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Puis Rasa et Volemak vinrent le voir ensemble. « C’est l’égoïsme qui nous poussait à te refuser nos fils. Ils sont nés tard, dit Rasa. Ce sera un moyen pour eux de rattraper leurs frères aînés. »

Volemak eut un mince sourire. « Cet aspect de l’affaire m’intéresse moins que Rasa. Comme toujours, elle fait plus attention que moi aux sentiments des autres ; pour ma part, je songe simplement à tout ce que nous avons laissé pour parvenir où nous sommes : quelle stupidité ce serait de renier Surâme maintenant ! La confiance, cela existe, Nafai ; ne risque pas la survie de toute la colonie, et surtout celle de ta propre famille, dans le seul but de protéger ton image de celui qui agit toujours comme il faut. »

Nafai entendait son père, mais ne trouvait aucune consolation dans ses paroles. « J’ai perdu cette image de moi-même lorsque j’ai séparé la tête de Gaballufix de ses épaules, Père. Il ne se passe pas un jour depuis sans que je le regrette. Fallait-il que je sois bête pour vouloir m’éviter une nouvelle source de culpabilité, n’est-ce pas ? »

Volemak ne répondit pas, mais Rasa intervint. « Eh bien, on donne dans la délectation morose ? Tu es encore jeune, Nafai, et tu t’imagines encore que l’univers gravite autour de toi. Mais le fait est que c’est faux. Surâme nous en a convaincus, la meilleure solution est de maintenir nos cadets éveillés pendant le trajet ; c’est désormais à toi de juger si tu auras le courage d’affronter la colère d’Elemak quand tout sera consommé.

— Et ça ne compte pas pour vous que je lui aie donné – que j’aie donné à tout le monde – ma parole de ne rien faire ?

— Je suis ton père, dit Volemak, et Rasa ta mère. Nous te délivrons de ton serment.

— Ça va sûrement calmer Elemak quand il l’apprendra ! »

Rasa eut un petit rire. « Voyons, Nafai ! Elemak est précisément le seul de la communauté à n’avoir pas cru un instant que tu tiendrais la promesse. Et sais-tu pourquoi ? Parce que si la situation était inversée, il violerait sa parole sur-le-champ, et il le sait !

— Mais je ne suis pas Elemak.

— Oh si ! dit Volemak. Tu es exactement ce qu’aurait été Elemak s’il avait eu un tant soit peu de bonté au cœur. »

Nafai ignorait s’il venait de recevoir un compliment ou une gifle.

Après Hushidh, après Volemak et Rasa, c’est Issib qui se présenta ; comme d’habitude, il apportait non seulement les rêves que Surâme lui avait envoyés, mais aussi des idées pour aplanir les difficultés.

« Il faut que nous parlions », dit-il.

Nafai acquiesça.

« Je fais toujours des rêves.

— C’est Surâme, Issib. Je le sais, je fais les mêmes.

— Non, pas les mêmes, Nyef. Je vois mon fils aîné, Xodhya, qui sort du vaisseau…

— Comme moi, je vois Jyat…

— Et il me ressemble, à moi ; c’est ridicule, parce que de visage il tient surtout de sa mère, mais dans mon rêve, c’est moi. Sauf qu’il est grand et fort, qu’il a des bras, un torse… comme ceux d’un dieu. Comme ceux des statues qui entouraient l’orchestre, à Basilica.

— Naturellement. Surâme te manipule, c’est tout.

— Je sais. J’étais là quand nous avons commencé à lui résister, tu te rappelles ? On a fait ça ensemble.

— Je n’ai pas oublié.

— Nous avons prouvé qu’on n’était pas obligé d’obéir aveuglément à Surâme, n’est-ce pas ? Mais ensuite, nous avons décidé de l’aider parce que telle était notre volonté ; parce que nous étions d’accord avec ses buts.

— Et tant que j’étais d’accord, j’ai coopéré. Je pourrais d’ailleurs ajouter que je l’ai payé cher.

— Tu l’as payé cher ? Toi ? Avec le manteau du pilote stellaire ?

— Je l’échangerais à l’instant contre l’amour de mes frères.

— Moi, je t’aime, Nyef. Tu as pu en douter ?

— Non, je ne parlais pas de…

— Okya et Yaya aussi t’aiment. Ne sont-ils pas tes frères ? Ne suis-je pas ton frère ?

— Si, tous.

— Et à mon avis, tu te fiches royalement que Meb t’aime ou pas.

— D’accord, rien qu’Elemak. Je donnerais le manteau du pilote en échange du respect d’Elemak si je croyais pouvoir l’obtenir.

— Es-tu aveugle, Nyef ? Tu n’auras jamais droit à son respect.

— Parce que je n’en serai jamais digne.

— C’est grotesque ! » Issib lui rit au nez. « Tu es vraiment bouché, Nafai ! Si tu ne peux pas obtenir son respect, c’est précisément parce que tu en es digne !

— À l’école déjà, je détestais les paradoxes. Pour moi, c’est la conclusion à laquelle parviennent les philosophes quand…

— … quand ils ont renoncé à réfléchir, je sais ; ce n’est pas la première fois que tu le dis. Mais là, il ne s’agit pas d’un paradoxe. Elemak te hait parce que tu es son puîné et qu’il sait, il le sait parfaitement, que Père te respecte et t’aime plus que lui. Voilà pourquoi il te hait : il sait qu’aux yeux de Père, tu vaux mieux que lui.

— J’aimerais bien.

— Tu sais que c’est vrai. Mais si tu laissais tout tomber, si tu renonçais à tout au profit d’Elemak, si tu te déchargeais du manteau, si tu reniais Surâme, crois-tu qu’il te respecterait pour autant ? Bien sûr que non, parce que pour le coup tu serais vraiment méprisable, une chiffe molle, un rien du tout !

— Ça va, tu m’as convaincu. Je garde le manteau.

— Le manteau n’est rien. Tu es déjà en train de faire bien pire. »

Nafai regarda son frère dans les yeux. « Dois-je comprendre que tu es venu me persuader de garder tes quatre aînés en éveil pendant le voyage, de les instruire, de les élever à ta place, de façon qu’à notre arrivée tu les trouves déjà presque adultes ?

— Pas du tout, dit Issib. Cette idée me fait horreur.

— Eh bien alors, quoi ?

— Garde-les auprès de toi, mais réveille-moi de temps en temps. Une fois par an, l’espace de quelques semaines. Laisse-moi enseigner à tous les enfants l’informatique, par exemple. Je suis le meilleur dans ce domaine.

— On n’aura pas besoin d’ordinateurs dans la nouvelle colonie.

— Alors, les mathématiques, la topographie, la triangulation. Je peux lire les mêmes ouvrages que toi et les expliquer aussi bien que toi. À moins que tu n’aies prévu de monter un laboratoire agricole à bord ? d’étudier la sylviculture, peut-être ? Quand est-ce qu’on embarque les arbres ?

— C’est vrai, je n’y avais jamais pensé.

— Surâme n’y avait jamais pensé, tu veux dire.

— Peu importe.

— Établis un tour de rôle ; réveille Luet pour un moment, et lorsqu’elle se rendort, réveille-moi avec Hushidh, puis Père et Mère, quelques semaines à chaque fois. Comme ça, nous verrons les enfants grandir ; nous ne raterons pas tout. Et à l’arrivée sur Terre, ce seront devenus des hommes et des femmes prêts à t’épauler contre les autres. »

Nafai ne répondit pas tout de suite. « Ce n’est pas ainsi que Surâme a exposé son plan à Luet, dit-il enfin.

— Et alors ? Où est-il écrit que tu doives suivre pas à pas les plans de Surâme ? Tant que tu fais ce qu’il veut, la méthodologie importe peu, non ?

— Hushidh est d’accord ?

— Elle y viendra peut-être. Dans quelque temps.

— Je ne prendrai aucun enfant sans l’accord des parents.

— Ah oui ? Et les enfants eux-mêmes ? Tu vas leur demander leur avis, à eux ?

— Je devrais, dit Nafai. Écoute, je vais y réfléchir, Issib. Peut-être que ce genre de compromis marchera.

— Tant mieux, parce qu’à mon sens Surâme a raison : si nous ne faisons rien, si nous ne te fournissons pas des jeunes gens robustes pour te soutenir au moment où nous débarquerons du vaisseau et où l’influence de Surâme s’affaiblira, tu seras un homme mort et moi aussi.