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Il m’a expliqué qu’il avait reçu un nouvel avis, six ans à l’assèchement des salants aux environs de Mono Lake. Les gens tombent comme des mouches là-bas. Tout ce qu’il voulait, c’était une affectation à quelque chose de moins pénible, genre Service d’entretien, et il fallait que ce soit à l’intérieur des murs, de préférence dans un des districts voisins de l’océan, où l’air est frais et pur. Je lui ai indiqué un prix qu’il a accepté sans sourciller.

« Voyons votre poignet », j’ai dit.

Il a tendu sa main droite, paume en l’air. Son implant d’accès était une plaque jaune pâle, placée à l’endroit habituel mais plus ronde que le modèle courant et d’une texture légèrement plus lisse. Je n’ai vu là-dedans aucune signification particulière. Comme je l’avais déjà fait peut-être un millier de fois, j’ai posé mon bras sur le sien, poignet contre poignet, accès contre accès. Nos biordinateurs sont entrés en contact et j’ai tout de suite su que j’étais en fâcheuse posture.

Il y a maintenant quarante ou cinquante ans que les êtres humains portent des ordinateurs à base de biopuces dans leur corps – ça remonte en tout cas plus loin que l’invasion des Entités – mais c’est pour la plupart des gens quelque chose qui va de soi, comme la marque de vaccination sur leurs cuisses. Ils s’en servent aux fins pour lesquelles ils ont été prévus sans chercher à voir plus loin. Le biordinateur n’est pour eux qu’un banal ustensile, comme une pelle ou une fourchette. Il faut avoir une mentalité de bidouilleur pour vouloir transformer son biordinateur en quelque chose de plus. C’est pourquoi, lorsque les Entités sont arrivées, nous ont envahis et fait construire des murs autour de nos cités, la plupart des gens ont réagi comme des moutons ; ils se sont laissé parquer à l’intérieur et y sont poliment restés. Les seuls qui ont su garder leur liberté de mouvement – parce qu’ils savent manipuler les superstructures grâce auxquelles les Entités nous gouvernent – ce sont nous, les bidouilleurs. Et nous ne sommes pas nombreux. J’ai tout de suite senti que je venais de me brancher sur l’un d’eux.

Dès que nous avons été en contact, il s’est abattu sur moi comme un orage.

La force de son signal m’a indiqué que j’avais affaire à quelque chose de tout à fait particulier, et que j’avais été pigeonné. Il n’avait jamais essayé d’acheter une rémission. Ce qu’il cherchait, c’était un duel. Derrière le sourire affable se cachait Jo Les-Gros-Bras, prêt à montrer quelques-uns de ses tours au petit mec nouvellement arrivé en ville.

Aucun bidouilleur ne m’avait jamais fait mordre la poussière dans un affrontement de ce genre. Jamais. Je me suis senti désolé pour lui, mais modérément.

Il m’a balancé un tas de trucs, bizarroïdes mais faciles, juste histoire de découvrir mes paramètres. Je les ai attrapés, stockés, puis je lui ai opposé un barrage et je lui ai donné la réplique. À mon tour de le mettre à l’épreuve. Je voulais qu’il commence à voir avec qui il faisait l’imbécile. Mais juste au moment où j’ouvrais le feu il m’a opposé un barrage. Voilà qui était nouveau pour moi. Je l’ai regardé avec un certain respect.

En général tout bidouilleur, où que ce soit, reconnaîtra mon signal dans les trente premières secondes, et cela suffira à mettre fin à l’échange. Il saura que ce n’est pas la peine de continuer. Mais ou ce type n’était pas en mesure de m’identifier ou il s’en fichait complètement, et voilà qu’il revient à l’assaut avec son barrage. Stupéfiant. Pareil pour le truc qu’il m’a balancé ensuite.

Il s’est mis prestement au travail, essayant bel et bien de brouiller mon architecture. Des masses de trucs ont fondu sur moi dans la zone de concentration des mégabytes.

— jglcntr. dblmrq, trchnt. dzrctr.

Je lui ai rendu la pareille, deux fois plus fort.

— maxfrq. minpau. prltot. jglcntr.

Ça ne lui a strictement rien fait.

— maxdz. prlchro. bred. trchnt.

— frqrcp. écltint.

— écltext.

— prépcd.

— persrst.

Match nul. Il continuait de sourire. Même pas une trace de sueur sur son front. Quelque chose d’inquiétant émanait de ce type, quelque chose de nouveau, d’étrange. C’est une espèce de borgmann, me suis-je soudain avisé. Il doit travailler pour les Entités, écumer la cité à la recherche d’indépendants dans mon genre. Tout bon qu’il était, et il ne l’était pas qu’un peu, je le méprisais. Un bidouilleur devenu un borgmann – c’était vraiment écœurant. J’avais envie de le court-circuiter. J’avais envie de le faire griller. Jamais de ma vie je n’avais autant détesté quelqu’un.

Je ne pouvais rien faire avec lui.

Je n’en revenais pas. J’étais le Roi des Données, j’étais le Prodige des Mégabytes. Toute ma vie j’avais flotté d’un bord à l’autre d’un monde enchaîné, crochetant chaque serrure que je rencontrais sur ma route. Et voilà que ce rien du tout m’entortillait dans un sac de nœuds. Pour chacun de mes assauts il avait une parade ; et ses contre-attaques devenaient de plus en plus bizarres. Il travaillait avec un algorithme que je n’avais jamais vu et que j’avais le plus grand mal à résoudre. Au bout d’un moment je n’arrivais même plus à comprendre ce qu’il me faisait, et encore moins ce que j’allais faire pour y mettre un terme. C’en était au point où j’arrivais à peine à assurer. Il me poussait inexorablement vers un accident de biogiciel.

« Qui êtes-vous ? » j’ai hurlé.

Il m’a ri au nez.

Et a continué son pilonnage. Il menaçait l’intégrité de mon implant, m’attaquant au niveau microscopique, s’en prenant aux molécules elles-mêmes. Taquinant les cosses d’électrons, inversant les charges et semant la pagaille dans les valences, obstruant mes portes, transformant mes circuits en bouillie. L’ordinateur qui est implanté dans mon cerveau n’est rien de plus qu’un tas de chimie organique, après tout. Mon cerveau de même. S’il continuait ainsi l’ordinateur allait céder, le cerveau à sa suite, et j’étais bon pour passer le restant de ma vie à me baver dessus.

Ce n’était plus un match. C’était du meurtre.

J’ai puisé dans mes réserves, dressant tous les blocages que je pouvais inventer. Des choses dont je n’avais jamais eu à me servir de ma vie, mais qui se trouvaient là à ma disposition. Ça l’a un peu ralenti.

Pendant un moment je suis arrivé à bloquer son attaque dévastatrice et même à la repousser. Ce qui m’a donné le répit nécessaire pour lui concocter quelques combinaisons offensives de mon cru. Mais avant que j’aie pu les mettre en route, il m’a de nouveau coupé le sifflet et s’est remis à me massacrer. Il était incroyable.

Je l’ai bloqué. Il est revenu à la charge. J’ai frappé un grand coup, mais il a fait absorber l’impact par un autre canal neural, annulant tout son effet.

Je lui expédie un nouveau coup. Et lui de le bloquer une fois de plus.

Puis il m’a frappé. Le choc m’a fait vaciller et je n’ai réussi à me reprendre qu’à deux ou trois nanosecondes du précipice.

Je me suis employé à mettre au point une nouvelle combinaison. Mais, tout en m’y consacrant, je lisais la tonalité de ses données et ce que je captais s’appelait : confiance absolue. Il m’attendait tranquillement. Paré pour tout ce que je pourrais lui balancer. Il planait au-delà de la simple confiance en soi, dans le royaume de la certitude.

On en arrivait à ceci. J’étais capable de l’empêcher de me bousiller, mais tout juste, et j’étais incapable de lui faire tâter de mes gants. Et il semblait avoir des ressources infinies derrière lui. Je ne l’inquiétais pas le moins du monde. Il était infatigable. Il paraissait toujours en pleine possession de ses moyens. Il encaissait tout ce que je pouvais donner et continuait de me bombarder de nouveaux trucs, m’attaquant de six côtés à la fois.