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«Quel enfant! pensa K., il a juste encore assez de raison pour le service de l’église. Comme il s’arrête quand je m’arrête! Comme il m’épie quand je repars!»

Il le suivit en souriant tout le long de la nef latérale presque jusqu’à hauteur du maître-autel. Le vieux ne cessait de lui montrer quelque chose, mais K. se refusait à regarder, pensant que le geste du bedeau n’avait d’autre but que de l’empêcher de le suivre. Finalement, il le laissa, ne voulant pas trop l’inquiéter; il ne fallait pas l’effaroucher si l’Italien devait encore venir.

En repassant par la grande nef pour retrouver la place à laquelle il avait laissé son album, il remarqua contre un pilier qui touchait presque les bancs du chœur une petite chaire supplémentaire, toute simple, en pierre blanche et nue. Elle était si petite que de loin elle avait l’air d’une niche encore vide destinée à recevoir une statue. Le prédicateur ne pouvait sûrement pas s’éloigner de l’appui d’un seul pas. De plus, la voûte de pierre de la chaire commençait extrêmement bas et s’élevait sans aucun ornement, mais suivait une telle courbe qu’un homme de taille moyenne ne pouvait se tenir droit dans la tribune et se trouvait obligé de rester constamment penché en dehors de l’appui. Le tout semblait organisé pour le supplice du prédicateur, on ne comprenait pas à quoi cette chaire pouvait servir alors qu’on en avait à sa disposition une autre qui était si grande et ornée avec tant d’art.

Cette petite chaire n’aurait d’ailleurs pas frappé K. si elle n’avait été éclairée par une lampe du genre de celles qu’on allume avant le sermon. Allait-il y avoir un sermon? Dans cette église vide? K. regarda l’escalier de la chaire qui montait en spirale autour du pilier et qui était si étroit qu’on eût dit qu’il n’avait pas été construit pour l’usage des hommes mais simplement comme motif ornemental. Pourtant, sur les derniers degrés – K. en sourit d’étonnement – un prêtre se tenait bien là, une main posée sur la rampe et prêt à monter l’escalier, le regard dirigé sur K. Il fit même un signe de tête, sur quoi K. se signa et s’inclina, ce qu’il aurait dû faire plus tôt. Le prêtre prit un petit élan et se mit à monter à pas courts et rapides. Allait-il donc vraiment commencer un sermon? Le bedeau de tout à l’heure était-il moins privé de raison qu’il n’en avait l’air? Avait-il voulu amener K. au prédicateur, ce qui s’expliquait en effet dans une église aussi déserte? Mais n’y avait-il pas d’autre part, devant une statue de la Vierge, une vieille femme qu’on aurait dû amener aussi, et, s’il devait se donner un sermon, pourquoi n’y préludait-on pas par les orgues? Mais les orgues se taisaient et ne scintillaient que faiblement du haut des ténèbres où elles nichaient sous la voûte.

K. se demanda s’il ne devait pas se dépêcher de s’en aller; s’il ne le faisait pas maintenant, il devrait y renoncer pour tout le temps du sermon; il serait obligé de rester, et c’était une telle perte de temps! Il y avait déjà longtemps qu’il pouvait ne plus se considérer comme tenu d’attendre l’Italien, il regarda sa montre; elle marquait onze heures. Mais pouvait-on vraiment prêcher dans ce désert? K. pouvait-il représenter à lui seul tout le troupeau des fidèles? Et s’il n’était qu’un touriste de passage? Au fond, n’en était-il pas un? Il n’était pas imaginable qu’on allât prêcher maintenant, un jour de semaine, à onze heures, par le plus horrible des temps. L’abbé – ce jeune homme brun au visage rasé ne pouvait être qu’un abbé – ne montait sûrement là-haut que pour éteindre cette lampe qu’on avait dû allumer par erreur.

Mais il n’en était pas ainsi; au contraire, ayant examiné la lampe, il en remonta la mèche, puis se retourna lentement vers l’appui et en saisit le rebord à deux mains. Il resta un instant dans cette position, regardant à l’entour sans remuer la tête. K. s’était reculé et se tenait maintenant devant le premier banc, les bras posés sur l’accoudoir. Il vit dans le flou, quelque part, le bedeau qui s’accroupissait paisiblement, le dos voûté comme un homme qui a fini son travail. Quel silence dans cette cathédrale! Il fallait pourtant que K. le troublât; il n’avait pas l’intention de rester; si l’abbé était obligé de venir prêcher dans l’église à une heure déterminée, sans tenir compte du public, il n’avait qu’à le faire; il y réussirait tout aussi bien sans l’assistance de K., car la présence de ce seul auditeur n’accroîtrait sûrement pas beaucoup l’effet de la prédication. K. se mit donc lentement en mouvement, traversa la nef le long du banc, en tâtonnant de la pointe des pieds, arriva dans l’allée centrale et redescendit sans accroc, à ceci près que les dalles de pierre résonnaient au moindre pas et que les voûtes répétaient le bruit de sa marche en plus sourd, suivant les lois d’une infatigable progression, avec des échos variés.

Il se sentait un peu perdu en traversant sous les yeux du prêtre ces longues rangées de bancs vides; la taille de la cathédrale lui semblait juste à la limite de ce que l’homme peut supporter. En passant devant son ancienne place il saisit au vol son album sans s’arrêter un seul instant.

Il était sur le point de quitter la zone des bancs et approchait déjà de l’espace libre qui le séparait de la sortie quand il entendit pour la première fois la voix du prêtre. C’était une voix puissante et cultivée. Comme elle résonna dans l’église toute prête à la recevoir! Mais ce n’étaient pas les fidèles que l’ecclésiastique appelait, il n’y avait pas à s’y tromper ni à chercher d’échappatoire: il venait d’appeler: Joseph K.

K. s’arrêta net, les yeux au sol. Il était encore libre, il pouvait encore avancer et s’échapper par l’une des trois petites portes ténébreuses qu’il découvrait à quelques pas de lui. Cela signifierait qu’il n’avait pas compris ou tout au moins que, s’il avait compris, il ne se souciait pas de ce qu’on lui disait. Tandis que, s’il se retournait, c’était fini, il était pris, il avouait qu’il avait bien compris, qu’il était bien celui qu’on appelait et qu’il était prêt à obéir.

Si le prêtre avait répété, K. serait certainement parti, mais, comme le silence dura aussi longtemps qu’il attendit, il tourna légèrement la tête pour voir ce que faisait l’abbé. L’abbé était resté en chaire aussi calme qu’auparavant, mais on voyait nettement qu’il avait remarqué le geste de K. Il eût été désormais enfantin de ne pas se retourner complètement. K. exécuta donc un demi-tour et vit que le prêtre lui faisait signe de se rapprocher. Comme tout était net maintenant, il se rendit vers la chaire à grands pas – à la fois par curiosité et pour hâter le terme de l’affaire. Il s’arrêta à la hauteur des premiers bancs, mais la distance était encore trop grande aux yeux du prêtre qui lui montra du bout de l’index en tendant le bras une place tout près de la chaire. K. obéit, à l’endroit indiqué il était déjà obligé de renverser fortement la tête pour voir son interlocuteur.

«Tu es Joseph K., dit l’abbé.

– Oui», dit K. en songeant avec quelle franchise il prononçait autrefois son nom.

Depuis quelque temps, au contraire, ce lui était un vrai supplice; et maintenant tout le monde savait ce nom.

Qu’il était beau de n’être connu qu’une fois qu’on s’était présenté!

«Tu es accusé, dit l’abbé d’une voix extrêmement basse.

– Oui, dit K., on m’en a avisé.

– Alors, tu es celui que je cherche, dit l’abbé. Je suis l’aumônier de la prison.

– Ah! bien, dit K.

– Je t’ai fait venir ici, dit l’abbé, pour te parler.

– Je ne le savais pas, dit K. J’étais venu ici pour montrer la cathédrale à un Italien.

– Laisse là l’accessoire, dit l’abbé. Que tiens-tu dans ta main? Est-ce un livre de prières?

– Non, répondit K., c’est un album des curiosités de la ville.

– Lâche-le», lui dit l’abbé.

K. le jeta si violemment qu’il se déchira en claquant et roula sur le sol.

«Sais-tu que ton procès va mal? demanda l’abbé.

– C’est bien ce qu’il me semble, dit K. Je me suis donné beaucoup de mal, mais jusqu’ici sans résultat; à vrai dire, ma requête n’est pas encore terminée.

– Comment penses-tu que cela finira? dit l’abbé.

– Autrefois, je pensais, dit K., que mon procès finirait bien, mais maintenant j’en doute parfois. Je ne sais pas comment il finira. Le sais-tu, toi?

– Non, dit l’abbé, mais je crains qu’il ne finisse mal. On te tient pour coupable. Ton procès ne sortira peut-être pas du ressort d’un petit tribunal. Pour le moment, on considère du moins ta faute comme prouvée.