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— Ferme-la et obéis. »

Issib se laissa flotter jusqu’au sol et saisit l’Index qu’Elemak avait déposé sur ses genoux. Il plaça les mains dessus. Rien ne se produisit.

« Tu vois ?

— Que se passe-t-il, d’habitude ? demanda Elemak. Est-ce qu’il met du temps à répondre ?

— Il répond toujours instantanément. Mais là, il refuse simplement de fonctionner tant que le pilote stellaire n’est pas aux commandes du vaisseau.

— Le pilote stellaire ! » On aurait dit que ces mots étaient du poison sur la langue d’Elemak.

« L’oxygène va se raréfier de plus en plus, reprit Issib. Le vaisseau ne peut dissocier qu’une certaine quantité de molécules de dioxyde de carbone à la fois et nous sommes trop nombreux à respirer.

— Ce que tu dis, en fait, c’est que Surâme essaye de se servir des réserves d’oxygène pour m’obliger à capituler.

— Surâme n’est pas en cause. Il ne contrôle pas les appareils d’entretien de la vie, pas directement, et il serait en tout cas bien incapable de prendre le pas sur leur programme pour nuire aux humains. Les machines possèdent des systèmes de sécurité intégrés. C’est comme ça, tout simplement.

— Parfait ! Nous n’aurons qu’à mettre en hibernation les gens que je ne veux pas voir debout. J’irai même jusqu’à envoyer Nafai dormir le reste du voyage – quoiqu’en le laissant peut-être ligoté pendant sa petite sieste.

— Pour qu’il en sorte encore plus handicapé que moi ? demanda Issib.

— Hé ! Ce n’est pas bête ! s’exclama Elemak, que cette idée réjouissait visiblement. Avec toi, je n’ai jamais eu d’ennuis.

— Peu importe ce que tu maniganceras, il reste à Surâme la possibilité de t’empêcher de mettre en service les capsules d’animation suspendue. Il lui suffit de continuer d’émettre un signal de danger aux ordinateurs qui les contrôlent. Et ça, tu ne peux pas le court-circuiter. »

Elemak réfléchit un moment.

« Très bien, dit-il enfin. Je peux attendre.

— Te crois-tu plus de patience que Surâme ?

— Je crois surtout qu’il n’a pas envie que ce voyage échoue. Il finira par comprendre que c’est moi et personne d’autre qui commanderai la colonie, et il s’en arrangera.

Sûrement pas.

— Sûrement pas, répéta Chveya.

— Ah oui ? dit Elemak en se tournant vers elle. Surâme te parle, à toi, maintenant ? »

Chveya ne répondit pas.

Je puis accomplir ma mission première même si tous les organismes du bord sont morts.

« Surâme peut atteindre son but principal même si tous les organismes à bord du vaisseau sont morts, transmit Chveya.

— C’est du moins ce qu’il raconte à ceux qu’il trompe, répliqua Elemak. J’ai l’impression que nous allons passer quelques journées palpitantes à découvrir jusqu’où va la sincérité de Surâme.

— Les bébés mourront les premiers, remarqua Issib. Et les vieux.

— Si l’un de mes enfants meurt, eh bien, en ce qui me concerne, tout le monde peut crever, moi y compris. Plutôt mourir que vivre chaque jour sous la coupe de ce sale petit faux jeton, avec sa grande gueule, que mon père m’a refilé comme frangin ! » Elemak se retourna vers Chveya, un sourire aux lèvres. « Soit dit sans vouloir médire de ton père devant toi, petite. Mais tu tiens tellement de lui, il est vrai, que tu as dû prendre ça comme un éloge ! »

Le dégoût de Chveya fut plus fort que sa crainte de la colère d’Elemak. « J’aurais honte de lui, cracha-t-elle, si un homme tel que toi ne le haïssait pas ! »

Obring émit-il un petit rire dans le dos d’Elemak ? Celui-ci pivota brusquement, mais Obring était l’image même de l’innocence.

Tu as déjà perdu, pensa Chveya. Surâme avait raison. Nous t’avons battu ; reste maintenant à espérer que personne ne mourra avant que tu ne t’en rendes compte.

8

Délivrance

Luet était furieuse, mais pas contre Elemak. Pour elle, Elemak était presque à traiter comme une force élémentaire : naturellement, il haïssait Nafai, naturellement, il sautait sur n’importe quel prétexte pour lui faire du mal. Leur histoire était désormais trop longue, les vieilles rancunes trop nombreuses, trop lourde la culpabilité d’Elemak devant ses précédentes tentatives fratricides. Ce n’était pas en essayant de changer Elemak qu’on pouvait régler la situation, mais en s’efforçant d’éviter de le provoquer.

« C’est ta faute, dit Luet en s’adressant à Surâme. C’est toi qui as eu cette idée, qui as tout fait pour l’imposer, qui nous as manœuvrés, Nafai, moi, les parents des autres enfants, pour que nous traficotions le temps !

Et j’avais raison.

— Mais tu n’avais pas prévu qu’ils se réveillent, c’est ça ?

J’ai encore raison. Tout ira bien.

— Mes deux derniers ont du mal à respirer ; ils arrivent à peine à manger parce qu’ils mettent tellement de temps pour avaler qu’ils doivent reprendre leur respiration avant d’avoir fini ! Nous sommes en train de mourir et tu viens me raconter que tout ira bien ?

Il s’en faut de plusieurs jours avant que quiconque soit en danger de mort.

— Ah ! Voilà qui me rassure !

Je ne suis pas Elemak. Et je ne l’ai pas contraint à agir comme il l’a fait.

— Mais c’est toi qui as créé cette situation et qui nous as tous plongés dedans !

Imaginais-tu que ce jour ne viendrait jamais ? Que si vous jouiez bien le coup, Elemak vous laisserait tranquilles ? Mieux vaut que la crise ait lieu ici, où il me reste une certaine maîtrise des événements, que sur Terre, où vous serez entièrement livrés à vous-mêmes.

— Oh que non, nous ne serons pas livrés à nous-mêmes sur Terre ! Le Gardien nous y attendra. Et s’il nous porte même la moitié de l’affection et de l’attention que tu nous manifestes, nous serons tous morts au bout d’un an !

Le Gardien est beaucoup plus puissant que moi.

— Quel réconfort !

Je comprends ta colère. Évite seulement qu’elle n’obscurcisse ton jugement.

— C’est ça, je dois garder un jugement sain alors que nous suffoquons, que les gestes de nos enfants deviennent de plus en plus lents, que je pense à mon époux torturé, plié en arrière, à ses mains garrottées…»

Ainsi se poursuivirent d’heure en heure les conversations de Luet avec Surâme. Elle savait qu’une fois sa fureur épuisée, elle se tairait, accepterait la situation et irait sans doute même, à la fin des fins, jusqu’à reconnaître qu’elle se présentait pour le mieux, étant donné les circonstances. Mais tout n’était pas fini, loin de là. Et si c’était là le mieux, difficile d’imaginer ce qu’aurait été le pire – ou même seulement l’un peu moins bien ! Voilà ce qu’il était réellement impossible de savoir : ce qui aurait pu arriver ; et pourtant, les gens parlaient comme si c’était possible : « Si seulement l’alarme ne s’était pas déclenchée », « Si seulement Nafai avait su la fermer de temps en temps quand il était petit ! » Celle-ci, c’était une réflexion que Nafai lui-même se faisait souvent, Luet le savait bien : il se rendait responsable de tout ce qui se passait autour de lui. Mais ce qu’elle savait aussi, c’est qu’un événement ne découle pas d’une seule source, et ce n’est pas parce qu’on élimine ou que l’on modifie une cause qu’obligatoirement l’effet disparaît ni que la situation s’améliore.

Un jour ou l’autre, cette fureur profonde, déraisonnable que je ressens contre Surâme cessera, mais ce n’est pas pour tout de suite, pas tant que restera présente jusque dans mes cauchemars l’image de Nafai enserré dans ces liens cruels, tant que je verrai mes enfants haleter entre chaque bouchée, tant qu’Elemak et ses instincts sanguinaires régneront sur les occupants du vaisseau.