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Mme de Varanville se laissa tomber dans le fauteuil en épongeant d’un revers de main la sueur de son front. Guillaume prit une chaise.

— Parlez-moi de Félix ! Les nouvelles sont bonnes, j’espère ?

— Oui et non. Je ne sais trop que penser. Il dit que les enfants, moi et la maison nous lui manquons, qu’il songerait même à quitter la Marine, choses qui me feraient plutôt plaisir mais d’autre part, j’ai l’impression qu’il est malheureux…

— Il se plaint de quelque chose ?

— Non. Vous savez comme il est ? Pour rien au monde il ne voudrait que je me fasse du souci mais moi je sens que quelque chose ne va pas. Ce doit être cette idée de démission. Il aime trop la mer et les bateaux pour que cela lui ressemble vraiment… Je vous l’avoue, mon ami, je ne sais plus que penser.

Le minois rond dont l’exquise fraîcheur était le plus grand charme avec de magnifiques yeux d’un ver lumineux, si triste tout à coup, émut Tremaine parce qu’il évoquait celui d’Élisabeth quand elle avait du chagrin. Il éprouvait pour cette Rose si courageuse et si gaie une affection de grand frère et ne supportait pas de la voir malheureuse.

— Vous l’aimez trop, votre Félix ! C’est là que le bât vous blesse… Vous devriez lui accorder le droit de vous payer de retour. Pourquoi ne souhaiterait-il pas vivre entre vous et ses enfants dans sa maison familiale ?

La jeune femme haussa les épaules :

— Sincèrement, Guillaume, vous le voyez à cette même place, le nez dans les registres, recevant tel ou tel métayer, se rendant aux foires pour vendre des bestiaux ou louer des servantes ?

— Je m’y suis bien habitué. Pourquoi pas lui ? Au fait, d’où écrit-il ?

— De Brest. Son navire est au radoub dans la Penfeld mais il n’a pas le droit de le quitter. Il ne dit pas pourquoi.

— Il peut y avoir cent raisons… Mon Dieu, Rose ! Cette mine désolée ne vous va vraiment pas ! Vous avez endossé une charge trop lourde, celle-là même que Félix pensait assumer avant votre mariage. Alors ne vous tourmentez pas trop !

— Je ne peux m’en empêcher. Il était tellement heureux de reprendre la mer !

— Il est un homme comme les autres. Il a dû changer. Écoutez, Rose, je vais essayer de vous aider.

—  Je ne vois pas comment.

— C’est pourtant bien facile : je vais aller le voir !

Le regard vert s’illumina comme si le soleil venait d’entrer dans le bureau.

— Vous feriez ça ? Oh, Guillaume, ce serait si gentil !

— Pour vous rendre votre sourire j’en ferais bien davantage et puis Brest n’est pas au bout du monde. Enfin, je serai heureux de revoir ce vieux Félix. Il me manque à moi aussi.

— Agnès ne sera peut-être pas très contente. Elle déteste que vous vous absentiez…

Tremaine se mit à rire :

— Quelque chose me dit qu’elle va être assez satisfaite d’être débarrassée de moi pendant quelques jours. Nous nous sommes un peu querellés parce qu’elle s’est mis en tête d’affubler nos enfants du nom de Nerville…

— Ce n’est pas vrai ? s’écria Mme de Varanville les sourcils en accent circonflexe. Où a-t-elle été chercher une idée pareille ?

— Si vous pouviez me l’apprendre ! Quand je vous disais que les gens changent ! À présent, permettez-moi de vous quitter, le temps se gâte de nouveau…

En effet, au-dehors une violente rafale venait de s’abattre sur les saules bordant la rivière. Presque aussitôt une pluie diluvienne s’abattait sur le petit château crépitant comme une salve de mousquets contre les ardoises du toit.

— Vous n’allez pas partir sous cette averse ? Attendez encore un peu…

— Non. Cette fois, Agnès se tourmenterait. Elle ne sait même pas que je suis venu…

— Alors laissez-moi au moins Élisabeth ! Elle passera la nuit ici et je la ramènerai moi-même demain…

— Je n’ose pas refuser… mais vous savez de quoi elle et Alexandre sont capables quand ils sont ensemble !

— Je prends le risque. Elle dormira dans ma chambre pour plus de sûreté. Quant à vous, tâchez donc d’être absent demain tantôt quand j’irai aux Treize Vents. J’avoue que la lubie nervillienne d’Agnès m’intrigue et que j’aimerais bien bavarder un moment avec elle à cœur ouvert.

— Alors ne lui dites pas que vous avez laissé vos serviteurs aller à la fête de Tocqueville. Elle me reproche comme un crime d’avoir assisté à la célébration de Saint-Vaast…

— Elle a tort ! déclara Rose d’un ton définitif. Par les temps que nous vivons, il est bon d’accorder certaines libertés à ceux qui nous servent. Cela peut éviter l’idée de les prendre de force !… Je vais dire à Félicien d’amener votre cheval. Et tâchez de ne pas prendre un arbre sur la tête !

Trois jours plus tard, ayant conclu avec Agnès le seul traité de paix que la jeune femme fût incapable de refuser, celui qui se signait sur l’oreiller, Guillaume partait pour la Bretagne. Une longue chevauchée mais qu’il comptait effectuer rapidement en employant des chevaux de poste. Partir avec Ali l’obligerait à des repos nécessaires. Or il comptait voyager jour et nuit pour rattraper le temps qu’il voulait passer aux Hauvenières. Il n’en pouvait plus d’être sans nouvelles de Marie-Douce alors que le temps de la naissance devait être proche. La proposition faite à Rose, si généreuse en apparence, n’était pas sans arrière-pensée : il fallait qu’il sache où l’on en était, il fallait qu’il aille là-bas puisque Mlle Ledoux, la sage-femme procurée par Anne-Marie Lehoussois, ne se décidait pas à prévenir celle-ci comme il en était convenu. À moins que la vieille demoiselle n’eût choisi de garder les renseignements pour elle ? Quoi qu’il en soit et puisqu’il partait, il eût été stupide d’aller le lui demander…

En fait, il était injuste d’incriminer l’une ou l’autre des deux femmes : la première avait écrit mais sa lettre était encore en chemin. Lorsqu’il arriva aux Hauvenières, au début de l’après-midi il se trouva en face d’un bien joli spectacle : toute vêtue de fine batiste et de dentelles, un ravissant bonnet sur ses cheveux de lin, lady Tremayne assise dans son lit et confortablement étayée par des oreillers donnait le sein à son bébé, un vigoureux garçon né au matin du 14 juillet, jour de la Saint-Bonaventure, qui pompait son lait avec l’ardeur d’une jeune chèvre.

L’entrée de Guillaume illumina le ravissant visage de sa mère. Marie-Douce rayonnait de bonheur et de bonne santé. Elle tendit ses lèvres au baiser du nouveau père avant de lui présenter le fruit de leurs amours :

— Regarde comme il est beau ! Je suis certaine qu’il sera plus tard ton vivant portrait !

— Encore un rouquin ! gémit Tremaine avec un curieux sentiment d’accablement qu’il s’efforça de cacher sous un sourire moqueur…

— Pourquoi dis-tu cela ? demanda la jeune femme vaguement offensée par ces trois mots si peu conformes à ce qu’elle attendait.

— Parce que j’en ai déjà deux, mon cœur ! Élisabeth et Adam sont aussi pourvus de cette sacrée toison rouge ! Heureusement l’une a les yeux gris et l’autre des prunelles qui tournent au bleu…

— J’espère qu’il aura les mêmes que toi ! Ceci prouve en tout cas que les mères comptent peu lorsqu’elles portent tes enfants. Qu’elles soient blondes ou brunes, c’est ton empreinte qui prévaut ! Et tu n’imagines pas à quel point j’en suis fière. Nous l’appellerons Guillaume, bien entendu !