Выбрать главу

Juste à temps, Luet retint la moquerie cinglante qui lui montait aux lèvres.

« Ce n’est pas pour moi, continua Zdorab. Ni même pour toi, en réalité. Je veux seulement… c’est le seul moyen que j’aie de me racheter aux yeux de mes enfants. Tôt ou tard, tout le monde saura ce que j’ai fait ; c’est pourquoi je n’ai pas cherché à cacher cette conversation à tes petits, ceux qui se reposent là, les yeux fermés mais bien éveillés. Même si on ne leur fait aucun reproche, les miens auront honte de moi ; je dois me racheter à leurs yeux, j’ignore comment. C’est cela, la survie, pour moi ; j’ai cru un moment que cela signifiait rester en vie, mais j’avais tort. On ne vit pas éternellement, de toute façon. La survie, c’est le souvenir qu’on laisse de soi, le regard de ses enfants sur soi quand on est vivant, puis quand on est mort. Voilà ce que c’est, la survie. » Il regarda Luet dans les yeux. « Et s’il existe une vérité à m’appliquer, c’est celle-ci : je survis. »

Il se leva du bord du lit. Luet ouvrit la porte en y appuyant la paume et il sortit.

Dans le silence qui suivit la fermeture de la porte, Jatva dit à mi-voix : « Je suis bien content de ne pas être à sa place. »

Luet fit une grimace : « Ne te réjouis pas trop. Ta situation n’est pas si confortable que ça, pour le moment.

— J’aimerais avoir été aussi courageux que Veya.

— Non, Jyat, non, ne pense pas comme ça ; elle était dans une position où se montrer brave pouvait servir ; pas toi. Si un jour vient où tu as besoin de courage, tu en auras, bien assez, tant qu’il t’en faudra. » Elle ajouta in petto : Puisse ce jour ne jamais arriver. Mais en même temps, elle savait qu’il viendrait inéluctablement. Un frisson de peur la traversa.

Oh Nafai ! pensa-t-elle, si seulement tu pouvais m’entendre comme Surâme m’entend ! Si tu savais comme je t’aime, comme je souffre en songeant à ce que tu endures ! Et tout ce que je peux faire, c’est m’occuper des enfants de mon mieux, garder confiance en Surâme et en la nature humaine pour opérer un miracle et te libérer. Ce que je puis faire, je le fais, mais ce n’est pas assez. Si tu meurs, que restera-t-il de mon existence ? Même si les enfants s’en tirent sains et saufs, même s’ils deviennent des adultes honnêtes, forts, merveilleux, ça ne suffira pas si je t’ai perdu. Surâme nous a peut-être rapprochés comme des pions dans son jeu, mais le lien entre nous n’en est pas moins fort. Il est puissant, bien plus solide que ceux qui t’entravent en ce moment, mais sans ta présence à mes côtés, j’ai l’impression que c’est moi qui me trouve attachée, ligotée au fond de mon âme, incapable de bouger, incapable de respirer. Nafai !

Le nom se répercuta dans son esprit. L’image de son visage la brûla comme un cautère. Elle s’étendit en s’obligeant à se détendre et s’ordonna de dormir. Moins je consomme d’oxygène, plus il en aura, plus les enfants en auront. Il faut que je dorme. Je dois rester tranquille.

Mais elle n’arrivait pas à se calmer et même quand elle sombra enfin dans un sommeil agité, son cœur continua de battre follement, sa respiration demeura hachée, haletante, comme si elle était engagée dans un combat contre un ennemi dont elle parvenait tout juste à éviter les coups.

Le troisième jour, lors du premier repas, Elemak ne se trouvait pas dans la bibliothèque. Personne n’osa demander où il était ; d’ailleurs, personne ne s’en souciait. Quand il disparaissait, ne restait que la lassitude ; la vraie peur revenait quand lui-même était de retour. Ce n’était pas que les prisonniers eussent confiance en la bonne volonté de Meb, d’Obring ou de Vas – Meb semblait se délecter de ses menues méchancetés et Obring, selon toute apparence, jouissait de son statut de détenteur d’une parcelle d’autorité. Toutefois, tout le monde savait que l’un comme l’autre trahirait allègrement Elemak s’il pensait en tirer profit. En revanche, Vas paraissait détester son rôle ; pourtant, il le remplissait parfaitement et, des trois hommes, c’était celui sur lequel Elemak se reposait le plus. Il comptait à juste titre sur l’imagination de Vas pour exécuter efficacement n’importe quelle mission, même en son absence – ce qui était plus qu’on ne pouvait en dire des deux autres Elemaki.

Ce jour-là, pourtant, vit le premier défi ouvert à son autorité. Volemak, après un regard à Rasa, se leva et s’adressa au groupe.

« Mes amis, membres de ma famille…

— Asseyez-vous et taisez-vous ! » le coupa Mebbekew.

Volemak posa un regard d’un calme glacial sur son deuxième fils et dit : « Si tu souhaites me faire taire, je ne t’empêche pas d’essayer. Mais en l’absence de contrainte physique, je parlerai. »

Meb avança d’un pas. Aussitôt, sans qu’on leur en eût donné l’ordre, Yasai, le benjamin de Volemak, Zaxodh, l’aîné d’Issib, et Jatva, celui de Nafai, se dressèrent. Ils n’étaient pas à proximité de Volemak, mais la menace était claire.

Meb éclata de rire. « Vous croyez me faire peur, les mômes ?

— Tu aurais peut-être intérêt à faire attention, dit Rasa. Cela fait six ans qu’ils vivent en gravité réduite, tandis que tu ne me sembles pas très stable sur tes pieds.

— Amène-toi, Obring », ordonna Meb.

Obring fit lui aussi un pas vers Volemak. Ce fut alors Motiga, le deuxième fils de Nafai, qui se leva, imité par celui de Zdorab, Padarok. Un instant après, Zdorab lui-même se mettait debout.

« Vas, dit Meb, tu peux faire semblant de t’en foutre, mais moi je trouve que ça ressemble à une révolte. »

Vas acquiesça. « Obring, va chercher Elemak.

— On peut s’en occuper nous-mêmes ! cracha Meb.

— C’est ce que je vois. C’est fou ce que nous nous débrouillons bien, pour l’instant ! »

Obring regarda Vas et Mebbekew tour à tour, puis il sortit.

« Comme j’essayais de vous l’expliquer, dit Volemak, toute cette affaire est hors de propos. C’est moi que Surâme avait appelé au désert et c’est moi qui ai toujours mené cette expédition. C’est vrai, dans le désert, j’ai délégué l’autorité quotidienne à Elemak, mais ce n’était jamais qu’un arrangement temporaire en reconnaissance de ses talents et de son expérience. De même, durant le voyage, j’ai remis le commandement du vaisseau à Nafai, parce que c’est à lui que Surâme a donné le manteau du pilote stellaire. Mais le fait demeure que je suis le seul chef légitime de notre groupe, et quand nous arriverons sur Terre je ne déléguerai cette autorité à personne. Ni Elemak ni Nafai ne commanderont tant que je vivrai.

— Et il y en a encore pour combien de temps, mon cher vieux père ? demanda Mebbekew.

— Plus que tu ne le souhaiterais, limace abjecte, répondit Volemak d’un ton calme. Il est évident qu’Elemak ne maîtrise plus la situation. Par la menace et avec la coopération de trois brutes sans caractère (il regarda Vas dans les yeux), et parce que Nafai s’est constitué prisonnier afin de sauver la vie de ses enfants, la mutinerie d’Elemak semble actuellement victorieuse. Cependant, nous savons tous que le moment venu il devra inévitablement accepter la réalité : le vaisseau ne peut pas nous maintenir indéfiniment en vie si nous sommes tous éveillés, et Surâme ne laissera pas Elemak mettre quiconque en hibernation tant que Nafai ne sera pas libéré. Par conséquent, ce que je demande aujourd’hui, c’est le serment solennel, de la part de chacun de vous, de vous soumettre à mon autorité et uniquement à la mienne une fois cette affaire terminée. Tant que je vivrai, vous n’aurez pas à choisir entre Elemak et Nafai, seulement à m’obéir en accord avec votre engagement. Je vous invite tous, hommes et femmes, à prêter ce serment. Que tous ceux qui désirent ne se plier qu’à mon autorité à l’issue de ce conflit se lèvent et l’affirment. »