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Luet l’aperçut.

« Chveya !

— Silence ! » dit Elemak. Puis, à Chveya : « Viens ici. »

Elle s’avança, mais s’arrêta à plusieurs pas de lui.

« Regardez-vous ! cracha Elemak plein d’une colère méprisante.

— Regarde-toi toi-même ! répliqua Chveya. T’en prendre à un bébé ! Tes enfants doivent être fiers de leur courageux papa ! »

Une fureur flamboyante envahit Elemak, et Chveya vit sa relation avec elle prendre une puissance presque négative. L’espace d’un instant, il eut envie de la tuer.

Mais il ne bougea pas et se tut le temps de retrouver en partie son calme.

« Je veux l’Index, articula-t-il enfin. Oykib dit te l’avoir remis. »

Chveya se tourna d’un bloc vers Oykib, qui lui retourna un regard impassible. « Tu peux lui donner, dit-il. C’est ton père qui voulait qu’on le cache. Maintenant, Surâme lui ordonne de confier l’Index à Elemak.

— Où est Père ? demanda Chveya. De quel droit est-ce que tu parles à sa place ?

— Ton père va bien, intervint Elemak. Tu aurais intérêt à écouter ton grand oncle Oykib. » Il insista sur le mot « grand ».

« Crois-moi, reprit Oykib : tu peux lui indiquer où il est. Surâme dit que ce n’est pas grave.

— Tu peux m’expliquer comment tu sais ce que dit Surâme ? demanda Chveya.

— Pourquoi ne le saurait-il pas ? glissa Elemak d’un ton cauteleux. Il est comme tout le monde ici. Cette pièce est pleine de gens qui adorent dire aux autres ce que Surâme attend d’eux !

— Quand j’aurai entendu Père me le demander, je t’indiquerai où est l’Index.

— Elle a dû le cacher dans la centrifugeuse, dit Vas, si c’est elle qui s’en est occupée. »

Oykib écarquilla les yeux. « Mais on ne peut rien cacher là-dedans !

— Allez le chercher ! » ordonna sèchement Elemak à Mebbekew et Obring.

Obring se dressa aussitôt, mais Mebbekew réagit avec une lenteur délibérée. Chveya vit la faiblesse de sa loyauté envers Elemak. Il est vrai qu’il n’avait de réelle estime pour personne.

« Dis-leur, Veya, insista Oykib. Ce n’est pas grave, je t’assure ! »

Tu peux me l’assurer tant que tu veux, je m’en fiche, songea Chveya. Je ne l’ai pas caché au risque de ma vie pour me laisser persuader de le leur remettre par un traître comme toi !

« Ça n’a pas d’importance, poursuivit Oykib. Le seul pouvoir de l’Index, c’est de permettre de communiquer avec Surâme. Crois-tu que Surâme aura quelque chose à dire à un type comme ça ? » Il montra Elemak d’un geste méprisant.

Elemak sourit, s’approcha d’Oykib et d’une seule main l’arracha de son siège et le plaqua contre le mur. Le souffle coupé, Oykib s’affaissa en portant la main là où sa tête avait heurté les armoires. « Tu es peut-être grand, dit Elemak, et tu as la bouche pleine de belles paroles, mais tu es encore un peu léger, petit. Nafai s’imaginait vraiment que j’aurais peur d’un “homme” comme toi ?

— Tu peux lui dire, Chveya, répéta Oykib, négligeant de répondre à Elemak. Il peut taper sur des enfants, mais il ne peut pas commander Surâme. »

La main d’Elemak parut à peine bouger, mais le crâne d’Oykib alla frapper les armoires si fort que le garçon s’écroula.

Chveya vit alors les grands filaments de loyauté qui la reliaient à Oykib. Ils n’avaient jamais été lumineux à ce point. Et elle comprit soudain qu’il ne se soumettait à la violence d’Elemak que pour la convaincre de sa sincérité, de la vérité de ses paroles. Elle pouvait donner l’Index à Elemak.

Mais elle était incapable de s’y résoudre. Même si Oykib avait raison et que l’Index était sans pouvoir, ce n’était apparemment pas l’avis d’oncle Elemak. Il le voulait. Peut-être tenait-elle là un moyen de pression.

Cependant, elle ne pouvait laisser violenter Oykib davantage s’il était possible de l’éviter. « Je vais vous indiquer où il est », dit-elle.

Obring et Meb s’arrêtèrent au pied de l’échelle.

« Dès que vous m’aurez prouvé que Père va bien, ajouta-t-elle.

— Je te l’ai déjà dit, répliqua Elemak.

— Tu tiens aussi un bébé pour être sûr d’obtenir ce que tu veux. Ça démontre ton honnêteté et ta franchise. »

Elemak devint cramoisi. « Mais c’est qu’on parle haut, maintenant qu’on est grande, hein ? L’influence de Nafai sur ces mômes ne cesse de m’étonner ! » Tout en parlant néanmoins, il s’était approché de Luet, assise en silence avec ses autres enfants. Il lui donna Serp. « Je ne menace pas les bébés, dit-il.

— Tu veux dire que tu as déjà obligé Père à se rendre, rétorqua Chveya.

— Où est l’Index ?

— Où est Père ?

— En sécurité.

— L’Index aussi. »

Elemak s’avança sur elle d’un air mauvais et la domina de toute sa taille. « Essaierais-tu de marchander avec moi, gamine ?

— Oui.

— Comme Oykib l’a indiqué, l’Index ne me sert à rien, dit Elemak avec un grand sourire.

— Parfait, dans ce cas. »

Il se pencha, lui prit la nuque au creux de la main et lui souffla à l’oreille : « Veya, j’utiliserai tous les moyens qu’il faudra pour me faire obéir. »

Dès qu’il s’écarta d’elle, elle annonça à la cantonade : « Il a dit : “Veya, j’utiliserai tous les moyens qu’il faudra pour me faire obéir.” »

Il y eut un murmure général, peut-être à cause de son audace à répéter ce qu’il lui avait chuchoté, ou peut-être à cause de la menace d’Elemak. Peu importe : le réseau relationnel était en train de se modifier. L’emprise d’Elemak sur ses amis s’affaiblissait. Les autres lui restaient rattachés par la terreur, naturellement ; le traitement qu’il avait infligé à Oykib avait renforcé son ascendant sur eux. Mais le courage de Chveya et les tentatives d’intimidation d’Elemak contre elle avaient amoindri la loyauté de ses partisans.

Il parut le percevoir – meneur d’hommes énergique, il avait traversé des contrées dangereuses à la tête de ses caravanes et il savait quand il perdait du terrain, même s’il ne possédait pas le don que se partageaient Chveya et Hushidh de voir les liens de fidélité, d’obéissance, d’amour et de crainte. Il changea donc de tactique. « Ne te fatigue pas, Veya, tu n’arriveras pas à me faire passer pour le méchant dans cette petite comédie. C’est ton père et ceux qui ont conspiré avec lui qui nous ont trahis, nous. C’est ton père qui a menti en nous promettant de nous réveiller à mi-voyage. C’est ton père qui a dépouillé nos enfants de ce qui leur revenait de droit. Regarde-les. » De la main, il désigna les petits de quatre, cinq, huit ans qui s’efforçaient toujours de concilier l’image de ces grands adolescents avec celle des enfants de leur âge qu’ils avaient vus quelques heures plus tôt, lorsqu’ils s’étaient endormis ensemble avant le décollage. « Qui a maltraité des enfants ? Qui les a exploités ? Pas moi, en tout cas ! »

Chveya constata qu’Elemak était en train de regagner la sympathie perdue. « Dans ce cas, pourquoi ton épouse tient-elle toujours Spel ? » lança-t-elle.

Eiadh se dressa d’un bond et cracha sa réponse : « Il n’est pas prisonnier, sale petite morveuse ! Il pleurait et je l’ai consolé, c’est tout !

— Peut-être que sa mère aurait mieux réussi, répliqua Chveya. Mais peut-être aussi que ton mari ne veut pas que tu rendes Spel à Mère. »

Le regard qu’Eiadh jeta aussitôt à Elemak et le geste irrité par lequel il répondit prouvèrent à Chveya qu’elle avait vu juste. Morose, Eiadh apporta Spel à Luet qui le prit et l’installa sur son genou libre. Pourquoi Mère ne dit-elle rien ? se demanda Chveya. Pourquoi tous ces adultes nous laissent-ils mener la discussion ?