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À partir d’ici: rayé jusqu’aux mots:

«…obtenir de lui des missions particulières.»

Ce matin-là, l’espoir se montra particulièrement justifié. Le directeur adjoint étant entré lentement, avait porté la main à son front et s’était plaint de maux de tête. K., qui avait voulu d’abord répondre un mot à ce sujet, réfléchit et se lança tout de suite dans les détails professionnels sans tenir aucun compte des maux de tête. Mais, soit que ces maux de tête ne fussent pas très violents, soit que l’intérêt de la chose les eût chassés pour quelque temps, le directeur adjoint, au cours de l’entretien, cessa de se tenir le front et répondit, comme toujours, avec une promptitude brillante, quasi sans réflexion, comme un élève modèle qui, les questions à peine posées, répond déjà, K., cette fois-là, se montra de force à faire face et marqua des points plusieurs fois, mais l’idée des maux de tête du directeur adjoint ne cessait de lui causer une gêne, comme s’ils eussent été non pas un handicap mais au contraire un avantage, une supériorité de l’ennemi. Ah! que le directeur adjoint les supportait avec grâce! qu’il les dominait brillamment! Il lui arrivait de sourire sans que ses paroles y fussent pour rien, comme s’il se glorifiait d’avoir des maux de tête mais de n’en être en rien gêné dans le fonctionnement de sa pensée. On parlait de tout autre chose, et en même temps se déroulait une conversation muette dans laquelle le directeur adjoint ne niait certes pas la violence de ses maux de tête, mais ne cessait de rappeler que c’étaient des maux de tête parfaitement innocents, par conséquent tout différents de ceux dont K. souffrait ordinairement. Et K. avait beau contredire, la façon dont le directeur adjoint venait à bout de ses maux de tête le réfutait. Mais en même temps elle lui fournissait un exemple. Il pouvait lui aussi se fermer aux soucis qui n’étaient pas de sa profession. Il suffisait de se tenir à la tâche plus strictement encore que d’habitude, d’organiser une tâche nouvelle qui réclamerait des soins constants, de resserrer par des visites et des voyages des relations un peu relâchées avec le monde des affaires, d’écrire au directeur des rapports plus fréquents et de chercher à obtenir de lui des missions particulières.

C’était ainsi ce jour-là. Le directeur adjoint entra immédiatement, et resta debout près de la porte, essuya son lorgnon – une nouvelle habitude – regarda K. puis, pour ne pas s’occuper de lui de trop ostensible façon, examina aussi la pièce tout entière avec un peu plus d’attention. On aurait dit qu’il profitait de l’occasion pour mesurer son acuité visuelle. K. résista à ses regards; il esquissa même un sourire et l’invita à prendre place. De son côté il se jeta dans son fauteuil, le rapprocha le plus possible du siège du directeur adjoint, prit les papiers qu’il lui fallait sur son bureau et commença son rapport. Le directeur adjoint, d’abord, parut à peine prêter l’oreille. Le bureau de K. était bordé d’une petite balustrade sculptée. Le meuble était d’un travail parfait et la balustrade tenait solidement dans le bois. Mais le directeur adjoint faisait comme s’il venait de découvrir une partie moins bien encastrée et cherchait à y remédier en commençant par tapoter avec l’index pour détacher la balustrade K. fit donc mine d’interrompre son rapport, ce que le directeur adjoint ne souffrit pas, car, dit-il, il entendait tout, comprenait tout et ne laissait rien échapper. Mais, tandis que K. ne pouvait lui arracher nulle observation objective, la balustrade semblait demander des mesures particulières, car le directeur adjoint ayant sorti son canif, prenait maintenant la règle de K. comme levier et essayait de soulever la balustrade, pour pouvoir vraisemblablement la replanter ensuite plus profond. K. avait introduit dans son rapport une proposition d’un genre tout nouveau dont il se promettait beaucoup d’effet sur le directeur adjoint; en y arrivant dans sa lecture, il ne put s’imposer une pose, tant son propre travail le prit, ou plutôt, tant il fut heureux de retrouver à sa lecture la conscience de plus en plus rare qu’il signifiait encore quelque chose à la banque et que ses pensées avaient la force de le justifier. Peut-être même cette façon de se défendre était-elle la meilleure non seulement à la banque mais devant le tribunal, bien meilleure que toutes celles qu’il avait essayées ou qu’il projetait d’adopter.

Dans la hâte de son discours K. n’avait pas pu trouver le temps d’inviter formellement le directeur adjoint à se détourner de son travail sur la balustrade; deux ou trois fois seulement, sans cesser sa lecture, il avait promené sa main libre au-dessus de l’objet dans un geste apaisant, pour montrer, presque à son insu, que cette balustrade n’avait aucun défaut et que, même si elle en avait, écouter en ce moment était plus important, plus convenable aussi, que toute réparation du bureau. Mais, comme il arrive souvent aux gens vifs dont le travail n’occupe que le cerveau, cet ouvrage manuel avait enflammé l’ardeur du directeur adjoint; toute une partie de la balustrade était effectivement soulevée, et il s’agissait maintenant de faire rentrer les colonnettes dans les trous qui correspondaient. C’était le plus dur. Le directeur adjoint fut obligé de se lever et d’essayer avec les deux mains d’enfoncer la balustrade dans la table. Mais il eut beau y employer toute sa force l’opération ne réussit pas. K., qui lisait, et coupait sa lecture d’un grand nombre de commentaires, ne s’était que vaguement rendu compte que le directeur adjoint venait de se lever. Encore qu’il n’eût jamais perdu de vue le travail accessoire de son interlocuteur, il avait pensé que son geste devait trouver quelque motif dans le rapport, et s’était levé à son tour, tendant le papier, le doigt sous un chiffre, à son rival. Mais le directeur adjoint venait de se rendre compte que les mains ne suffisaient pas, et, prenant une prompte décision, s’asseyait de tout son poids sur la petite balustrade. Cette fois ce fut un succès; les colonnettes entrèrent en grinçant dans leurs trous, mais l’une d’elles fut fracturée dans l’impétuosité du choc, et la fragile moulure du haut se cassa en deux à un endroit.

«Mauvais bois» dit, vexé, le directeur adjoint.

FRAGMENT [2]

Une pluie fine tombait quand ils quittèrent le théâtre. Déjà fatigué par la pièce et sa mauvaise représentation, K. se sentit complètement abattu à l’idée qu’il devrait encore héberger l’oncle. Il tenait beaucoup, ce jour-là justement, à s’entretenir avec F. B.; une occasion de la rencontrer se serait peut-être présentée, et si l’oncle était là ce serait impossible. Il y avait bien encore un train de nuit qu’il eût pu prendre, mais le décider à partir le soir même, quand le procès de son neveu le préoccupait tellement, il ne fallait pas y songer. Malgré son peu d’espoir, il essaya pourtant:

– Mon oncle, dit-il, je crains vraiment d’avoir bientôt besoin de ton aide. Je ne vois pas encore exactement en quoi, mais ce sera sûrement nécessaire.

– Tu peux compter sur moi, répondit l’oncle. Au fond, je ne cesse de songer à la façon dont on pourrait t’aider.

– Tu es bien toujours le même, dit K.; mais je ne voudrais pas indisposer ma tante quand je te demanderai de revenir.

– Ton affaire, dit l’oncle, a bien plus d’importance que ces petits désagréments.

– Je ne suis pas de ton avis, dit K. Quoi qu’il en soit, je ne veux pas t’enlever à ma tante sans nécessité, et je prévois que j’aurai besoin de toi les jours prochains; en attendant, ne veux-tu pas rentrer?

– Demain?

– Oui, demain, dit K. Ou même maintenant. Par le train de nuit. Ce serait plus pratique.

II PASSAGES SUPPRIMÉS PAR L’AUTEUR.

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[2] Ce fragment aurait fait partie du chapitre VI dans l’une des versions envisagées par Kafka.