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Il réunit Nafai, Hushidh et Chveya pour dresser une liste des gens clairement fidèles aux Nafari et des affidés d’Elemak. « Nous revoilà divisés en Elemaki et Nafari, dit Chveya. J’ai espéré un temps que ces jours étaient derrière nous. »

Volemak avait l’air triste mais pas étonné. « Je savais qu’Elemak avait changé ; mais ce qu’il a appris, c’est la patience, non la générosité, et Surâme le sait depuis le début. »

En nombre, les Nafari écrasaient largement les Elemaki et l’issue d’une bataille entre les seuls humains ne faisait pas de doute. Mais naturellement, le combat, s’il devait avoir lieu, opposerait les humains de Nafai et l’armée de fouisseurs de Fusum. Dans cette optique, les soldats de Nafai n’étaient qu’une petite poignée et nul n’imaginait un instant que les anges, aussi ardents fussent-ils, puissent faire front aux fouisseurs dans une guerre ouverte. Il fallait absolument éviter la confrontation. Nafai et les siens allaient devoir s’exiler.

Cependant, même parmi les enfants de Kokor et de Sevet, plus de la moitié se déclaraient loyaux à Nafai – en partie à cause du secret de Polichinelle que constituait la liaison de leurs mères avec Elemak. « La vraie complication, dit Hushidh, c’est qu’Eiadh est peut-être la plus loyale de tous à Nafai et qu’elle voudra emmener le plus grand nombre de ses enfants et petits-enfants.

— Combien accepteraient ? demanda Nafai.

— La majorité. La majorité de ceux d’Elemak, à l’exception de Protchnu, de Nadya et de leurs enfants. Mais Elemak ne supportera pas que tu lui prennes un membre de sa famille, fût-ce seulement Eiadh. Il nous poursuivrait jusqu’au bout du monde. Pas question d’emmener Eiadh si nous voulons garder un espoir de paix. »

Volemak écouta leur discussion de bout en bout, puis il prit sa décision. « Vous accepterez tous ceux qui éprouvent une fidélité enracinée pour Nafai, s’ils souhaitent partir. Vous devrez vous en remettre à la grâce du Gardien de la Terre. »

Si quelqu’un eut l’idée de lui répondre : « C’est facile à dire pour vous, Volemak ; vous serez mort avant que la guerre n’éclate ! », il garda ses réflexions pour lui.

Sa santé déclinant, Volemak entreprit de recevoir un par un les membres du village. Une simple conversation, disait-il, mais tous en sortaient ébranlés. Il s’asseyait avec chacun et lui assenait avec une franchise brutale ce qu’il pensait de lui. Il pouvait se montrer cinglant, mais quand il louait ce qu’il y avait de bon chez son visiteur – ses talents, ses vertus, ses réussites – ses paroles valaient de l’or. Certains retenaient surtout les critiques, bien entendu, d’autres les éloges, mais chacune de ces visites fut enregistrée et, plus tard, Nafai et Oykib les transcrirent sur les feuilles d’or du livre. Lorsqu’ils voudraient un jour se rappeler ce qu’avait dit Volemak, ses paroles les attendraient là.

Nul n’ignorait que le patriarche faisait ses adieux. Et quand il tomba malade, le rythme s’accéléra.

Il reçut pTo et Poto, qui avaient descendu le canyon pour le voir parce que, même en navette, il n’aurait pas supporté un nouveau trajet jusqu’à leur village. « Nous nous battrons et nous mourrons pour Nafai, lui dirent-ils.

— Je ne veux pas que vous mouriez, et vous ne devez vous battre que si vous y êtes forcés. Voici la vraie question, mes amis : voulez-vous, vous et tout votre peuple, suivre Nafai dans l’inconnu pour tout recommencer, pour fonder une nouvelle colonie dans une autre contrée ?

— Nous préférerions combattre les fouisseurs, dit pTo, nous battre comme des hommes. Nafai nous a appris à manier de nouvelles armes. Nous pouvons maintenant tuer des panthères en pleine course, nous pouvons les tuer du haut des airs en restant hors d’atteinte.

— Les fouisseurs sont plus intelligents que les panthères, fit remarquer Volemak.

— Mais les anges sont plus intelligents que les fouisseurs, rétorqua Poto.

— Vous ne m’avez pas compris. Si je dis que les fouisseurs sont plus intelligents que les panthères, ça signifie que leur vie est plus précieuse. Vous n’avez pas à vous vanter de pouvoir abattre des fouisseurs : ce sont des hommes, non des animaux. »

Mortifiés, pTo et Poto se turent.

« Êtes-vous prêts, vous et votre peuple, à suivre Nafai plus haut dans les montagnes ?

— Je puis vous assurer en toute certitude, Père Volemak, répondit pTo, que non seulement notre peuple suivra Nafai jusque dans la lune ou dans les abîmes de l’enfer, mais qu’il le suppliera de devenir son roi et de le gouverner, car alors il se saura en sécurité.

— En irait-il de même s’il ne portait pas le manteau du pilote stellaire ? » demanda Volemak.

Les deux anges se regardèrent, un instant perplexes. Puis la mémoire revint à Poto. « Ah, vous parlez de cette chose qui lui permet de briller comme une luciole à volonté ?

— Cela n’a pas d’importance à nos yeux, enchaîna pTo. Ce n’est pas parce qu’il détient des pouvoirs magiques que nous voulons son autorité ; nous souhaitons qu’il nous gouverne parce que lui, ainsi que Luet, Issib et Hushidh sont les êtres les meilleurs et les plus sages que nous connaissions, qu’ils nous aiment et que nous les aimons. »

Volemak hocha la tête. « Alors vous serez mes enfants pour toujours, même après ma mort. »

Les deux anges rentrèrent chez eux et ordonnèrent à leur peuple de se préparer au départ. Tous alors rassemblèrent leurs biens et y firent leur tri. Ils empaquetèrent leurs semences et des boutures de plantes qui ne se multipliaient pas par semis ; ils prévirent des vivres pour le voyage et pour le temps de maturation de leurs nouveaux champs ; puis ils déplacèrent leurs enfants à une journée de voyage plus loin dans la vallée, de l’autre côté du sommet le plus proche, afin qu’ils soient déjà hors d’atteinte des fouisseurs si le départ se transformait en fuite.

« Combien de temps Père Volemak va-t-il encore vivre ? » demandaient-ils tous aux deux anges.

Que répondre ? « Pas assez longtemps », répétaient-ils.

Enfin Volemak en eut fini de ses adieux, il donna sa dernière bénédiction, exprima une ultime fois ses espoirs, ses souvenirs, son amour ; mais il ne mourait pas. Rasa se rendit chez Shedemei : « Volya et Nyef veulent te voir, Shedya. Viens vite, s’il te plaît. » Elle sourit à Zdorab. « Sans toi, cette fois, je regrette. » Zdorab acquiesça.

Shedemei suivit la vieille femme dans la maison où Volemak reposait, les yeux clos, la poitrine immobile.

« Il est…, fit Shedemei.

— Pas encore », répondit Volemak dans un souffle.

Nafai se tenait sur un tabouret, dans un coin. Rasa sortit en disant seulement : « Faites vite. » Ils comprirent qu’elle ne voulait pas être dehors lorsque son époux passerait.

« Nafai, chuchota Volemak, donne-lui le manteau du pilote.

— Comment ? s’étonna Shedemei.

— Shedemei, reprit Volemak, prends le manteau. Apprends à t’en servir. Emmène le vaisseau dans le ciel, où nul ne pourra le toucher ni s’en servir. Vis longtemps ; le manteau entretiendra ton organisme. Veille sur la Terre.

— C’est le travail du Gardien, pas le mien ! » protesta la généticienne, mais en vérité le cœur n’y était pas. Volemak veut que je prenne le vaisseau, que moi, moi, je prenne le vaisseau ! Il veut me donner le seul laboratoire de valeur de ce monde et tout le temps pour m’en servir !

« Toute aide sera la bienvenue pour le Gardien de la Terre, poursuivit Volemak. S’il était capable de se débrouiller seul, il ne nous aurait pas fait venir. »

Nafai se leva tout en commençant à se déshabiller. « Le manteau va passer de ma peau à la tienne, dit-il, si tu acceptes de le prendre. Et si j’accepte de te le donner.