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« Hushidh m’a déjà posé la question il y a des années, répondit Shedemei. Je pensais qu’elle t’en aurait parlé.

— Non.

— Le cas d’Issib n’est pas d’ordre génétique. Il s’agit d’un traumatisme prénatal. » La généticienne regarda Rasa. « Je suppose que tante Rasa ne se savait pas enceinte quand c’est arrivé. »

Rasa secoua négativement la tête. Personne ne lui demanda ce qu’innocemment elle avait fait à Issib encore dans l’utérus.

« Les gènes de vos enfants n’en seront pas affectés, reprit Shedemei. Vous pouvez les marier entre eux autant que vous voudrez. Si ça vous incite à laisser les miens tranquilles désormais, ça me convient tout à fait.

— Nous n’avions rien l’intention de faire ! s’écria Luet, indignée.

— En ce qui concerne Nafai, je veux bien le croire, parce qu’il nous en a immédiatement parlé.

— Mais moi non plus, je ne voulais rien faire ! insista Luet.

— Je crois que si, dit Shedemei. Et je crois que tu comptes encore obéir à Surâme. » Elle tourna les talons et sortit, suivie d’un Zdorab inquiet.

Dans le couloir, Elemak attendait l’ancien archiviste. Laissant Shedemei s’éloigner à grands pas, les deux hommes s’approchèrent l’un de l’autre. « Bravo pour la finesse d’exécution », dit Elemak.

Zdorab le regarda et sourit. « Oui, on ne peut pas dire que j’ai été très adroit. Surâme a immédiatement découvert mon système. » Et sur un clin d’œil, il accéléra le pas. Elemak resta en arrière et réfléchit. Soudain, il eut un mince sourire et enfila le couloir qui menait aux quartiers de sa famille.

À la cuisine, seuls Volemak et Rasa demeuraient en compagnie de Nafai et Luet. « Vous êtes des insensés, disait Volemak. Il faut vous plier aux ordres de Surâme.

— Obéir à Surâme, répliqua Luet, ce serait accepter à l’avance la séparation de notre colonie en deux factions irréconciliables et creuser ensuite la fracture au point qu’elle durera des générations.

— Eh bien, obéissez ! s’exclama Volemak.

— Ça ne sert à rien de discuter, intervint Nafai. N’est-ce pas, Mère ? »

Rasa soupira. « Il est des ordres auxquels on ne peut décemment pas se plier. Même pour Surâme.

— Il existe aussi des intérêts supérieurs, rétorqua Volemak.

— J’ai trois jeunes enfants, dit Rasa : Oykib, Yasai et ma petite fille adorée. Je poursuivrais d’une haine inextinguible quiconque me les prendrait. Même toi. » Son regard passa de Nafai à Luet. « Ou toi. » Puis ses yeux se posèrent sur son époux. « Ou vous. » Elle se leva et sortit.

Volemak se mit debout à son tour avec une mine peinée. « Vous verrez. On ne se moque pas impunément de Surâme.

— Il faudra bien qu’un jour Surâme prenne en compte nos sentiments », répondit Nafai.

Mais Volemak quitta la pièce avant d’entendre la fin de sa phrase.

Luet passa les bras autour de la taille de son époux et l’étreignit. « J’aurais dû t’en parler plus tôt, dit-elle ; mais je craignais que tu obéisses aveuglément à Surâme.

— Surâme me connaît mieux que toi, apparemment : il ne m’a strictement rien dit.

— Viens te coucher, mon époux.

— J’ai du travail à finir.

— Eh bien, nous partirons un jour plus tard.

— J’ai encore du travail. »

Elle soupira, l’embrassa et sortit.

Nafai se coupa une tranche de pain, la replia autour d’un podorochny un peu blet et y mordit à pleines dents tout en regagnant le vaisseau.

Tu es un petit malin.

C’est aussi mon avis, répondit Nafai en pensée.

Tout le monde croit que je ne t’en ai jamais parlé.

Et c’est vrai.

Ne pas m’écouter ne veut pas dire ne pas m’avoir entendu.

La question ne se pose pas : il ne se passera rien.

Si, parce qu’il le faut. Si tu ne m’obéis pas, tu te feras tuer, tout comme Luet.

Tu ne connais pas l’avenir.

Elemak s’emparera de tes enfants pour en faire des esclaves.

Il ne punira pas des enfants pour ce qu’ont fait leurs parents.

Il prétendra les adopter. Et c’est Eiadh qui les réduira en esclavage.

Ça n’arrivera pas.

Cela arrivera si tu ne t’entoures pas de six jeunes gens entièrement dévoués.

Et moi je te répète pour la millième fois que je ne ferai rien sans l’accord de leurs parents. Et je ne lèverai pas le petit doigt pour les convaincre. Je ferai même tout pour les dissuader.

Voilà une stratégie judicieuse, Nafai ; ainsi, ils ne pourront rien te reprocher quand ils regretteront de t’avoir donné leur accord.

Nafai secoua la tête. Ils n’accepteront jamais, dit-il intérieurement.

Tu sous-estimes mon influence.

4

Persuasion

Shedemei alla voir les enfants pour la troisième fois de la nuit. Quand elle se recoucha, Zdorab était réveillé. « Excuse-moi, dit-elle. J’ai fait un rêve.

— Un cauchemar, tu veux dire. »

L’espace d’un instant, elle se méprit. « Tu en as fait un, toi aussi ?

— Non, répondit-il, vaguement agacé. C’était encore un de ces fameux rêves ?

— Non, non. Il ne venait pas du Gardien de la Terre, si c’est ce que tu veux savoir.

— C’est ça, avec chauves-souris et belettes à la clé.

— Des rats géants, pas des belettes. Et de toute manière, je n’ai pas ce genre de rêves ; dans les miens, je vois des jardins.

— Mais pas cette fois-ci. »

Elle fit non de la tête.

« Et tu ne veux pas m’en parler, je suppose ?

— Si, si tu y tiens. »

Il attendit. Elle finit par se décider.

« Zdorab, je… je nous voyais arriver sur Terre. Nous sortions tous du vaisseau ; toi et moi, inchangés, comme nous sommes aujourd’hui. Et puis j’ai vu deux jeunes gens, un garçon et une fille, que je ne connaissais pas. Lui était beau, fort, le visage clair et rayonnant de joie ; elle avait la peau plus sombre, mais un sourire éblouissant, elle riait et ses yeux pétillaient d’intelligence.

— Il avait dix-huit ans et elle seize, glissa Zdorab d’un ton aigre.

— Rokya et Dabya sont les deux seuls enfants que j’aurai jamais.

— Tu ne vas tout de même pas me le reprocher ? Après tant d’années ?

— Je ne fais de reproches à personne. C’est juste que… Je suis allée les voir, pour m’assurer qu’ils allaient bien. Qu’ils n’étaient pas en train de… de faire le même rêve.

— Et comment sais-tu que ce n’était pas le cas ? Tu les as réveillés pour le leur demander ?

— J’ignore de quoi ils rêvaient. Tout ce que je sais, c’est qu’ils sont terriblement jeunes. Et que je me fais une fête de voir ce qu’ils vont devenir, la semaine prochaine, le mois prochain, l’année prochaine… Mais j’ai compris aussi que…

— Quoi ?

— Je me suis rappelé comment ils étaient autrefois, tout bébés. Lorsqu’ils étaient encore au sein, leurs premiers pas, leurs premiers mots, quand ils ont commencé à jouer, à lire et à écrire… je me rappelle tout. Et ces enfants-là ont disparu.

— Ils n’ont pas disparu, ils ont grandi.

— Je sais, mais chaque période de leur vie disparaît. Ces années-là s’enfuient sans qu’on y puisse rien. Ils les dépassent, ils se débarrassent de leur enfance, et ils ne nous remercient pas de nous en souvenir. »