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Ensuite, ils passèrent des heures et des heures, tous les jours, dans l’atelier, à procéder à diverses expériences. Les balles qui étaient lâchées dans l’air tombaient trop vite pour que Galilée et Mazzoleni puissent mesurer leur chute, de sorte qu’ils inclinèrent suffisamment leur plan pour ralentir leur descente. En modifiant régulièrement l’angle de l’inclinaison, et en comparant le temps que les mêmes balles mettaient à descendre encore et encore, Galilée en arriva à la conclusion que la vitesse de la descente était proportionnelle à l’inclinaison du plan – une relation si évidente qu’il pouvait affirmer que les balles en chute libre accéléreraient dans la même proportion, en fin de compte. Et donc le plan incliné leur apprenait des choses sur la chute libre.

Malgré ce petit cadeau de temps supplémentaire, leurs horloges n’étaient pas assez précises. Galilée marmonna quelque chose au sujet d’une horloge à pendule, se rappelant l’observation de périodicité qu’il avait effectuée quand il était petit garçon ; mais il n’avait pas trouvé comment maintenir l’oscillation du pendule sans perturber ce dernier, alors que ses balles ne demandaient pas mieux que de rouler.

Finalement, il eut une illumination, juste là, dans l’atelier, alors qu’il observait le système du plan incliné.

— Maz-zo-le-niiiiii !

— Maître ?

— Nous allons peser le temps !

Mazzoleni éclata de rire.

— Vous êtes marrant, maestro !

— Non, c’est parfait. On peut peser le temps plus facilement qu’on ne peut noter son passage, en fait on peut en peser les différences avec une très grande précision ! Ha !

Il esquissa son petit entrechat, signe qu’il éprouvait le sentiment de tintement de cloche qu’il décrivait comme semblable à la jouissance venant après l’amour, en mieux.

— C’est pile ce qu’Archimède aurait fait. C’est comme son procédé de mesure de la densité, plus ou moins. Voilà comment on va faire. On va fabriquer une espèce de clepsydre. Quand les balles tombent, arrange-toi pour qu’un mécanisme ouvre aussi la bonde d’une cruche d’eau.

Mazzoleni fronça les sourcils.

— Pourquoi ne pas mettre tout simplement votre pouce sur le bouchon et le faire vous-même lorsque vous verrez la boule tomber ? suggéra-t-il. Votre œil sera toujours plus précis que n’importe quelle porte que je pourrais fabriquer. L’eau, c’est un truc glissant.

— Très bien, cela ira, et donc j’arrêterai aussi l’eau par l’œil et par le pouce. L’eau libérée coulera dans une bouteille. Ensuite, nous pourrons peser l’eau à une plume près. Une plume de temps, dans ce cas, parce que les poids seront toujours proportionnels au temps pendant lequel nous aurons laissé couler l’eau. Nous serons précis à la vitesse de nos yeux et de nos pouces, c’est-à-dire un dixième de pulsation, voire mieux !

— Bonne idée.

Le sourire édenté de Mazzoleni : c’était le sceau qui marquait cette sensation de tintement de cloche. Quand il se sentait ainsi vibrer, il voyait toujours le visage buriné de Mazzoleni. Le visage de Dieu sur la face d’un vieil homme. Ça faisait rire Galilée.

Ils se mirent donc à peser le temps, et continuèrent leurs expériences sur la chute des corps. Galilée essaya toutes sortes de choses. Il laissa tomber des balles le long d’un plan incliné et les regarda remonter en roulant sur un autre. Il découvrit que, quelle que soit l’inclinaison des branches du V formé par les deux plans, les balles remontaient toujours à une hauteur équivalente à celle d’où on les avait laissées tomber. La conservation du moment : cela correspondait bien avec les précédents travaux de Galilée sur l’équilibre et le levier. Et cela contredisait également la théorie aristotélicienne selon laquelle les choses voulaient être en un endroit ou un autre, mais il était à présent bien au-delà de la simple réfutation d’Aristote ; il y avait de nouvelles choses à découvrir. Une balle retournait à la hauteur d’où on l’avait lâchée, quelle que soit la forme du V : alors, que se passerait-il s’ils plaçaient le second plan à l’horizontale ? La boule roulerait pour toujours, apparemment, sans accélérer ni décélérer, si ce n’est que la résistance de l’air et le frottement sur le bois finiraient inévitablement par la stopper. En d’autres termes, s’il n’y avait pas la friction, elle roulerait pour l’éternité. C’est du moins ce qu’il semblait, même si c’était plutôt stupéfiant. Évidemment, on avait beau placer un plan supposé parfait sur la Terre, en réalité il occupait une partie d’une énorme sphère. Ce qui permettait d’affirmer que la tendance apparente des choses à se déplacer en cercle, comme les étoiles, se vérifiait même ici. Mais en principe, sur un vrai plan, le mouvement se poursuivait. Une fois qu’une chose avait commencé à bouger, elle continuerait à bouger jusqu’à l’intervention d’un phénomène extérieur.

Encore une fois, c’était contra Aristote, mais ce n’était phis une surprise. Et, plus important, c’était intéressant en soi.

Ce dispositif leur permettait d’étudier tellement de choses intéressantes ! Ils firent ainsi tomber des balles librement et les laissèrent heurter un plan incliné, puis un plan horizontal. D’autres fois, ils envoyèrent rouler des balles jusqu’au bout d’un plan horizontal, et les regardèrent tomber selon une rapide courbe sur un lit de sable qu’ils avaient disposé par terre, de sorte que les balles laissaient une marque qui pouvait être mesurée avec précision. Très intéressant ! Des distances différentes, des angles différents, et donc des vitesses différentes, et tout cela proportionnel, et mesuré grâce au poids de l’eau. Ces dispositifs décomposaient le mouvement en parties de différentes sortes, là où, autrefois, le mouvement était par nature un ensemble d’éléments mélangés, et donc difficile à étudier. Galilée travaillait sur ces problèmes depuis près de vingt ans et n’avait jamais pu articuler les différences comme il en était désormais capable. En manipulant les variables, on pouvait mesurer diverses choses et établir l’existence de relations – exactement comme on pouvait s’y attendre, mais sans pouvoir les créer et les mesurer jusque-là. Les relations entre vitesse passée, vitesse présente et vitesse future.

Aussi étaient-ils maintenant sûrs, enfin, après vingt années de diverses formulations qui s’étaient révélées inexactes, que l’accélération d’une balle en chute libre était proportionnelle au carré du temps qu’elle mettait à tomber. C’était aussi simple que ça.

Galilée montra les équations à Mazzoleni.

— Tu vois ? Tu vois ? L’accélération est un rapport très simple ! Et pourquoi cela devrait-il être vrai ? Pourquoi ? Parce que Dieu l’a fait comme cela, voilà pourquoi ! Dieu aime les rapports mathématiques. Forcément ! Il les place là pour que chacun les voie.

— Pour que vous les voyiez, maestro. Quelqu’un d’autre a-t-il jamais vu cela ?

— Bien sûr que non. Archimède l’aurait vu, s’il avait eu un aussi bon dispositif. Mais non. Je suis le premier au monde.

Le sourire édenté. Quand Dieu avait créé le cosmos, Il avait eu exactement le même sourire. Il l’avait placé sur Mazzoleni pour montrer à Galilée ce qu’il avait ressenti.

Les combinaisons de résultats s’accumulèrent. Quand une balle roulante tombait d’un plan horizontal dans l’air, la courbe de sa chute était un enchaînement de deux mouvements – d’abord, la vitesse uniforme du mouvement horizontal, qui ne diminuait pas du seul fait que la balle tombait de la table, et, deuxièmement, la vitesse qui allait en s’accélérant de sa chute verticale, qui était exactement la même que si elle était tombée sans mouvement horizontal –, ce qu’ils établirent par des expériences répétées. La vitesse horizontale était donc uniforme, alors que la vitesse vers le bas augmentait selon le carré du temps passé, comme déjà démontré. Et la combinaison des deux était, par définition, la moitié d’une parabole. On pouvait donc décrire le mouvement par une simple équation parabolique.