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Obring adressa un sourire rayonnant à Vas. « J’ai comme l’impression que tu ne me donneras plus d’ordres !

— Vas reste gardien, dit Elemak. Je ne lui fais pas confiance, mais il fera ce qu’on lui dira. Et dorénavant, il fera ce que tu lui diras, Obring. On est bien d’accord, Vas ?

— Oui, répondit Vas d’un ton calme. Je ferai ce qu’on me dira. Mais je tiendrai aussi tous mes serments.

— C’est ça, c’est ça, homme d’honneur et tout le tremblement. Bon, maintenant, Meb, emmenons Père et sa femme voir Nafai. Et tant que nous y sommes, emmenons aussi celle qui prétend n’être plus mon épouse.

— Que comptes-tu faire ? demanda Rasa d’un ton dédaigneux. Nous ligoter comme tu as ligoté Nafai ?

— Certainement pas ! Je respecte les vieux. Mais pour chaque personne qui s’est soumise à votre petit serment, Père, Nafai va recevoir un coup. Et vous allez y assister. »

Volemak jeta un regard venimeux à Elemak. « Le jour où je t’ai engendré, il aurait mieux valu que je me fasse castrer ou assassiner !

— Ç’aurait été dommage, répondit Elemak. Vous n’auriez jamais donné le jour à votre Nafai chéri. Quoiqu’en y réfléchissant, je me demande si la semence d’un homme a joué un rôle dans sa conception : il a tout de la petite fille à sa maman ! »

Un instant plus tard, Elemak et Mebbekew poussaient sans ménagement Volemak et Eiadh le long de l’échelle menant au magasin où gisait Nafai. Rasa les suivait, impuissante.

Nafai ne dormait plus depuis ces derniers jours. Ou du moins, s’il dormait, il avait l’impression d’être éveillé tant ses rêves étaient réalistes. Il y voyait parfois ses pires craintes représentées, les jumeaux qui suffoquaient et finissaient par cesser de respirer, les yeux grands ouverts, la bouche béante ; il essayait de leur clore les paupières et les lèvres, mais elles se rouvraient dès qu’il retirait la main. Il émergeait de ces cauchemars à demi asphyxié lui-même.

Quelquefois, pourtant, il rêvait du passé, de périodes plus heureuses de sa vie. Il se revoyait se lever le matin chez son père, courir jusqu’à la douche et ouvrir l’eau froide. À l’époque, il détestait cela, mais aujourd’hui il s’en souvenait avec attendrissement. C’était un temps d’innocence, où le pire qui pouvait arriver se limitait à une brutale averse d’eau glacée sur la tête, et où l’on ne pouvait rien faire de plus affreux à son prochain que de lui envoyer des piques jusqu’à ce qu’il arrête de rire et fasse taire le railleur à grand renfort de bourrades. Mais il n’y avait désormais plus de rires, le pardon n’existait plus et l’eau glacée n’était plus rien, rien qu’un souvenir nostalgique. Comment aurais-je pu me douter à cette époque, se disait Nafai en s’éveillant de ces rêves réminiscents, comment aurais-je pu me douter que les agacements d’Elemak se transformeraient en une haine si implacable ? Que nous vivrions des jours si terribles ? Je le taquinais pour attirer son attention, c’est tout. Je voulais seulement qu’il me remarque, qu’il me dise qu’il m’aimait bien, qu’il envisageait de m’emmener un jour en caravane dans un pays lointain pour en rapporter les plantes exotiques que vendait Père. Tout ce que j’attendais de lui, c’est qu’il me respecte et proclame, un bras sur mes épaules : « Lui, c’est mon frère ; regardez-le bien, je peux compter sur lui, il a toute ma confiance. »

Qui d’autre aurait pu être ton frère, Elemak ? Meb ? C’est lui que tu as choisi ? Étais-je si indigne à tes yeux pour que tu le préfères à moi ?

Il a choisi Meb parce qu’il pouvait le diriger à sa guise. Il te haïssait parce que tu étais plus fort que lui.

Oui, avec le manteau du pilote, je suis plus fort que lui.

Tu sais que tu peux l’abattre quand tu le désires.

Non, je ne peux pas. Le manteau, oui. Toi, oui. Mais pas moi. Je suis ligoté par terre et j’ai mal aux poignets et aux chevilles.

C’est toi qui refuses de les soigner. Tu sais que le manteau peut les guérir en un clin d’œil.

Elemak veut que je souffre. S’il voit saigner mes entailles, ça lui suffira peut-être.

Seule ta mort le satisfera.

Alors, qu’il en soit ainsi.

Je refuse de te laisser mourir. Dès que tu seras inconscient, je reprendrai le contrôle du manteau et je te guérirai.

Ne t’occupe pas de moi pendant que je dors. Je ne veux pas de tes rêves et encore moins de tes tripatouillages !

Apprécies-tu de souffrir ?

Je déteste la souffrance que me cause la haine de mon frère ! Et le fait de savoir que cette fois, je la mérite peut-être !

Personne ne mérite de souffrir pour m’avoir aidé.

Ah ! Et moi qui croyais que c’est toi qui nous avais aidés en nous obligeant à garder les enfants éveillés !

Je vous aidais afin que vous puissiez m’aider à votre tour. Ne joue pas les imbéciles et n’essaye pas de m’entraîner dans ce genre de discussions puériles.

Est-ce que tu me parles vraiment ? Ou est-ce encore un rêve ?

Les deux.

Mais si c’est un rêve, pourquoi ne puis-je m’éveiller ? »

À peine eut-il formulé cette pensée qu’il émergea du sommeil. Ou du moins, il émergea en songe, car il sut aussitôt qu’il dormait toujours, plus profondément qu’avant peut-être. Et dans son sommeil, se pensant éveillé, il sentit les cordes s’effriter autour de ses poignets et il se leva. La porte s’ouvrit au contact de sa main. Déambulant dans les couloirs, il vit çà et là des gens couchés par terre, la bouche ouverte, haletants ; personne ne le remarqua, comme s’il était invisible. Ah ! se dit-il, je comprends. Je suis mort et c’est mon esprit qui erre dans le vaisseau. Mais il s’aperçut alors que ses poignets et ses chevilles le faisaient souffrir et qu’il avait du mal à marcher droit, malgré la gravité réduite ; il n’était donc pas mort, finalement.

Arrivé à l’échelle, il s’y hissa, toujours plus haut, jusqu’au dernier niveau, là où le champ de protection était généré. Mais l’échelle ne s’arrêtait plus là ; elle se poursuivait par une ouverture dans le plafond qui donnait, non sur le sol en plastique lisse du vaisseau, mais sur un pavage de pierre. Quand il y prit pied, il sentit son corps redevenu lourd, ses pas soudain douloureux sous l’effet du retour à une gravité normale. Il faisait noir ; il devait être dans une caverne. Il perçut un trottinement, mais qui ne s’approchait pas ; il ne s’éloignait d’ailleurs pas non plus. Nafai fit quelques pas et le trottinement reprit brièvement. D’accord, songea-t-il. Suis-moi, je n’ai pas peur de toi. Je sais que tu es là, mais tu ne me feras pas de mal, je le sais aussi.

Il arriva devant un couloir et distingua une lumière dans une petite salle creusée dans la paroi de la caverne. Il y pénétra et découvrit des dizaines de statues d’argile magnifiquement façonnées, disposées un peu partout, sur des corniches et sur le sol. Mais en y regardant de plus près, il s’aperçut qu’elles étaient toutes défigurées, lissées au point que par endroits les détails avaient entièrement disparu. Qui avait pu abîmer des œuvres aussi merveilleuses ? Les abîmer et pourtant les conserver là comme s’il s’agissait d’un trésor secret ?

Enfin, il remarqua une statue placée très en hauteur et très loin de la lumière, une statue plus grande que ses voisines et intacte. Mais ce n’est pas la perfection du détail qui le fit tomber en arrêt devant elle. C’est le visage en lui-même ; car au contraire des autres, faciès d’animaux ou de gargouilles, celui-ci était humain. De plus, Nafai le connaissait. Et pour cause : il le voyait dans tous les miroirs depuis qu’il était adulte.