Aussitôt, les hommes qui étaient déjà debout, à part Vas et Mebbekew, lancèrent un « oui » retentissant. Rasa, Hushidh, Luet et Shedemei se dressèrent instantanément, imitées par les jeunes femmes qui avaient participé à l’enseignement des plus petits ; leurs voix aiguës firent écho à celles des hommes. Lentement, Issib se leva et dit « oui ».
« Je pars de l’hypothèse, reprit Volemak, que si Oykib et Chveya n’étaient pas maintenus en isolement ils se rallieraient eux aussi à ce serment et je les compte donc parmi les citoyens légitimes de ma communauté. Quand Nafai sera libéré, je lui demanderai de se soumettre à son tour à cet engagement. Quelqu’un ici doute-t-il qu’il n’accepte ? Et qu’il ne s’y conforme, une fois sa parole donnée ? »
Nul ne dit mot.
« N’oubliez pas, je vous prie, que je ne vous demande d’accepter mon gouvernement qu’après la fin du conflit. Je ne vous demande pas de risquer votre vie en entrant en résistance contre Elemak. Mais si vous ne prêtez pas serment maintenant, vous ne ferez pas partie des citoyens de la colonie que je fonderai sur Terre. Naturellement, par la suite, vous pourrez postuler pour la citoyenneté et j’exigerai un vote des citoyens pour entériner ou non votre admission. Toutefois, si vous acceptez aujourd’hui, vous serez citoyen dès le début. »
À la surprise générale, Vas prit la parole. « Je veux aussi prêter serment. Une fois ce conflit terminé, votre autorité sera la seule à laquelle je me soumettrai tant que vous vivrez. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour prolonger votre existence le plus possible. »
Son époux ayant parlé, Sevet se leva avec ses trois jeunes enfants. « Je prête serment », dit-elle, imitée par les petits.
Ceux qui étaient restés assis se sentaient visiblement mis à l’écart.
« Elemak ne va pas apprécier, dit Meb à Vas.
— De toute façon, il n’apprécie rien, ces temps-ci, rétorqua Vas. Je ne veux que la paix et la justice.
— Mon père a participé lui aussi au petit complot de Nafai, tu sais. Il est loin d’être neutre, dans cette affaire.
— Certains, je le sais, sont fâchés qu’on ait maintenu des enfants éveillés pour les scolariser pendant le voyage, dit Volemak. Elemak ne nous a malheureusement jamais permis de nous en expliquer. Tous ceux d’entre nous dont les enfants ont suivi un enseignement ont été incités à le faire par Surâme. Nafai rechignait beaucoup à lui obéir, et nous avons insisté jusqu’à ce qu’il accepte. Les enfants ont été choisis par Surâme et ce sont eux, comme nous, qui ont librement décidé de se soumettre à son plan. Il n’y a pas à en regretter le résultat : au lieu de nous retrouver avec une poignée d’adultes et de nombreux petits improductifs, nous avons divisé la nouvelle vague d’enfants, si bien que nous disposerons désormais et pour plusieurs générations d’une population renouvelée de jeunes arrivant à l’âge adulte. Et si vous vous croyez victimes d’un préjudice, dites-vous que vous avez devant vous plus d’années à vivre sur Terre que ceux qui sont restés éveillés durant le voyage. »
Dol se leva, ce qui obligea ses enfants à en faire autant.
« Rassieds-toi, sale vendue ! hurla Mebbekew.
— Mes petits et moi-même voulons être citoyens de votre colonie, dit Dol. Nous prêtons tous serment. »
Mebbekew se précipita sur elle. Vas s’interposa, la main tendue pour l’arrêter. « Le moment est mal choisi pour les brutalités, déclara-t-il. C’est une libre citoyenne, je crois, et elle a le droit de donner son avis. »
Meb écarta violemment la main de Vas de sa poitrine. « Toutes vos histoires ne tiendront plus debout quand Elemak sera là ! »
À moins d’un pas de lui, Eiadh se dressa. Aussitôt, Protchnu, son fils aîné, lui tira la manche pour l’obliger à se rasseoir. « Quand le conflit sera réglé, je me soumettrai à votre autorité, Volemak, dit-elle. »
Protchnu se tourna vers les autres enfants et leur cria : « Vous avez intérêt à ne pas jurer ! » Sa fureur les effraya visiblement.
« Je prends en compte cette intimidation à l’encontre des plus petits, dit Volemak. Il leur sera accordé une occasion ultérieure de prêter serment en toute liberté.
— Ils ne prêteront jamais serment ! vociféra Protchnu. Est-ce que je suis le seul à rester du côté de Père ? C’est lui qui doit nous commander et personne d’autre ! »
Kokor se leva avec ses enfants. « Nous voulons être citoyens, nous aussi. Après le conflit.
— Vous le serez si vous prêtez serment, dit Volemak.
— Ah oui, bien sûr, c’est ce que je voulais dire, bredouilla-t-elle. Je prête serment. »
Ses enfants acquiescèrent ou murmurèrent leur accord.
À la porte, Elemak dit à mi-voix : « Très bien. Tout le monde a pris sa décision. Maintenant, asseyez-vous. »
Aussitôt, Kokor s’assit en pressant ses enfants de l’imiter. Peu à peu, chacun en fit autant, à l’exception de Volemak, de Rasa et d’Eiadh, qui fit face à son époux. « C’est fini, Elya, dit-elle. Tu es le seul à ne pas voir que tu ne peux plus l’emporter.
— Ce que je vois, c’est que je ne laisserai jamais Nafai me commander, ni moi ni personne.
— Même si pour cela tes propres enfants doivent mourir asphyxiés ?
— Si l’ordinateur chéri de Nafai veut tuer les plus faibles d’entre nous, je n’y peux rien. Mais moi, je n’aurai assassiné personne.
— En d’autres termes, ça t’est bien égal. En ce qui me concerne, c’est la preuve définitive que tu n’es pas apte à gouverner notre colonie. Ton amour-propre compte plus à tes yeux que la survie de nos enfants.
— Tu en as assez dit ! la prévint Elemak.
— Non, c’est toi qui en as trop fait ! Tant que tu ne cesseras pas ce numéro puéril d’homme en colère, tu ne seras plus mon époux !
— Ah, tu ne renouvelleras pas mon contrat, c’est ça ? demanda Elemak avec un affreux sourire. Que dis-tu de ça, Proya ? »
Protchnu s’approcha de son père. « Je crois que je n’ai plus de mère.
— Ça tombe bien : moi, je n’ai plus ni père ni épouse. N’aurais-je aucun ami non plus ?
— Moi, je suis ton ami, dit Obring.
— Je suis de ton côté, ajouta Meb. Mais Vas a prêté serment à Père.
— Vas est prêt à jurer n’importe quoi, répondit Elemak. Mais sa parole n’a jamais eu aucune valeur, tout le monde le sait. »
Sevet éclata de rire. « Regarde donc tes amis, mon pauvre ! Un gamin de huit ans bercé d’illusions, et qui d’autre ? Meb ! Obring ! C’étaient déjà des minables à Basilica !
— Ce n’est pas ce que tu disais quand tu m’as ouvert ton lit ! lui cria Obring.
— Tu n’avais rien à voir là-dedans, répliqua Sevet avec mépris. C’était une histoire entre ma sœur et moi, et crois-moi, j’ai chèrement payé mon erreur. Vas sait que je lui ai toujours été fidèle depuis, tant dans mon cœur que dans mes actes. »
Les enfants assez grands pour comprendre ces révélations de scandales familiaux allaient avoir de quoi bavarder : Obring et Sevet avaient eu une liaison ? Et comment Sevet avait-elle payé ? Et qu’est-ce que ça voulait dire, qu’il s’agissait d’une histoire entre elle et sa sœur ?
« Suffit, intervint Elemak. Le paternel a joué sa petite comédie, mais vous remarquerez qu’il ne s’est pas aventuré à vous demander de vous dresser contre moi. Il ne vous gouverne que dans un avenir imaginaire ; il sait, comme vous tous, que c’est moi qui commande aujourd’hui et, croyez-moi, vous ne connaîtrez jamais un avenir où je ne commande pas ! » Il se tourna vers Obring. « Reste ici et empêche quiconque de sortir de la bibliothèque. »