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— Pardonnez-moi de me laisser emporter ! dit-il gravement. Je n’imaginais pas qu’il pût se trouver autour de nous quelqu’un d’assez vil pour venir vous tourmenter avec une histoire… sans importance !

Les deux derniers mots eurent du mal à passer et il en demanda mentalement pardon à Marie mais si la paix de son ménage était à ce prix… Surtout ne plus voir dans les yeux d’Agnès ces noirs nuages de chagrin ! Hélas, il comprit tout de suite qu’elle ne le croyait pas. Comme toute femme profondément amoureuse Agnès possédait une sensibilité à fleur d’âme capable de déceler la plus infime fausse note.

— Sans importance ? répéta-t-elle lentement… alors que cette femme a de vous un enfant ? Vous êtes pire encore que je ne le croyais. Allez-vous-en !

— Agnès !

— Sortez d’ici ! Partez ! Quittez cette maison où je ne supporterai pas de vivre une heure de plus avec vous…

— Vous voulez que je m’en aille ?

— Vous êtes mort pour moi et ce souper dont le faste vous a surpris n’était autre chose qu’un repas de funérailles ! Votre corps n’a pas sa place dans ces murs où vivent « mes enfants ». Alors allez-vous-en et sur l’heure !

Se voir chassé de chez lui comme un mauvais valet était la dernière chose à laquelle Guillaume s’attendît. Un instant, il crut qu’Agnès devenait folle mais à la voir dressée devant lui, implacable et déterminée telle la déesse de la vengeance, il en oublia que l’instant précédent, il souhaitait la protéger, l’aider à surmonter ce mauvais pas à force de soins et de tendresse. En voulant lui confisquer ainsi la chair de sa chair et aussi cette demeure qui lui tenait presque autant à cœur, elle lui rendit toute sa combativité :

— Vos enfants ? De quel droit prétendez-vous en disposer ? Ils sont à moi autant qu’à vous et si vous vous imaginez que je vais faire mon baluchon et vous abandonner une maison que j’ai construite pour moi et les miens bien avant que vous n’y pénétriez, vous commettez une grave erreur, Madame Tremaine ! Vous n’êtes pas, que je sache, la première femme dont le mari s’est rendu coupable d’une infidélité mais vous seriez bien la première à vouloir en tirer de tels avantages… Si vous le voulez bien, nous discuterons de tout ceci quand vous serez plus calme. Demain, par exemple ? Pour ce soir, vous m’excuserez mais j’ai sommeil et je vais dormir dans « ma » chambre !

Tournant carrément le dos, il se dirigea vers la porte mais elle fut plus rapide que lui et se jeta sur le double battant qu’elle barra de ses bras étendus.

— Vous n’irez pas ! Si vous ne partez pas immédiatement, vous ne retrouverez demain ni moi ni les enfants…

— Perdez-vous l’esprit ? Vous n’oubliez qu’une chose : c’est moi le maître ici. Et je saurai bien vous obliger à y demeurer avec toute votre famille. Moi y compris !

— Croyez-vous ? Alors c’est que vous me connaissez bien mal… Sur mon honneur, je jure que, si vous êtes encore là, l’aube ne nous y verra plus. Vivants tout au moins !

Il eut une exclamation d’horreur et, la saisissant par un bras, il l’arracha de la porte où elle se cramponnait. Son poing se leva, prêt à frapper :

— Faites de vous ce que vous voulez mais si vous osiez toucher à mes petits…

Elle eut un rire de folle qui terrifia Guillaume plus encore que ses menaces :

— Vous ne pourriez pas me tuer une deuxième fois ! Si vous vous obstinez à rester ici, il vous faudra nous surveiller sans arrêt tous les trois…

— Il me suffira de vous enfermer, vous ! Tous m’obéissent dans cette maison…

— Alors il faudra veiller sur moi jour et nuit, déchaîner sur ce pays un horrible scandale qui ne sauvera personne. Un jour ou l’autre ma vengeance s’accomplira. Allez-vous-en ! C’est votre seule chance de garder la paix à cette demeure. Je l’aime moi aussi, figurez-vous !

— Plus que vos enfants apparemment puisque vous êtes prête à les sacrifier pour vous l’approprier ! Seulement, vous devriez réfléchir : où croyez-vous que je vais aller en sortant d’ici ?

Le rire d’Agnès s’éleva, plus discordant encore que tout à l’heure :

— Alors dépêchez-vous ! Il pourrait bien lui arriver quelque chose à elle aussi. Sans oublier son bâtard…

Le poing de Guillaume était retombé mais il n’avait pas lâché Agnès pour autant et ce fut autour de son cou si mince qu’il se referma :

— Vipère ! Je saurai bien t’arracher les crocs…

Lui aussi perdait la raison, possédé par une soudaine et brutale envie de tuer une créature dont, à présent, il ne voulait plus se souvenir qu’il l’avait aimée et possédée avec joie.

— Cette femme je l’aime depuis l’enfance, tu entends ? Et si je t’ai donné sa place c’est parce que je la croyais à jamais perdue…

Il hurlait à présent ne pouvant plus retenir une vérité qui l’étouffait et il n’entendit pas la porte s’ouvrir brusquement. Ce fut quand Potentin lui arracha Agnès des mains qu’il retrouva un peu de raison. L’œil encore égaré, il regarda la longue forme noire s’étendre doucement sur le tapis comme un tissu qu’on abandonne. Potentin était déjà à genoux près d’elle, l’examinant…

— Ce ne sera rien, soupira-t-il, mais il était temps !…

— Je croyais que tu n’écoutais jamais aux portes ? grimaça Guillaume.

— Je n’écoutais pas mais il aurait fallu être sourd… Vous devriez partir…

— Toi aussi ?

— Au moins pour quelque temps. Je reste et vous avez en moi des yeux, des oreilles et un cœur dévoué. Je saurai bien, un jour ou l’autre, la raisonner. Dans l’état où elle se trouve, elle est capable de faire n’importe quoi… Vous ne l’avez pas vue ce tantôt !

Tout en parlant, il avait cherché le vinaigrier pour bassiner les tempes de la jeune femme à l’aide d’une serviette. Le regard de Guillaume tomba sur la chemise abandonnée :

— Sais-tu qui lui a donné ça ?

— Qui voulez-vous que ce soit ? Adèle Hamel, bien sûr ! Vous oubliez qu’elle vient toujours pour le repassage. Tout à l’heure elle a eu une scène terrible avec Madame Agnès que j’ai dû ensuite porter dans sa chambre… Tenez ! la voilà qui reprend connaissance. Il vaudrait mieux qu’elle ne vous revoie pas…

— Tu as peut-être raison ! Je selle Ali et je m’en vais. Tu diras ce que tu voudras aux domestiques…

— Comptez sur moi mais, auparavant, dites-moi où je pourrai vous rejoindre…

Les paupières d’Agnès battaient et il était possible qu’elle eût retrouvé assez de conscience pour entendre ce que l’on disait. Un reste de prudence retint Guillaume d’indiquer clairement le chemin des Hauve-nières. Naturellement, il allait y courir pour tenter de parer aux pièges que la jalousie d’Agnès avait pu tendre et, tout au moins, éloigner au plus vite Marie-Douce et son fils. Il se pencha, chuchota dans l’oreille de son vieil ami :

— Si tu as besoin de moi dans les huit jours qui viennent Mlle Lehoussois te dira où je suis… puis, beaucoup plus haut et cette fois dans l’intention d’être entendu : Les enfants dorment à cette heure. Tu les embrasseras pour moi et tu diras à Élisabeth que je suis en voyage mais que je reviendrai bientôt…

Une voix encore faible mais déterminée se fit entendre :

— Si vous osez reparaître…

— Soyez certaine que je prendrai, auparavant, toutes mesures pour vous empêcher de nuire. Potentin, cette femme est une mère dénaturée capable du pire forfait pour assouvir une vengeance disproportionnée. Surveille-la bien !