— Oh, disons une semaine, dix jours peut-être…
Ce n’était pas le genre de chose qui devait être fait trop rapidement.
— En tout cas, aussi vite que je pourrai.
Après le départ de Vinta, sans qu’ils eussent discuté de sa rémunération, Galilée s’assit lourdement sur un banc dans son atelier.
C’était un système qui pouvait être défendu, si on acceptait ses prémisses, qui étaient probablement exactes. Tout événement était l’effet d’une cause première, tout se déplaçait dans un enchevêtrement intriqué de causes et d’effets, qui incluait évidemment les étoiles et les planètes. Mais démêler l’écheveau était très compliqué, et en ce sens l’astrologie était un projet condamné d’avance, ou en tout cas radicalement prématuré, quelle que soit son ancienneté. Mais il ne pouvait pas le dire aux Médicis. Et on pouvait toujours calculer la position des planètes au moment de la naissance du sujet. Faire ce que faisaient tous les autres.
Il poussa un gémissement et réclama un nouveau folio, des plumes, de l’encre, une vieille éphéméride poussiéreuse. Vinta lui avait laissé une épaisse liasse de papiers contenant les informations sur la naissance du grand-duc.
Galilée considéra toutes ces choses pendant un long moment. Il avait payé soixante lires pour le thème astral de chacune de ses filles, à leur naissance. Il n’en avait pas fait autant pour Vincenzio, parce qu’il ne pouvait se le permettre à l’époque. Il prit sur l’étagère poussiéreuse, au fond de l’atelier, tous les livres qui pouvaient lui servir. Le texte de base était de Ptolémée lui-même : de même que son Almagest couvrait toute l’astronomie grecque, son Tetrabiblios décrivait toute leur astrologie. Sa description des influences célestes était dérivée d’un mélange de philosophes : Zénon, Pythagore, Platon, Aristote, Plotin… Aucune mention d’Archimède. Il n’y avait pas moyen d’appliquer à ce problème la mécanique du héros de Galilée.
D’une façon plus typiquement grecque, Ptolémée et la plupart de ses sources voyaient l’idios cosmos dans le koinos kosmos, et vice versa ; ils spiritualisaient la matière, et matérialisaient l’esprit. Parfait ; c’était certainement vrai. Mais l’action à distance ! Les assertions non justifiées ! Galilée jurait tout haut en lisant. Le Tetrabiblios n’était qu’un enchaînement sans fin d’assertions. Se servir de telles choses comme bases généthliaques, la construction d’horoscopes individuels…
Enfin, Kepler l’avait fait. Et il le faisait encore. Son latin était tellement bizarre (lorsque le problème ne résidait pas dans la pensée de Kepler proprement dite) que Galilée n’était pas sûr de ce que racontaient ses livres ; il n’avait fait que les feuilleter pour essayer de trouver des passages intelligibles. Les sections sur l’astrologie étaient les pires de toutes. Là, Kepler prêtait encore plus à confusion que Ptolémée.
Pour commencer, Kepler se disait copernicien, et Galilée avait tendance à le suivre sur ce point, sauf que l’astrologie était ptolémaïque. Le fait que Kepler fût incompréhensible venait de ce qu’il essayait de faire de son astrologie quelque chose d’aussi copernicien que son astronomie, pour que là aussi, comme dans le ciel, les apparences soient sauves. Saint Augustin avait réconcilié l’astrologie et le christianisme ; peut-être Kepler pensait-il pouvoir la réconcilier avec les théories coperniciennes.
Mais il n’avait pas le temps d’explorer tout Kepler pour le découvrir. Il devait écarter le fait que les fondations fussent problématiques et se concentrer sur Ferdinand. Sa carte du ciel indiquait la situation de toutes les planètes au moment de sa naissance, en carré, en opposition, en sextile ou en conjonction. Jupiter était son ascendant – et un ascendant fort – au moment de sa naissance, Vénus en conjonction. Consulter le Tetrabiblios pour les significations principales de ces luminaires. Pour Jupiter, il y avait l’expansion, l’élargissement, les honneurs, l’avancement, la jouissance du parrainage, le profit financier, la joie, les instincts charitables, les voyages, tout ce qui était du ressort de la justice, de la religion et de la philosophie. Toutes ces qualités suggéraient que Galilée lui-même devait être jupitérien, mais il savait déjà que Jupiter n’était pas son Grand Bénéfique ;c’était plutôt Mercure. L’intermédiaire insaisissable ; ça ne semblait pas coller. Peut-être devrait-il établir, pour son propre usage, une prosthaphérèse – à savoir la correction nécessaire pour trouver la « vraie » place d’une planète, par opposition à sa place apparente ou « moyenne ».
Mais Ferdinand semblait être né sous de bons auspices. Bons, bons et plus que bons. Évidemment, presque partout dans le ciel, c’était bon. Il était clair que, quel que soit son ascendant, autrement dit sa planète bénéfique, l’astrologie se concentrait sur le bien qu’on pouvait en attendre. Ptolémée lui-même l’avait noté dans l’introduction du Tetrabiblios – On consulte les étoiles pour le bien qu’on peut y voir, avait-il écrit –, ce qui était très pratique. Jupiter était définitivement bénéfique. Le bénéfice d’un protecteur ? Le profit financier ? Qui ne voudrait être né sous Jupiter ?
D’un haussement d’épaules, il écarta ces pensées vagabondes et passa en revue les demandeurs, les aspects et les cérémonies, les conjonctions rétrogrades et indulgentes, les oppositions et les carrés, les maisons et les angles, les sextiles et les cuspides. Il appliqua des mathématiques élémentaires, si basiques qu’il se demanda s’il ne pourrait pas, par hasard, construire une boussole astrologique comme sa boussole militaire – ou si, par hasard, sa boussole militaire n’avait pas déjà la faculté de calculer les horoscopes. Il aurait raconté cette bonne blague à Marina, si elle avait été là. Encore une chose que sa boussole pouvait faire.
Il lui fallut deux jours pour venir à bout de ce travail. Par bonheur, l’horoscope prédisait vraiment à Ferdinand une longue vie et une bonne santé – celles-ci se trouvaient particulièrement dans l’ascendant, en fait, à cause de la position actuelle de Jupiter dans le zodiaque. Sa mort devait vraisemblablement survenir d’ici vingt-deux ans, une conjonction carrée de la rapide Mercure et de la morne Saturne – non que les horoscopes ordinaires cherchassent traditionnellement ce genre d’information, mais Galilée avait poussé les calculs jusqu’à la fin, par pure curiosité. L’astrologie telle qu’il la comprenait était une structure articulée d’espoir. On ne cherchait jamais la fin de la vie, alors même qu’on pouvait la calculer.
Il coucha ses résultats par écrit, en omettant le calcul final, évidemment, et fit réaliser les dessins par Arrighetti. Il emporta les jolies cartes du ciel et un bel exemplaire de ses calculs au palais et les remit en personne à Vinta, qui rompit sans cérémonie le sceau de la mallette de cuir, sur laquelle Mazzoleni avait gravé une version dorée des armoiries des Médicis. Il lut rapidement la page principale en hochant la tête.
— Jupiter, Vénus et le Soleil, tous dans l’ascendant. Parfait. Son altesse et la grande-duchesse seront très contentes, j’en suis persuadé.
Puis soudain il le foudroya du regard :
— Vous êtes sûr de ça ?
— Les signes sont très forts. Ses sujets seront heureux de savoir que leur très bienveillant grand-duc est favorisé par la Fortune et par les étoiles.
— Dieu soit loué, dit Vinta. Parce qu’il se plaint d’une douleur qui le ronge de manière lancinante.
Galilée hocha la tête ; lui aussi, il était affligé de ce genre de souffrances. Il rentra chez lui après avoir reçu une coupe d’or qui pourrait être vendue pour une honnête somme aux orfèvres.