Выбрать главу

— Ici bien sûr, bien que je n’y sois pas à demeure. Je bouge beaucoup et je suis censé avoir lié connaissance avec Ganseville ici… Essayez de dormir, à présent ! Je vais en faire autant…

Le lendemain, comme convenu, Sylvie était malade. Lovée au fond de son lit sous un amoncellement de couvertures et d’édredons, elle toussait à fendre l’âme quand d’Artagnan se présenta à l’auberge :

— La pauvre dame a pris froid, c’est sûr, lui dit l’hôtesse qui justement s’apprêtait à monter un bol de lait chaud. Monsieur son oncle est auprès d’elle.

Le pli soucieux entre les sourcils du capitaine se creusa un peu plus.

— Je vous suis. Il faut que je parle au moins à lui…

Laissant sa prétendue nièce aux mains de la bonne femme, Perceval sortit de la chambre et entraîna d’Artagnan dans la sienne.

— Elle n’est pas raisonnable, lui confia-t-il. Elle ne prend pas assez soin d’elle-même : ce voyage, alors que nous abordons l’hiver, était une folie, mais elle n’a pas voulu m’écouter et, depuis qu’elle a été si malade, j’évite de la contrarier…

— Si vous espérez lui faire rebrousser chemin, vous vous trompez. Telle que je la connais, si elle a décidé d’aller prier au saint suaire, elle ira…

— Oh, je ne l’ignore pas !… Au fait, pourrons-nous voir M. de Lauzun ?

— Oui. Je venais vous dire que Saint-Mars vous recevrait ce soir vers neuf heures. Je ne vous cache pas que cela n’a pas été sans mal. Je n’ai jamais connu cet homme aussi pusillanime, aussi inquiet. Il donne l’impression d’être assis sur un tonneau de poudre. Je ne sais à quoi cela tient. C’est proprement ridicule. Quoi qu’il en soit j’ai réussi, mais il m’a fallu lever l’incognito de la duchesse. Il a admis qu’il lui devait quelque chose…

— Quelque chose ? fit le chevalier de Raguenel avec dédain. C’est priser bien bas son honneur et sa vie…

— C’est ce que je lui ai dit mais que voulez-vous, il n’est plus mousquetaire. Seulement geôlier. Et un geôlier fort bien payé : cela vous change un homme… Bon, je vais aller lui annoncer la maladie de notre duchesse et lui dire que c’est partie remise. De toute façon je vais rester ici jusqu’à ce que vous ayez vu Saint-Mars…

Soudain, Perceval eut aussi chaud que Sylvie dans son lit.

— Mais, vos ordres, vos hommes ?…

— Cahuzac, mon brigadier, peut se mettre en route avec eux. Je les rattraperai plus tard…

C’était la dernière chose à faire et pour un peu Perceval eût crié « Au secours ». Pourtant, il eut assez d’empire sur lui-même pour réagir comme il convenait. Son visage devint un poème de sérénité et de charité chrétienne tandis qu’il posait une main lénifiante sur l’épaule du mousquetaire :

— Non, mon ami. Nous ne pouvons accepter que vous vous mettiez pour nous dans un mauvais cas. Déjà vous en avez fait beaucoup en obtenant de M. de Saint-Mars qu’il nous permette d’embrasser le cher Lauzun. Ma filleule refusera que vous fassiez plus…

— Je ferais bien davantage pour Mme de Fontsomme. Comprenez que j’aie peine à l’abandonner, malade, dans ces montagnes hostiles…

— Si vous m’accordiez confiance ? fit Perceval la mine vexée. Je suis un peu médecin et je peux vous assurer qu’elle sera vite remise. Le pèlerinage fera le reste et nous rentrerons sagement à Paris ensuite.

— N’y voyez pas offense, chevalier ! Je sais bien que vous veillez sur elle comme un père. Eh bien, je reviendrai lui faire mes adieux tout à l’heure… Ah, n’oublions pas ceci ! Le laissez-passer pour vous rendre au château. Sans lui vous ne franchiriez pas la première enceinte. Je retourne prévenir Saint-Mars et je reviens…

L’alerte avait été si chaude que Perceval dut s’asseoir avant d’aller rendre compte à Sylvie. Qui le réconforta :

— Ce cher ami ! ajouta-t-elle avec un soupir attendri. S’il nous a fait peur quand nous l’avons découvert ici, il faut avouer qu’il nous aura fort aidés sans le vouloir. Son laissez-passer est sans prix. Cela vaut bien un peu d’angoisse et vous avez su dire ce qu’il fallait…

Sa reconnaissance – et aussi la profonde amitié qu’elle lui vouait – lui dicta des mots charmants quand le capitaine vint la saluer avant son départ. Elle promit de prier pour lui à Turin, mais ce fut tout de même avec un vif soulagement qu’elle entendit le pas des chevaux décroître puis s’éteindre sur la route de montagne. Le temps toujours froid, sans excès, s’était éclairci dans la nuit. On pouvait en augurer que le voyage des mousquetaires serait sans encombre… Restait maintenant à patienter dans cette chambre d’auberge pendant les trois jours que l’on avait fixés comme terme à sa maladie fictive.

Dans l’après-midi du quatrième, Sylvie et Perceval quittaient ostensiblement Pignerol en direction de Turin. Au bout d’un quart de lieue, on abandonna la route pour un chemin qui s’enfonçait entre deux collines et rejoignait une ferme en ruine, depuis longtemps repérée par Philippe et dont, pendant la « maladie » de sa mère, il avait montré l’accès à Grégoire. C’est là que l’on retrouva Ganseville et Philippe. On allait y attendre la nuit et l’heure de se rendre chez Saint-Mars à qui, le matin, Sylvie avait fait porter un mot par son cocher, annonçant sa visite pour le soir même.

Jamais sans doute le sablier du temps ne se vida si lentement. Les cinq personnes réunies là étaient à la fois pressées par la hâte de commencer l’aventure et conscientes des périls qu’elle comportait. Tout allait dépendre des réactions de Saint-Mars. S’il se considérait quitte envers Sylvie par une simple rencontre avec un prisonnier somme toute anodin, tout était à craindre lorsqu’il saurait le but réel de la visite et le chevalier de Raguenel s’efforçait de cacher la peur grandissante qu’il éprouvait. D’autant plus poignante qu’il n’y serait pas : seul Pierre de Ganseville jouant son personnage accompagnerait Mme de Fontsomme. Lui et Philippe allaient devoir attendre dans les ruines le retour de la voiture. Si elle revenait ! Et il n’était pas possible d’exprimer son angoisse tout en sachant fort bien que ses compagnons devaient en éprouver autant.

Deux d’entre eux, pourtant, affichaient un véritable optimisme : Sylvie d’abord, galvanisée par l’idée de se dévouer pour celui qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer. Ensuite Pierre de Ganseville. De l’homme accablé par le désespoir et hanté par les idées de suicide que Philippe avait rencontré sur le Lacydon, il ne restait rien. L’approche de l’action, l’excitation de ce qui serait peut-être le dernier combat lui restituaient, non pas un courage inhérent à sa nature, mais une vitalité nouvelle. Tout à l’heure, quand Sylvie, en le rejoignant pour la première fois, l’avait embrassé spontanément sans rien dire mais avec des larmes dans les yeux, il avait retrouvé pour elle son sourire d’autrefois :

— Il ne faut pas pleurer, madame la duchesse ! Rien ne peut me rendre plus heureux que ce que nous allons accomplir, si Dieu le veut, et je l’ai tant prié que j’ai confiance.

— Croyez-vous sincèrement qu’il acceptera de vous laisser sa place si nous arrivons à l’atteindre ?

— Il le faudra bien parce que cette vie recluse qui m’attend, je l’aurais choisie s’il n’existait pas. J’aurais pleuré ma chère épouse dans le plus sévère des monastères en attendant l’heure de la rejoindre. Dans la prison de Pignerol, je sais que je serai heureux parce que je le saurai libre dans l’île où vous voulez le ramener. Il y sera captif aussi mais le cachot sera à ses dimensions et il retrouvera la mer…

Il n’y avait rien à ajouter.

La nuit vint enfin et, avec elle, le moment de se mettre en route. Tandis que Ganseville vérifiait une dernière fois les armes dont il était bardé – deux pistolets et une dague en sus de son épée, le tout caché par son grand manteau noir –, Sylvie embrassa son fils et son parrain, raides d’angoisse inavouée, en s’obligeant à donner le ton de l’au revoir et non celui de l’adieu à leur séparation, puis monta calmement dans la voiture où Ganseville la rejoignit.