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On pourrait peut-être dire que je ne mérite pas grand crédit pour la fabrication d’un instrument dont je connaissais par avance l’existence. À cela je réponds que l’aide qui m’a été apportée par cette information consistait à aiguiller mes pensées dans cette direction particulière, et que sans cela, évidemment, il se pourrait qu’elles ne se soient jamais portées par là. Mais je nie formellement le fait que cette simple information m’ait facilité l’acte de l’invention, et j’irai même plus loin : trouver la solution à un problème défini exige un effort de génie plus grand que la résolution d’un problème non spécifié. Car dans ce dernier cas le hasard, la chance pure, peut jouer le plus grand rôle, alors que dans le précédent tout découle du travail de l’esprit intelligent et du raisonnement. Nous sommes donc tout à fait sûr que le Hollandais était un simple fabricant de lunettes qui, manipulant par hasard différentes formes de verres, a aussi regardé par hasard à travers deux d’entre eux, a vu et noté le résultat surprenant, et donc découvert l’instrument. Alors que moi, à la simple nouvelle de l’effet obtenu, j’ai découvert le même instrument, non par hasard mais par le truchement du raisonnement à l’état pur ! La tâche ne m’a en aucune façon été facilitée par la connaissance du fait que la conclusion vers laquelle je tendais existait déjà.

Certains pourraient croire que la certitude du résultat visé constitue une grande aide pour l’atteindre : qu’ils se plongent dans l’histoire, et ils découvriront qu’Archytas a fabriqué une colombe capable de voler, et qu’Archimède a conçu un miroir qui brûlait les objets à une grande distance. En raisonnant sur ces choses, ces gens seront assurément capables, sans trop de mal et avec de grands honneurs et avantages, de nous dire comment ils ont été construits. Non ? S’ils n’y arrivent pas, ils pourront donc attester à leur propre satisfaction que la facilité de fabrication qu’ils s’étaient promise à partir de la connaissance antérieure du résultat est bien moins évidente qu’ils ne l’avaient imaginé…

— Tas de crétins ! s’écria Galilée.

Cela, toutefois, il se garda de l’ajouter à la fin de la lettre, qu’il signa de façon conventionnelle et envoya.

Naturellement, Sarpi ne transmit pas cette lettre au Sénat, mais, à la place, vint à Padoue pour apaiser son ami furieux.

— Je sais, dit-il d’un ton d’excuse en posant la main sur la joue tavelée de Galilée, maintenant aussi rouge que ses cheveux alors qu’il exposait les raisons de sa colère. Ce n’est pas juste.

C’était encore moins juste que Galilée ne le pensait, parce que Sarpi lui apprit ensuite que le Sénat avait décidé que l’augmentation de salaire qui lui était accordée ne prendrait pas effet immédiatement, finalement, mais seulement au mois de janvier suivant.

À ces mots, Galilée explosa à nouveau. Et après le départ de Sarpi il prit des mesures immédiates pour répondre aux insultes, œuvrant dans deux directions. Il retourna à Venise avec une lunette beaucoup plus puissante, la meilleure que ses artisans avaient réussi à fabriquer, et l’offrit au doge en guise de présent, lui indiquant à quel point elle lui serait utile pour la protection de la République, combien il lui était reconnaissant du nouveau contrat, comment la splendeur du doge illuminait non seulement la Sérénissime mais toute la plaine du Pô, etc. Peut-être Dona mesurerait-il l’écart entre cette générosité et ce qui pouvait être tenu comme une réponse on ne peut plus tiède de son Sénat. Et peut-être pourrait-il intervenir pour revoir l’augmentation en conséquence. Ce n’était pas la réaction la plus probable, mais ce n’était pas impossible.

Ensuite, sur le front florentin – qui faisait toujours partie de sa vie, même si, au cours des dix-sept dernières années, il avait vécu à Padoue et travaillé pour Venise –, Galilée écrivit à Belisario Vinta, le secrétaire du jeune grand-duc Cosme, pour lui parler de la lunette, proposant d’en offrir une au prince et de lui apprendre à l’utiliser. Quelques-unes des phrases de conclusion de la lettre entamaient le processus de demande de parrainage à la cour des Médicis.

Il y avait là quelques obstacles à négocier. Galilée avait été le tuteur du jeune Cosme quand son père Ferdinand était grand-duc, ce qui était bien. Mais on lui avait aussi demandé, l’année précédente, d’élaborer un horoscope pour Ferdinand, ce qu’il avait fait, et il avait déterminé, comme d’habitude, que les étoiles prédisaient une longue et belle vie au grand-duc. Or il se trouve que Ferdinand était mort peu de temps après. Et ça, c’était mauvais. Dans le tumulte de l’enterrement et de la succession, personne n’avait rien dit, on n’avait même pas paru se souvenir de l’horoscope, en dehors d’un unique regard pénétrant de Vinta lors de leur rencontre suivante. Cela n’avait, en fin de compte, peut-être pas d’importance. C’est Galilée qui avait enseigné les mathématiques à Cosme, et il l’avait traité avec beaucoup de gentillesse, évidemment, de sorte qu’ils s’aimaient bien. Cosme était un jeune homme intelligent, de même que sa mère, la grande-duchesse Christine, qui elle aussi aimait bien Galilée – c’était en vérité sa première vraie marraine à cette cour. Et comme Cosme était encore très jeune et qu’il n’avait pas l’habitude du pouvoir, elle exerçait une sorte de régence. Les perspectives, de ce côté-là, étaient donc bien réelles. Et puis, tout bien considéré, Galilée était un Florentin ; il était chez lui à Florence. Sa famille y habitait encore, ce qui n’était pas bon mais inévitable.

C’est pourquoi, toujours très en colère contre les Vénitiens à cause de leur ingratitude, il négligea ses cours à Padoue, écrivit de grandes lettres à des amis influents et commença à dresser des plans pour déménager.

Pendant ce temps-là, malgré les discordances et le chaos du tumulte des jours, il passa toutes les nuits sans nuages dans le jardin, à regarder le ciel par la meilleure lunette à sa disposition. Une nuit, il réveilla Mazzoleni et l’emmena regarder la Lune. Le vieil homme jeta un coup d’œil dans le tube et releva la tête en souriant, secouant la tête tant il était émerveillé.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— C’est un monde, comme celui-ci.

— Il y a des gens, là-haut ?

— Comment veux-tu que je le sache ?

Lorsque la Lune était levée, et pas trop pleine, Galilée l’observait. Il avait jadis pris des leçons de dessin auprès de son ami florentin Ostilio Ricci, le plus doué pour faire des croquis de ses idées mécaniques. L’un des exercices du traité de Ricci sur la perspective consistait à dessiner des sphères incrustées de figures géométriques, comme des pyramides ou des cubes en volume, chacun étant dessiné légèrement différemment pour indiquer sa situation sur la surface cachée de la sphère qui se trouvait dessous. C’était un exercice minutieux, méticuleux, très polito, auquel Ricci avait reconnu que Galilée avait fini par lui devenir supérieur. À présent, Galilée découvrait que cela lui avait procuré les compétences nécessaires non seulement pour dessiner les objets que la lunette lui montrait sur la Lune, mais, déjà, rien que pour les voir.

Il était particulièrement révélateur de tracer le terminateur, la ligne qui séparait le jour et la nuit sur la Lune, où la lumière et l’ombre se mêlaient pour former des motifs qui changeaient de nuit en nuit. Comme il l’écrivit dans ses carnets de notes : Avec la Lune en divers aspects par rapport au Soleil, certains pics dans la partie sombre de la Lune paraissent inondés de lumière, bien que très éloignés de la frontière entre l’ombre et la lumière. En rapportant la distance qui les sépare du terminateur au diamètre entier de la Lune, j’ai découvert que cet intervalle excédait parfois la vingtième partie du diamètre.