Et maintenant Maria Celeste se cramponnait à lui, essayant de ne pas pleurer. À la façon dont elle le serrait contre elle, il sentit que personne ne l’avait jamais aimé aussi fort. Et puis, bien sûr, elle détestait toujours quand il s’en allait.
— Tu ne veux vraiment pas que je demande à Sa Sainteté de vous donner quelques terres ? demanda-t-il, essayant de lui changer les idées.
À quoi Maria Celeste répondit :
— Ce dont nous avons besoin, c’est de meilleurs guides spirituels ! Ces prétendus prêtres qu’ils nous ont infligés, eh bien… Vous savez ce qu’ils ont fait. C’en est vraiment trop. Si seulement nous pouvions avoir un prêtre honnête, un vrai prêtre…
— Oui, oui, répondit Galilée. Mais peut-être aussi une terre que vous pourriez louer ? Ou une annuité ?
Maria Celeste eut un rapide froncement de sourcils, si caractéristique. Ce n’était pas le genre de chose qu’on demandait au pape, disait son expression.
— J’en parlerai à l’abbesse, temporisa-t-elle.
Il était de retour à Bellosguardo et procédait à ses derniers préparatifs lorsque le domestique du couvent, Geppo, lui apporta une lettre de sa fille. S’il vous plaît, demandez à Urbain un vrai prêtre, répétait-elle en substance. Quelqu’un de cultivé, ou en tout cas quelqu’un qui ait l’esprit pur.
Galilée jura en lisant cela. Là, sur la page, s’inclinait la belle écriture italique de sa fille, ses grandes boucles orientées selon des diagonales parfaites vers le nord-est et le nord-ouest, si cela avait été une carte ; une véritable œuvre d’art, comme toujours, écrite à la chandelle au milieu de la nuit, une fois les corvées de la journées dûment effectuées. Plus d’une fois, elle s’était excusée de s’être endormie pendant qu’elle écrivait, et il lui fallait souvent plusieurs soirées pour composer une seule de ces belles lettres. Elle le priait généralement de bien vouloir lui pardonner d’avoir évoqué les besoins physiques les plus pressants du moment, de lui avoir réclamé une couverture, ou sa plus vieille poule pour épaissir leur brouet. Et voilà que maintenant elle le suppliait de demander au nouveau pape un meilleur conseiller spirituel…
— Je vois ce que c’est, dit-il d’un ton sinistre, les yeux rivés à sa lettre. Pour être une pauvre Clarisse sans devenir folle, il faut croire à tout, jusqu’au bout, jusqu’au fond de son âme. Sans cela, le désespoir les noierait.
Comme il avait noyé Arcangela et plusieurs autres des sœurs, y compris la pauvre mère supérieure. On pouvait peut-être même dire que la plupart d’entre elles étaient plongées dans le désespoir, écrasées par la faim, le froid et la maladie, tandis que Maria Celeste restait à flot grâce à sa foi, et soutenait les autres avec sa bonté surnaturelle. Galilée marmonna des jurons sulfureux en réfléchissant à ses deux filles, coincées dans la même situation et illustrant ainsi une authentique réponse aristotélicienne « ou bien-ou bien » au problème. Aucune des deux n’était tout à fait saine d’esprit ; mais Maria Celeste était belle. Une sainte.
Plus tard, à Rome, lorsqu’il transmit sa requête, il demanda aussi pour son fils Vincenzio une sinécure, combinée avec une indulgence papale afin de légitimer sa naissance. Ce qui lui fut accordé. La sinécure garantissait au jeune homme soixante couronnes par an, mais comme elle était assortie de l’exigence qu’il se plie à certains exercices religieux il refusa de l’accepter. À cette nouvelle, Galilée leva les bras au ciel.
— J’ai fait mon devoir auprès de ces gens ! rugit-il. Ils ne recevront plus un scudi de moi, plus un quattrini ! La famille, quelle escroquerie ! Le sang n’est pas plus épais que l’eau, comme on peut le constater quand on se coupe !
— Il s’épaissit quand il gèle, fit remarquer Cartaphilus.
— Oui, et il te colle au doigt quand il sèche. Autrement dit, la famille, c’est la croûte sur la plaie. J’en ai marre. J’y renonce !
Cartaphilus ignora ces propos, sachant que ce n’étaient que des paroles en l’air. Et à ce moment-là, il y avait des problèmes plus pressants.
Malheureusement, la grande-duchesse Christine n’était pas convaincue de la nécessité de ce voyage à Rome, et n’avait pas envie de le financer. Le nouvel ambassadeur des Médicis à Rome, un certain Francesco Niccolini, cousin de l’avant-dernier ambassadeur, fut informé par une lettre du jeune grand-duc Ferdinand II que Galilée n’était invité ni à rester à l’ambassade, ni à la Villa Médicis. À Galilée, donc, de prendre ses dispositions pour loger chez son ex-étudiant Mario Guiducci, qui vivait près de l’église Santa Maria Maddalena.
C’était le premier signe que la mirabile congiunture n’était pas tout à fait aussi miraculeuse qu’il semblait – ou qu’elle disjonctait déjà, sous la forme de nombreuses conjonctions astrologiques aussi brèves que spectaculaires.
Le second signe de disjonction fut bien pire. Galilée était encore sur le chemin pour Rome, il était descendu dans la villa de Cesi à Acquasparta, quand leur parvint la nouvelle que Virgilio Cesarini, ce brillant et mélancolique jeune cardinal, était mort.
C’était un coup très rude, parce que Cesarini était probablement la figure maîtresse de tous les cercles intellectuels concurrents de la ville – connu de tout le monde, très bien placé au Vatican, et en même temps un vrai Lynx, un vrai galiléen. Personne ne s’attendait à sa mort, malgré sa frêle constitution ; mais c’étaient des choses qui arrivaient.
Le poste qu’il laissait vacant au Saint-Office fut rapidement donné au gigantesquement gras Fra Niccolo Riccardi – un prêtre qui semblait avoir de la sympathie pour les Lynx, et qui aimait le nouveau livre de Galilée, mais qui était aussi avide de plaire à tout le monde. Il ne leur serait pas d’une grande aide.
Conjonctions et disjonctions ;il n’y avait rien d’autre à faire que de se rendre le plus vite possible à Rome, et d’agir au mieux. Il reprit donc la litière, endurant à nouveau les cahots et les grincements des routes dévastées du printemps.
Le jour de son arrivée dans la gigantesque cité enfumée, Galilée veilla tard avec son hôte, Guiducci, et fut mis au courant de la situation. Comme il avait pu le constater dans les étroites rues encombrées, le nouvel ordre des choses avait plongé la capitale du monde dans une vive excitation. Pour la première fois depuis des décennies, le trône de Pierre était occupé par un pape ambitieux, qui lançait de nouveaux projets de construction, dégageait des quartiers entiers de la ville, organisait des fêtes gigantesques pour la population et encourageait les sociétés littéraires et les nouvelles associations comme les Lynx. Personne ne se souvenait d’une époque pareille ; les Lynx n’étaient pas les seuls à constater le miracle. Voir les Borgia (et les Médicis) éloignés du pouvoir et remplacés par un intellectuel curieux, vigoureux – c’était le printemps pour tout le monde.
Le lendemain matin, donc, Galilée sentit renaître tous ses espoirs lorsqu’il alla au Vatican présenter ses respects. Les bâtiments familiers venaient d’être lavés. Ils avaient l’air plus grands, plus imposants, et les jardins étaient plus luxuriants et plus beaux que jamais. Un Giovanni Ciampoli radieux, rayonnant, le conduisit à travers le foyer papal et les salons extérieurs vers le jardin intérieur, qui croulait maintenant sous les fleurs. Et là, en train de se promener avec son frère le cardinal Antonio Barberini, se trouvait le nouveau pape, l’envoyé de Dieu sur Terre.