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— Oh, je vois. Très bien.

— Très mal. Nous ne sommes pas parvenus à arrêter Ganymède. Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais c’était une grosse explosion. Peut-être le moteur d’un de leurs vaisseaux.

— Quand ils se sont écrasés ?

— D’ordinaire, ça n’aurait pas suffi. Les moteurs sont protégés contre presque tous les accidents. Mais avec un peu de temps et d’efforts il doit être possible de désactiver la protection.

Ils descendirent du vaisseau, et Galilée s’aperçut bientôt qu’Héra s’était posée tout à côté d’une rampe d’accès à Rhadamanthys, la Venise souterraine. Ils suivirent la longue et large descente blanche, à travers une barrière diaphane, et entrèrent dans une vaste galerie de glace, où les bleus pulsants entremêlaient leurs schémas au-dessus d’eux. Ils atteignirent bientôt le bord du canal qu’ils avaient déjà emprunté ; à côté il y avait un amphithéâtre sous l’eau où une petite foule de gens étaient réunis. Cela aussi, ça avait l’air familier. Et même s’il n’arrivait pas à se rappeler en détail les précédents incidents, il supposa qu’il y en avait eu un, là, par-delà une substance amnésiante qu’il avait ingérée. Déjà-vu…

— Il faut que vous me donniez quelque chose pour que je ne me souvienne pas d’autant de choses de ma vie, lui rappela-t-il.

— J’ai fait quelques petits essais avec le casque mnémonique, pendant que vous vous remémoriez. J’espère que certaines parties seront maintenant occultées pour vous.

Des gens, dans la foule, repérèrent Héra qui descendait les marches. Certains levèrent les mains comme pour dire « Et puis quoi encore ! » ou « Regardez ce que vous avez fait ! » ou « Comme si on n’avait pas déjà assez de problèmes ! »… Mais Galilée vit que c’était une posture ; ils avaient peur. Certains se rongeaient les jointures des mains ; d’autres pleuraient sans même s’en rendre compte. Même dans la lumière bleu-vert omniprésente de la vaste caverne articulée, la plupart étaient livides de peur.

En regardant Héra s’entretenir avec eux, Galilée entendit des bribes d’un débat sur qui avait le droit ou l’interdiction de se poser sur Europe. Il partit se promener vers le bas, où flottait le globe transparent qui imitait la lune de glace. Le noyau rocheux, gris foncé, du globe était entouré par un gel bleu transparent censé représenter l’océan, le tout étant maintenu dans une coque blanche, mince, qui nimbait les eaux, dessous, de teintes pastel rappelant un peu le ciel de la Terre. La coque extérieure était parcourue de légères lignes qui représentaient le système de failles de la surface.

Les créatures de l’océan n’étaient pas figurées à l’intérieur du globe. Mais Galilée savait que d’infimes variations de la lumière bleutée pouvaient représenter des manifestations de ces créatures. Sous leurs pieds, tout en bas – à un kilomètre, cent kilomètres de profondeur… Il aurait voulu parler à Aurore, voir si quelque chose de nouveau était sorti de la conversation mathématique avec la conscience. Les dispositifs d’écoute qu’ils avaient placés dans l’océan étaient reliés à des répétiteurs sonores à l’intérieur de ce globe flottant, supposa-t-il, car il entendait, sortant de là à un volume très réduit, le chant étrange et inquiétant dont il se souvenait si bien. Les sons les plus faibles semblaient correspondre aux petites variations de bleu dans l’océan de la maquette. Il se demanda si les changements de couleur marquaient l’origine spatiale des sons.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas arrêté ? Vous avez échoué ! se plaignit à Héra l’un des autochtones. Vous deviez le garder enfermé sur Io !

— Nous avons essayé, répliqua-t-elle, contrairement à vous. Où étiez-vous ? Il n’aurait pas été inutile d’avoir un certain nombre d’hommes ici, si vous vouliez vraiment une quarantaine…

La dispute continua, s’amplifia…

C’est alors que dans la partie supérieure du globe flottant une tache bleue se mit à blanchir, sous la surface. Cela devait être le pôle Nord, sans aucun doute. Le bourgeon incandescent se propagea par vagues, qui atteignirent la masse compacte du cœur et rebondirent vers la surface. Des fils de lumière blanche traversaient l’intérieur comme des éclairs.

Le sol se mit alors à trembler sous leurs pieds, tandis qu’autour d’eux la glace gémissait, produisant un son qui ressemblait beaucoup à celui que la créature de l’intérieur avait émis au cours de leur incursion. La conscience avait peut-être appris à chanter en imitant les grincements naturels de la glace de sa lune.

Puis les sons provenant du globe changèrent. Les salves de glissandos s’amalgamèrent en un unique chœur dissonant. Le registre chuta abruptement, descendit jusqu’à un basso profundo si profond que Galilée l’entendit plus avec le ventre qu’avec l’oreille. Ça gémissait. Alors que le terrible bruit remontait dans la gamme de l’audible, il parut soulever le corps de Galilée avec lui, le lacérant avec un millier de griffes pointues comme des aiguilles, de sorte que sa peau le picota et que ses poils se dressèrent sur ses avant-bras et sur sa nuque. Il se rappela les cris qui les avaient repoussés vers les hauteurs, à travers la coque de glace de la lune, vers la sécurité de la surface. Mais c’était alors un son furieux, pareil au rugissement d’un lion.

Celui-ci était tout de douleur et de confusion. Soudain, en un bref crescendo qui lui poignarda la tête juste au-dessus des yeux, le cri se mua en peur à l’état pur.

Grâce à Dieu, cela ne dura qu’un instant, parce que tout ce que la créature ressentait, Galilée l’éprouvait. Apparemment, la machine qui transférait le son avait diminué le volume, le réduisant à un gémissement de folie. Ce qui le blessait, d’une tout autre façon – le son en était trop haut, et comme cassé. La souffrance perça Galilée jusqu’au cœur. Il la ressentait lui-même pleinement, comme une torture qu’il aurait reconnue d’une façon ou d’une autre, comme une chose qu’il avait déjà vécue…

Galilée se rendit compte qu’il avait le nez sur le globe flottant, qu’il l’étreignait et gémissait lui-même en marmonnant, lamentablement :

— Non, non, non, non, non.

La souffrance qu’il éprouvait était insupportable, comme le coup de poignard d’un cri de chagrin.

— Que s’est-il passé ? dit-il en s’essuyant le visage alors qu’Héra approchait. La créature a changé ?

— Oui.

Elle avait l’air sinistre.

— Elle a été blessée ?

— Oui. Comme vous l’entendez. Aurore me dit que ses messages ont disparu.

— Aurore ? Elle est là, dans ce quartier de la ville ? Pouvez-vous me conduire jusqu’à elle ?

Héra hocha la tête.

— Elle va envoyer un avatar.

Les gens debout dans l’amphithéâtre avaient l’air anéantis, le cœur brisé. Visiblement, les cris de souffrance affectaient tout le monde. Tout à coup, Aurore apparut en personne devant eux, tout aussi choquée, le nez collé à un écran placé devant elle. Elle pianotait sur les touches de sa tablette en marmonnant toute seule, ou à l’intention de la créature étrangère qui se trouvait en dessous d’eux.

— Que s’est-il passé ? s’exclama Galilée.

— Ici… Oooh…

— Comment ?

— Vous ne voyez pas ? Regardez, là !

Elle tapota l’écran sur lequel elle venait de pianoter, sans même bouger la tête. On aurait dit qu’elle se retenait de plonger à travers l’écran. Elle se cramponnait au bord de son bureau comme à la rambarde d’un vaisseau. Elle gémit, indifférente à ceux qui l’entouraient.