— Oui, Sanctissimus.
Escortant Galilée hors du Vatican après l’audience, Ciampoli était extatique.
— Voilà que Sa Sainteté vous expliquait comment procéder ! Il a dit que si vous intégriez son argument, alors vous pouviez discuter de toute théorie qui vous plairait ! Il vous a donné la permission d’écrire sur Copernic, vous comprenez ?
— Oui, répondit laconiquement Galilée.
Il n’avait aucune certitude quant à ce qu’Urbain avait voulu dire. Barberini avait changé.
15.2
Même avec son télescope l’astrologue à l’œil de lynx ne peut regarder dans les pensées intérieures de l’esprit.
Galilée retourna donc à Florence, désireux de croire qu’Urbain lui avait donné la permission d’évoquer la théorie copernicienne en tant que construction théorique – une abstraction mathématique susceptible d’expliquer les mouvements planétaires observés. Et s’il faisait en sorte que la supposition fut assez convaincante, le pape pourrait alors donner son approbation, comme il avait approuvé les diverses argumentations contenues dans Il Saggiatore. Et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Au cours des quelques années suivantes, il écrivit donc son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, que tout le monde dans la maison appelait le Dialogo. Il y travailla par à-coups, entre toutes les interruptions provoquées par le grand-duc, par sa situation de famille ou par la maladie ; mais il s’y tint, d’une façon ou d’une autre, comme en proie à une sorte de compulsion.
Chaque jour, la première question qui se posait était de savoir si Galilée se sentirait assez bien pour se lever. Lorsqu’il était malade, cela pouvait n’être qu’une febbre efimera, une fièvre d’un jour, ou alors quelque chose qui le clouait au lit pour un mois ou deux. Tout le monde redoutait ses maladies comme autant de petites catastrophes dans la routine de la maisonnée ; et puis, évidemment, il y avait la peste, au-dehors. Aussi ses gémissements pouvaient-ils être annonciateurs de quelque chose de bien pire. Un jour, l’un des souffleurs de verre de l’atelier mourut de la peste, ce qui les plongea tous dans l’effroi. Galilée ferma l’atelier, et les artisans se retrouvèrent désœuvrés ; ils furent réaffectés aux champs, à la grange et à la graineterie, à la vigne et au cellier.
Bellosguardo servait maintenant de ferme au couvent de San Matteo, ce qui demandait beaucoup de travail. Et il était vrai qu’à l’extérieur, au grand air, la peste semblait beaucoup moins dangereuse. Sous le ciel, d’énormes nuages bouillonnaient au-dessus des collines vertes – ça avait l’air plus sûr.
Mais tous n’arrivaient pas à surmonter leur crainte de la peste. Vincenzio, le fils de Galilée, et sa jeune épouse Sestilia, une femme merveilleuse, quittèrent Florence pendant un certain temps, abandonnant leur enfant aux bons soins de la Piera et d’une nourrice. Pourquoi avaient-ils laissé le bébé derrière eux, personne ne le savait ; tout le monde supposait que c’était encore une bassesse de cet invertébré de Vincenzio. Personne ne comprenait pourquoi Sestilia Buonarotti l’avait épousé. Ce qui donnait lieu à de nombreux commérages. À l’époque, la maisonnée de Galilée comportait une cinquantaine de personnes, dont la famille de son frère Michelangelo, qui continuait à jouer de la musique à Munich. À propos de Sestilia, les diverses explications se partageaient entre l’idée que Galilée l’avait trouvée à Venise et payée pour qu’elle épouse son fils, ou que Dieu avait remarqué la visite inaccoutumée que Galilée avait rendue à la maison de la Vierge Marie à Loreto, le mois précédant l’apparition de Sestilia dans leurs vies, et qu’il l’avait récompensé pour sa dévotion. Cette maison sacrée de la Vierge Marie, la Casa Santa, s’était retrouvée à Loreto pendant les Croisades, après avoir traversé la Méditerranée en volant depuis la Terre Sainte afin d’échapper à la destruction par les Sarrasins. On avait entendu Galilée, au retour de son pèlerinage, faire remarquer que l’endroit avait des fondations bien solides, tout bien considéré ; mais Dieu avait pu ignorer son impertinence et bénir quand même sa famille. Il devait y avoir une explication au fait qu’une fille aussi bien que Sestilia ait choisi un mollusque comme Vincenzio.
Tous les matins, qu’il pleuve ou qu’il vente, étaient ponctués par les bruits horribles du maestro à son réveil. Peu importait comment il se sentait, il gémissait. Puis il jurait, avant de hurler pour réclamer son petit déjeuner, du vin, de l’aide pour sortir de son lit.
« Quelqu’un ! aboyait-il. Il faut que je tape sur quelqu’un ! »
Après avoir bu plusieurs tasses de thé ou de vin allongé d’eau, il se levait, s’habillait et sortait faire le tour de son jardin en clopinant. Là, il inspectait les nombreuses variétés de cédrats qu’il avait plantées dans de grands pots de terre cuite tout en descendant se soulager aux latrines. Il remontait en traînant la patte, se lamentant de plus belle, et s’arrêtait souvent dans les champs de haricots et de blé, pour palper les tiges et les feuilles.
Lorsqu’il rentrait à la maison, ils voyaient tout de suite s’il se sentait en forme ou non ce jour-là. S’il allait bien, alors, tout allait bien. La maisonnée commençait à bourdonner du travail de la journée. Sinon, il se traînait jusqu’à son lit et appelait d’une voix rauque la Piera, la seule qui pouvait s’occuper de lui pendant ces crises :
« Pii-eee-raaa ! »
Le silence retombait sur nous tous, et une ombre planait sur les lieux tandis que nous nous préparions à une nouvelle période de maladie. Il y en avait tellement.
Mais s’il se sentait bien, il se dirigeait vers une grande table à dessus de marbre qu’il avait fait installer sous les arches, sur le devant de la villa, à l’ombre et au frais, à l’abri de la pluie mais à l’air libre, et il y avait là toute la lumière dont il avait besoin. Il s’asseyait à sa table, dans un fauteuil capitonné, spécialement ouvragé pour supporter sa hernie, ce qui lui permettait d’enlever son bandage herniaire de fer. Ses carnets de note de Padoue et les belles copies faites par Guiducci et Arrighetti étaient empilés sur sa table, selon un système que les serviteurs devaient respecter sans erreur, faute de quoi ils s’exposaient à une grêle de coups de poing, de pied et de jurons. Au fur et à mesure que le matin avançait, Galilée feuilletait ces volumes pensivement, les étudiant comme s’ils avaient été écrits par quelqu’un d’autre ; et puis, en laissant un ou deux ouverts, il prenait des feuilles de parchemin vierge, sa plume, son encrier, et commençait à écrire. D’abord une heure, deux au maximum – ricanant ou jurant tout bas, poussant de gros soupirs ou lisant des phrases tout haut. Il les modifiait, essayait diverses versions et rédigeait des brouillons sur des feuilles blanches détachées, ou au dos de pages de carnet qui n’avaient pas été remplies. Par la suite, il retranscrirait ce qui lui plaisait sur de nouvelles pages blanches, et, quand elles seraient pleines, il les classerait avec les autres pages terminées dans un casier particulier d’un cabinet disposé sur le bureau. Parfois, vers la fin de sa journée, il mélangeait les pages pour que sa pile paraisse plus haute. Certains jours, il écrivait une page ou deux, d’autres jours, vingt ou trente.
Alors, avec un ultime gémissement, il se relevait, s’étirait comme un chat et réclamait du vin. Il vidait les coupes en quelques gorgées, remettait son bandage herniaire et retournait se promener dans ses jardins. S’il était assez tard pour qu’il y ait suffisamment d’ombre, il emportait un tabouret et parcourait les rangées de légumes en arrachant les mauvaises herbes avec une petite truelle. Il prenait une grande satisfaction à tuer les mauvaises herbes, et il en remplissait des seaux pour le tas de compost, à côté des latrines. Il revenait parfois précipitamment à la villa pour noter une bonne idée qui lui était venue dans le jardin, la déclamant en chemin pour ne pas l’oublier.