D’un mouvement brusque, elle saisit sa mère dans ses bras, appuya un long baiser sur sa joue puis la lâcha et partit en courant rejoindre sa voiture :

— Il faudrait pour cela qu’il en ait le temps ! cria-t-elle dans le vent qui se levait. Ne vous tourmentez pas pour moi ! J’ai toujours une amie sûre en Mme de Montespan et Madame m’aime beaucoup. Elles sauront m’aider…

— Mon Dieu ! gémit Sylvie en joignant les mains sur son visage. Mais que veut-elle faire ? Épouser cet assassin ? Partager sa maison et son lit ? Oh, c’est impensable !

Perceval haussa les épaules et reprit son bras :

— Rien n’est impensable à la cour de Louis XIV, mais je fais confiance à Marie. Elle a du caractère et ses déterminations sont inflexibles, vous le savez bien. Et si la belle Athénaïs lui a gardé son amitié, elle sera protégée. On dit que le Roi en est fou !

Il s’interrompit : l’abbé de Résigny, son bréviaire à la main comme s’il s’agissait d’un jour semblable aux autres, descendait vers eux et rien dans sa tenue n’indiquait un prochain départ.

— Où allez-vous, l’abbé ? demanda avec quelque rudesse le chevalier de Raguenel. Il n’est plus temps d’aller prier dans le parc. Ne partez-vous pas avec nous ?

Le précepteur de Philippe, qui n’avait pas beaucoup diminué de volume depuis son retour, eut un sourire triste :

— Non, parce que, tous ces jours, j’ai beaucoup réfléchi, beaucoup prié aussi et, avec votre permission, madame la duchesse, je resterai…

— Quoi, vous nous abandonnez ? Vous voulez servir le nouveau seigneur ? fulmina Perceval devenu rouge de colère. Les choses ne seront plus ce qu’elles étaient, vous savez ! Ainsi, Lamy que vous aimez tant va servir au palais du Luxembourg. Mme la duchesse l’envoie à Mademoiselle pour la remercier de son amitié. De toute façon, elle ne peut plus garder le même train de maison. Vous allez maigrir, mon ami !

Le petit abbé eut soudain les larmes aux yeux :

— Je sais tout cela et vous me connaissez bien mal, chevalier ! D’ailleurs, si Jeannette suit sa maîtresse, est-ce que Corentin Bellec ne reste pas à son poste d’intendant du domaine ?

— Certes ! On ne peut laisser le duché aller à vau-l’eau sans surveillance. Le… nouveau maître – les mots sortaient avec tant de mal qu’il eut l’air de les cracher – pourrait demander des comptes. C’est un homme qui s’y intéresse fort et ce n’est pas par plaisir que Corentin reste…

— Moi non plus ! Il va veiller sur les biens terrestres ; moi, c’est sur l’âme de Fontsomme ! J’ai trop aimé mon jeune duc pour ne pas tout tenter pour faire comprendre à cet homme qu’il commet un crime et que…

— C’est au Roi qu’il faudrait faire comprendre ça !

Sylvie alors s’interposa entre les deux hommes, celui qui pleurait et celui qui tonnait :

— Je vous en prie, Parrain ! Vous ne devez pas traiter l’abbé de cette façon. C’est une grande preuve d’amitié qu’il nous donne et non une trahison comme vous semblez le croire. Cependant je la refuse : ce Saint-Rémy est dangereux…

— C’est possible mais je resterai tout de même. Voyez-vous, je suis tout disposé à être votre espion ici, et peut-être me sera-t-il donné d’y faire du bon travail ?

— Pourquoi pas, après tout ? Avez-vous déjà oublié, mon cher Parrain, ce que Marie vient de nous dire ?

— Non… non, je n’ai rien oublié ! Pardonnez-moi, l’abbé ! J’ai tendance à prendre en mal tout ce que l’on me dit depuis quelque temps… Je dois être en train de devenir une vieille bête… Merci de votre dévouement ! J’aurais dû me douter que c’était votre seule intention.

Il prit l’abbé dans ses bras pour lui donner une chaude accolade puis le lâcha si brusquement que le malheureux serait tombé si Mme de Fontsomme ne l’avait retenu. À son tour, elle se pencha pour poser un baiser sur sa joue rebondie :

— Vous serez peut-être plus utile encore que vous ne le croyez. À nous revoir, mon cher abbé ! Votre place vous sera toujours gardée chez moi… Ah ! voilà ceux du village qui nous arrivent ! Il est temps, je crois, d’aller leur dire adieu…

Tandis que la cour d’honneur de Fontsomme était le théâtre d’une scène émouvante où la duchesse et le chevalier de Raguenel purent prendre mesure de l’affection qu’on leur portait, Marie roulait vers Saint-Quentin où elle rejoindrait l’énorme cortège parti de Saint-Germain et qui devait accompagner Madame à Dunkerque. La jeune fille se sentait allégée, heureuse même d’avoir mis fin à une séparation si cruelle pour tous. Pleine aussi d’un courage puisé dans le renouveau de tendresse qu’elle éprouvait pour les siens. Ils n’avaient que trop souffert et Marie considérait que c’était à elle de les soutenir maintenant que Philippe, le cher petit frère, ne reviendrait plus. Philippe qu’elle aimait tant et que Fulgent de Saint-Rémy avait voulu tuer ! Elle avait le devoir de faire payer ses forfaits à cet homme qui l’avait abusée trop longtemps. Et cela à l’heure même où il croirait atteindre au triomphe !…

D’un geste machinal, elle chercha un sachet de velours glissé contre sa gorge et le tint un moment dans ses mains en le caressant du bout du doigt, avec quelque chose qui ressemblait à de la tendresse. Il y avait là de quoi libérer la famille de son cauchemar.

Environ dix-huit mois plus tôt, alors que Marie luttait contre le désespoir où l’avaient jetée les révélations de Saint-Rémy et le renoncement à son rêve, Athénaïs, alors en lutte quasi ouverte contre La Vallière, lui avait conseillé de consulter une devineresse :

— Elle dit des choses étonnantes et peut vous aider à les réaliser. Des Œillets vous conduira…

Et c’est ainsi qu’un soir, en compagnie de la suivante de la belle marquise, Marie s’était retrouvée au fond du jardin d’une petite maison sise rue Beauregard, dans ce faubourg de la Villeneuve-sur-Gravois qui avait poussé au début du siècle autour de l’église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Là, dans une sorte de cabinet meublé d’une table, de deux chaises et d’une tapisserie, elle avait rencontré une certaine Catherine Monvoisin, dite la Voisin, assez belle femme rousse de trente-sept ou trente-huit ans, vêtue d’un manteau de velours pourpre brodé d’or et d’une jupe vert d’eau drapée de « point de France », qui avait failli déclencher son hilarité plutôt que sa confiance. Pourtant, ce qu’elle lui dit retint son attention car elle décrivit assez bien la situation dans laquelle se débattait la jeune fille – dans les grandes lignes tout au moins ! Là où Marie cessa de la suivre, c’est quand elle lui prédit un nouvel amour, un amour qui viendrait de loin.