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— C’est pas vrai ! s’exclama Dazya. Oykib et Protchnu, je les commande pas !

— Non, tu ne fais la loi qu’avec les plus faibles que toi, grosse brute !

— Taisez-vous, tous, intervint Nafai. Vous venez d’avoir un exemple des problèmes que pose votre maintien en éveil. Le vaisseau n’est pas très grand ; vous allez passer des années claquemurés dedans, les uns sur les autres. Nous avons glissé sur pas mal de choses sur Harmonie en supposant qu’elles se régleraient avec le temps ; mais pendant le voyage, nous ne tolérerons aucune mainmise des grands sur les petits.

— Et pourquoi pas ? dit Dazya. Les grandes personnes n’arrêtent pas de commander aux enfants, non ?

— Dza, fit doucement Luet, je te crois assez intelligente pour comprendre que les trois jours qui te séparent de Veya n’ont pas la même valeur que les quinze ans entre toi et moi. » Chveya saisit aussitôt l’idée au bond. « Si je reste éveillée, Mère, quand on arrivera sur Terre j’aurai trois ans de plus que toi à ma naissance !

— Oui, mais elle, elle était mariée », intervint Rokya, le fils de Zdorab et Shedemei. Puis il parut soudain prendre conscience de ce qu’il avait dit, car il devint cramoisi et pinça les lèvres.

« Je ne crois pas que vous ayez à vous inquiéter du mariage pour l’instant, dit Luet.

— Pourquoi pas ? demanda Chveya. Vous vous en inquiétez bien, vous. Rokya est le seul garçon qui ne soit pas mon oncle ni mon cousin germain de double ascendance, comme vous dites.

— Ça ne fera pas de difficulté. Shedemei nous a assuré qu’il n’y aurait pas de problèmes génétiques ; donc, si en vieillissant vous deviez tomber amoureux entre cousins, ou bien d’un oncle, d’une tante…»

La plupart des enfants firent mine de se sentir mal ou de vomir.

« J’ai dit : en vieillissant, quand cette idée ne vous répugnera plus, eh bien il n’y aura pas d’obstacle génétique. »

Mais Oykib savait qu’avant le décollage, Shedemei avait imploré le pardon de Surâme pour avoir raconté ce même mensonge, et lui avait demandé de dire à Nafai d’interdire les mariages entre proches cousins s’il y avait le moindre risque. Cependant, il était au courant d’un autre fait que Shedemei elle-même ignorait : son discours sur la façon dont Surâme avait croisé leurs ancêtres pour obtenir des hommes et des femmes sans défaut génétique, c’était Surâme qui le lui avait soufflé lors d’une puissante transmission qu’Oykib avait surprise. L’idée d’épouser une cousine ne le gênait donc pas ; mais Surâme avait intérêt à ne pas faire erreur : Oykib et Yaya ne pouvaient pas se marier tous les deux avec Dabrota, la fille de Shedemei et Zdorab ; l’un d’eux devrait nécessairement se rabattre sur une nièce ou rester célibataire.

Cependant, Chveya n’était pas convaincue. « Ce n’est pas ce que tu disais l’autre soir…

— Veya, l’interrompit Luet en s’astreignant à la patience, tu n’as entendu qu’une moitié de cette conversation et par ailleurs j’ai eu de nouveaux renseignements depuis. Fais-moi un peu confiance, ma chérie. »

Motiga prit alors la parole. Se désintéressant du problème des mariages, il avait songé à autre chose. « Si les gens qui restent endormis ne vieillissent pas, est-ce que les enfants qui ne sont pas là seront restés petits à l’arrivée ? Est-ce que je serai plus grand que Protchnu ? »

Les regards de Nafai et Luet se croisèrent. Visiblement, ils auraient préféré éviter cette question. « Oui, finit par dire Nafai. C’est bien ça.

— Chouette ! » s’exclama Motiga.

Mais d’autres étaient moins enthousiastes. « C’est idiot, protesta Shyada qui avait le béguin pour Protchnu. Pourquoi vous ne nous réveillez pas à tour de rôle, comme vous faites avec les grandes personnes ? » Oykib s’étonna qu’une gamine de six ans ait ainsi trouvé la solution la plus judicieuse. Nafai et Luet aussi ; ils se demandaient manifestement que répondre, comment expliquer la situation.

Alors, toujours désireux de se montrer utile, Oykib se lança. « Écoute, si on est réveillés, ce n’est pas parce que Nafai et Luet nous aiment plus que les autres, ni rien : c’est parce que nos parents sont dans le camp de Nafai, tandis que ceux des gosses qui dorment sont dans le camp d’Elemak. »

Nafai avait l’air fâché. Oykib l’entendit demander intérieurement à Surâme : Il n’y a pas moyen d’apprendre à ce gamin à se taire quand il le faut ?

Il perçut aussi la réponse de Surâme : Ne t’avais-je pas prévenu de ne pas leur laisser le choix ?

« Il vaudrait mieux qu’on prenne tous notre décision en connaissant les vraies raisons de ce qui se passe, dit Oykib en regardant Nafai dans les yeux. Je sais que vous deux, mes parents, Issib, Hushidh, Shedemei et Zdorab, vous êtes ceux qui obéissez à Surâme, tandis qu’Elemak, Mebbekew, Obring et Vas ont essayé de te tuer, Nafai, et que, d’après Surâme, ils vont recommencer dès qu’on sera sur Terre. » Il en avait sans doute trop dit, et il avait montré des connaissances qu’il n’aurait pas dû avoir. Il décida d’expliquer la situation aux enfants. « C’est comme une guerre. D’accord, Elemak et Nafai sont mes frères et Nafai ne veut pas de bagarre entre eux, mais Elemak va quand même chercher à le tuer quand on arrivera sur Terre. »

Les petits le regardaient, la mine sérieuse. Oykib n’était pas disert, d’habitude, mais quand il parlait, tous l’écoutaient ; et ce qu’il disait aujourd’hui était grave. Il ne s’agissait plus d’histoires sans importance, comme savoir qui commandait les enfants. Luet et Nafai avaient fait une erreur : ils voulaient donner le choix aux petits, mais sans leur expliquer les vrais enjeux. Eh bien, Oykib connaissait ces gosses mieux que les adultes, il savait qu’ils comprendraient et ce qu’ils choisiraient.

« Alors, poursuivit-il, en réalité, s’ils nous ont réveillés, c’est pour que Yasai, Xodhya, Rokya, Jyat, Motya et moi, on devienne des hommes, des adultes, tandis que les fils d’Elya, Kokor, Sevet et Meb ne seront encore que des mômes. Comme ça, Elemak n’aura pas devant lui qu’un vieillard comme mon père ni qu’un infirme comme Issib ; c’est nous qu’il trouvera aux côtés de Nafai et on se battra contre lui s’il le faut. On se battra, d’accord ? »

Oykib regarda chaque enfant l’un après l’autre et chacun acquiesça à son tour. « Et il n’y a pas que les garçons, reprit-il. Tous les douze, on se mariera et on aura des enfants qui naîtront bien avant ceux des autres, et comme ça on sera toujours les plus forts. C’est le seul moyen d’empêcher Elemak de tuer Nafai ; et pas seulement Nafai, d’ailleurs : il faudrait qu’il tue Père aussi, et Issya, et peut-être Zdorab. Et s’il ne les tuait pas, il les traiterait comme des esclaves, et nous avec. C’est pour ça qu’il nous faut rester debout pendant le voyage. Elemak et Mebbekew sont mes frères, mais ils ne sont pas gentils. »

Luet avait enfoui son visage dans ses mains. Nafai contemplait le plafond.

« Comment tu sais tout ça, Okya ? demanda Chveya.

— Je le sais, c’est tout, d’accord ? Je le sais. »

La petite fille baissa la voix. « C’est Surâme qui te l’a dit ? »

D’une certaine façon, oui ; mais Oykib n’avait pas envie de lui mentir ni même de l’envoyer sur une fausse piste. Mieux valait ne pas répondre du tout. « Ça me regarde.

— Une bonne part de ce que tu as dit ne te regardait pas, Oykib, intervint Nafai. Mais maintenant, il faut en parler. C’est vrai, Surâme pense qu’il y aura une division dans notre communauté à notre arrivée sur Terre ; c’est vrai aussi, Surâme a inventé ce plan pour que vous, les enfants, vous soyez assez grands pour résister avec vos parents à Elemak, à ses partisans et à leurs enfants. Mais je ne crois pas obligatoire qu’il se produise une division. Je le refuse, même. Donc ce qui me motive, moi, c’est qu’il serait utile d’avoir douze adultes de plus pour aider à bâtir la colonie – et douze enfants de moins à élever, à protéger et à nourrir. Tout le monde en bénéficiera.