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Restait à savoir si la jeune femme se sentait prête à recevoir, plus tôt qu’elle ne le pensait, celui qui l’avait torturée jusque dans son délire ?

À sa surprise, lorsque après l’amour il aborda le sujet, il la trouva curieusement détachée et sereine, d’une humilité inattendue.

— Que je le veuille ou non, il est le maître de ce domaine dont je n’avais aucun droit de le chasser. Je m’étonne même encore qu’il l’ait accepté. Peut-être ai-je réussi à l’effrayer quand je l’ai menacé de nous tuer, moi et les enfants…

— Tu as fait ça ? souffla Pierre abasourdi.

— On dit de telles folies sous l’emprise de la colère ! Je n’en pensais pas un mot, bien sûr ! Ce que je voulais c’était le blesser. Je voulais qu’il ait peur…

— Difficile d’effrayer un homme tel que lui ! J’ai rarement rencontré pareil courage. Quoi qu’il en soit, vas-tu répondre à sa lettre ?

— Je vais faire mieux : demain je descendrai au Hameau…

L’espèce de tristesse que le médecin éprouvait depuis qu’il savait jusqu’où sa maîtresse était allée pour chasser Tremaine se fit plus amère : il croyait bien déceler dans sa voix une sorte d’allégresse.

— On dirait que tu es heureuse qu’il revienne ? Pourtant c’est la fin pour nous deux…

Le rire de la jeune femme le rassura et aussi le fait qu’elle se serra plus étroitement contre lui :

— N’aie pas peur ! Je saurai bien nous trouver un endroit bien caché, bien à nous… Mais c’est vrai que je suis contente qu’il revienne parce que c’est lui qui le demande et qu’ainsi je ne perds pas la face à mes propres yeux. Sinon, j’aurais dû aller le chercher : il y a trop de gens qui l’aiment dans cette région et je ne peux en dire autant. C’est fatigant à la longue de ne rencontrer que des regards réprobateurs. Et puis, à présent, tu es là.

— Et je t’aime, tu sais ?… À en perdre la raison.

Pareille déclaration méritait bien une récompense :

Agnès la lui donna sur l’heure…

Lorsque sa voiture pénétra dans la cour du médecin, Agnès comprit qu’elle se trompait en s’imaginant que sa visite passerait inaperçue : dans chaque maison il y avait quelqu’un en train de balayer devant la porte ou de briquer les carreaux. Même au château de Durécu où les chambrières s’activaient à préparer l’arrivée prochaine des Boyer de Choisy, les propriétaires ! À croire que tout ce monde l’attendait ! La langue agile de Sidonie Poincheval devait y être pour quelque chose… Peut-être ces gens s’imaginaient-ils qu’elle venait demander pardon mais, au fond, c’était sans importance : les miroirs des Treize Vents lui avaient assuré qu’elle n’avait rien de la pénitente dans sa robe de soie pékinée gris et rose et sous le chapeau garni de rubans et de Heurs qui mettait des ombres si douces sur son beau visage.

Potentin l’attendait au bas du perron pour l’aider à descendre de voiture et lui sourit de tout son cœur :

— C’est, un grand bonheur, Madame Agnès, de vous voir ici !

— Pour moi aussi, mon ami…

Avec la dignité d’un maître des cérémonies escortant une reine, il la précéda dans la maison où Sidonie offrit une belle révérence à la visiteuse puis jusqu’à la chambre de Guillaume. Pierre Annebrun était invisible… Discret de nature et peu désireux d’assister aux retrouvailles des deux époux, il jugeait préférable de rester enfermé dans son cabinet de consultations jusqu’à la fin de l’entrevue.

Sans un mot, Potentin ouvrit la porte et s’inclina, la main sur le bouton, prêt à refermer. Agnès entra et fut en face de Guillaume. Tous les deux cloués par la surprise : elle gardait le souvenir d’un moribond grisâtre et décharné, lui celui d’une furie au visage ravagé par la colère. Il se reprit le premier :

— Je crois que j’avais oublié à quel point vous pouvez être belle ! Peut-être est-ce la faute de la vie quotidienne : les impressions se font moins vives à force d’être répétées. Croyez que mes regrets s’en trouvent avivés…

— Je vous retourne le compliment, Guillaume. Pour un homme qui revient des portes de la mort, vous ressemblez étonnamment à celui que vous étiez. En moins vif peut-être ?

— Une mauvaise copie… à demi invalide ! Mais peut-être ne seriez-vous pas là s’il en était autrement ? Votre présence me touche infiniment… Voulez-vous vous approcher ?

La main qu’il étendait offrait un siège au chevet du lit mais aussi espérait en recevoir une autre. Agnès ne s’y trompa pas : ôtant sa mitaine de soie rose, elle vint poser ses doigts dans la paume tendue qui se referma dessus. À ce contact elle sentit courir un frisson qui l’effraya. Les choses ne se présentaient pas comme elle les imaginait : elle s’était préparée à jouer les anges secourables, les bonnes fées magnanimes venues répandre les bienfaits d’un pardon apitoyé sur un demi-cadavre et elle retrouvait, presque identiques, les sensations éprouvées lors de leur première rencontre. Privé de jambes, ce démon restait aussi séduisant qu’autrefois ! Peut-être même l’était-il un peu plus ! Ces cheveux coupés court qui bouclaient serré comme une toison rouge convenaient à merveille à la structure arrogante du visage où la peau tendue reprenait sa couleur de bronze cuivré.

Sentant le terrain se dérober sous ses pieds, elle voulut retirer sa main mais Guillaume la tenait bien :

— Agnès !… Ma lettre demandait votre pardon. Êtes-vous venue me l’apporter ?

— S’il en était autrement je ne serais pas ici. En outre… j’ai moi aussi des excuses à présenter et…

— N’en dites pas plus !… Sinon nous n’en finirons pas, ajouta-t-il avec un demi-sourire. Puis soudain grave : Voulez-vous que nous essayions de rebâtir notre couple ? Je crois qu’avec de la patience… et beaucoup de tendresse, nous pourrions y arriver…

Soudain, le vernis de bons sentiments dont s’enveloppait la jeune femme craqua. Sa jalousie brusquement réveillée, elle lança d’une voix irritée :

— De la patience, de la tendresse ? Quel couple passionnant nous allons former !… Vous avez la mémoire courte, Guillaume, ou bien le mot amour vous fait-il peur lorsqu’il s’agit de moi ?

— Croyez-le ou non, je n’ai jamais cessé de vous aimer, murmura Guillaume assombri. Vous et les enfants faites partie de moi-même.

— Mais c’est à une autre que vous donnez ce que je pensais n’être qu’à moi. Alors ne dites pas que vous m’aimez !

Avec un soupir de lassitude, Tremaine libéra la main qu’il tenait toujours et détourna la tête :

— Croyez-le ou ne le croyez pas, je n’ai aucun moyen de vous convaincre. Sinon peut-être celui-ci : la dame dont vous parlez a quitté ce pays…

— Je le sais !

— Vous savez vraiment beaucoup de choses ! Quoi qu’il en soit, je ne chercherai pas à la retrouver. Vous avez ma parole !

— Et si c’est elle qui vous cherche ? Vous oubliez qu’elle a un enfant de vous ?

— Je ne le renie pas. S’il a besoin de moi, je ferai ce que je dois. Ne m’en demandez pas plus ! soupira Guillaume dont la patience commençait à s’émousser. Vous devrez vous satisfaire de ma promesse de ne pas revoir sa mère…

Devant la mine boudeuse de sa femme, il fit effort sur lui-même pour maîtriser sa colère naissante :

— Tout ceci est ridicule, Agnès ! Voulez-vous, oui ou non, enterrer la hache de guerre ? Voulez-vous m’accorder une confiance semblable à celle que j’ai toujours eue en vous ?

— Et si je ne voulais pas ?

— Vous seriez tout de même obligée de subir ma présence. Les Treize Vents sont à moi. Je veux y rentrer. Ma lettre demandait votre pardon, pas votre permission. Il dépend de vous que nous y vivions en époux respectueux l’un de l’autre. Je vous serai désormais aussi fidèle que vous l’êtes vous-même… À vous de décider !