Выбрать главу

Arthur ayant fini de boire, elle le reprit à sa mère puis proposa du thé et le nécessaire de toilette mais Marie refusa d’un geste en s’étirant voluptueusement :

— Laisse-nous !

En refermant la porte, Kitty put la voir ôter son peignoir et se glisser contre son amant. Ce fut seulement dans la matinée du surlendemain que Guillaume quitta les Hauvenières.

Lorsqu’il franchit la grille et se retourna pour la fermer, deux hommes qui venaient sur le chemin se jetèrent vivement à l’abri d’une haie de coudriers.

— C’est bien lui ! souffla Adrien Hamel. Nous voilà renseignés. À présent on peut aller arroser ça !

Son compagnon haussa les épaules. Il se nommait Germain Quintal, pêcheur de son état et plus ou moins contrebandier. C’était celui-là même qui avait guidé Kitty Swan depuis Port-Bail jusqu’à la maison sur l’Olonde et il n’avait pas cessé de porter un extrême intérêt à ses habitantes.

Il est étrange de constater avec quelle aisance les gens animés de mauvaises intentions savent se rencontrer. La réunion de ces deux-là trouvait son origine à Valognes auprès d’un cousin de Quintal, un ancien notaire de moralité douteuse nommé Charles-François Buhot récemment nommé à la Municipalité toute neuve de la ville. Adèle avait lié connaissance avec lui lorsqu’elle s’était rendue là-bas pour enquêter auprès de l’homme qui avait conduit Mlle Lehoussois. Il connaissait tout le monde et s’entendait à obtenir, sans trop se soucier des moyens, tout ce qu’il désirait en fait de renseignements. La grande habileté d’Adèle dont la fraîcheur blonde pouvait tenter un homme aigri et déjà mur fut de savoir jauger le pouvoir grandissant de cet énergumène et de s’abandonner au moment où il le fallait. Elle sut tout ce qu’elle voulait savoir, le cocher n’étant pas de taille contre Buhot.

Il lui fut plus difficile de convaincre son jumeau de se rendre sur la côte Ouest jusqu’à son altercation avec Tremaine au matin du 14 juillet. Quand il revint à la maison crachant le feu par les naseaux, elle n’eut plus qu’à lui mettre un peu d’argent dans la main et à l’expédier faire la connaissance du « cousin Germain » dont Buhot prétendait qu’il était, dans ce coin-là, le meilleur fouineur de la région. La chance de Tremaine fut de tomber sur eux au moment où ils venaient effectuer une simple reconnaissance des lieux.

Les deux regards malveillants le suivirent pendant qu’il s’éloignait le long du chemin creux mais dans celui d’Adrien il y avait aussi de l’étonnement en constatant qu’au lieu de remonter vers Saint-Sauveur, le cavalier prenait la direction du sud :

— C’est pas le chemin pour rentrer chez lui, marmotta-t-il. Où donc qu’y va comme ça ?

— Peut-être faire une course ?

— Avec des sacoches de voyage et un portemanteau ? Ça s’rait bougrement étonnant… Mais d’toute façon, ça m’est égal. On a bien travaillé et ma sœur s’ra contente. À présent on va voir un peu c’qui y a dans la bicoque ?

Il sortit de sa cachette pour se diriger vers le jardin mais son compagnon l’empoigna par le bras :

— Pour te faire remarquer ? dit-il avec rudesse. Ça m’étonnerait que ta sœur dont tu me rebats les oreilles depuis hier soit d’accord. Avec trop de précipitation on gâche tout et si j’ai bien compris, on t’a seulement envoyé repérer les lieux et moi j’ai pas du tout envie de déplaire au cousin Buhot…

— J’veux seulement r’garder ! Ça fait d’mal à personne…

L’autre le considéra sans même songer à dissimuler le dédain que lui inspirait sa nouvelle connaissance. Un ivrogne fieffé ! Fallait que le cousin Buhot fût un peu timbré pour confier une mission délicate à un pareil imbécile ! Il est vrai qu’il avait eu la bonne idée de le lui envoyer à lui dont il connaissait bien les capacités. Une idée lui venait, une bonne idée susceptible de servir les intérêts de tout le monde : la vengeance des uns et l’appétit d’argent des autres. Seulement, elle demandait un peu de temps à réaliser : Adrien allait être obligé d’apprendre un rôle, suffisamment pour le jouer de façon naturelle. Avec son penchant pour la bouteille et sa tête de cochon, ça demanderait un moment mais le jeu en valait la chandelle…

— Allez viens ! fit-il en tirant Hamel par sa manche. J’ai faim et soif ! On rentre chez moi, on cause et demain tu retournes près de ta sœur pour qui j’te donnerai un mot de billet !

Les deux hommes s’éloignèrent sous les épaisses haies du chemin qui donnaient une ombre si fraîche laissant la maison de Marie-Douce à sa paix et à sa solitude.

Lorsque Guillaume parvint à Brest, ce fut pour y apprendre que le Conquérant, le vaisseau sur lequel Félix de Varanville commandait en second, s’était mis sous voiles une semaine auparavant pour une mission dont personne ne pouvait rien dire sinon qu’il avait chargé pas mal de provisions et de munitions. Sans doute ne le reverrait-on pas avant au moins quelques semaines.

Il ne restait plus au messager de Rose qu’à rentrer aux Treize Vents le plus vite possible afin de ne pas avoir à justifier une absence trop prolongée. Depuis quelque temps Agnès montrait une curieuse tendance à poser des questions…

IV

L’ÉTRANGER

L’automne approchait.

Gabriel acheva de disposer ses bruyères dans le vase placé à cette intention, fit un dernier signe de croix et sortit de la chapelle dont il referma la porte avec soin. Son chien l’attendait, sagement couché dans les herbes folles mais il se leva en voyant paraître son maître. Celui-ci caressa une oreille soyeuse qui formait, avec le poil du dos plutôt rude, un contraste plaisant sous les doigts et reçut en récompense un coup de langue chaude et humide.

Le solitaire leva la tête pour suivre la course des nuages gris qui se pressaient au fond du ciel. Là-bas, sur les îles Saint-Marcouf, il devait pleuvoir si l’on en jugeait les grandes striures issues d’un énorme nimbus déchiqueté comme par les dents d’un géant. Le vent s’amplifiait et la pluie n’allait pas tarder. L’odeur de varech et de vase s’imposait mêlée à une autre, plus douce et plus subtile : celle des ajoncs, des bruyères et des dernières fougères.

Tout cela éclatait sur ce bout de lande, en grandes taches mauves ou en bouquets jaune soleil aussi denses et touffus qu’une chevelure. Là-bas, au-delà de la ligne des arbres, cette végétation pansait les blessures laissées par la mort d’une grande demeure dont il ne restait plus que friches.

Gabriel se résolut à attendre encore un peu. Il ne pouvait se faire à l’idée que sa « demoiselle » ne viendrait pas, qu’elle oubliait ce douzième jour de septembre marquant l’anniversaire de la mort de sa mère. L’année dernière déjà, elle était passée très vite, en voiture et accompagnée de son époux, ce Tremaine qui n’avait eu qu’à paraître pour qu’elle oublie tout et accepte comme un cadeau du ciel de mettre sa main dans celle du petit-fils d’un saulnier, elle dont les ancêtres accompagnaient le duc Guillaume sur le drakkar victorieux, sur le bateau-serpent devant lequel s’était inclinée l’Angleterre saxonne… À présent, le crépuscule allait bientôt éteindre les couleurs sous encore plus de grisaille… Pourtant, avant de rentrer chez lui, Gabriel décida d’aller jusqu’à ce qu’il appelait toujours « le château » alors même qu’il n’en restait si peu que rien… Ça aussi faisait partie de son pèlerinage. Il siffla son chien écarté de quelques pas pour s’intéresser à une touffe d’oseille sauvage obstinée à pousser sur ce qui avait été la corne d’un étang et n’était plus qu’un bout de mare tout juste tracé quand revenaient les grandes pluies d’automne.