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— Oh, l’inexprimable bassesse des esprits abjects ! brailla-t-il un soir, en gravissant la colline tout en clopinant. Qui acceptent d’être des esclaves ! Ils se disent convaincus par des arguments si puissants qu’ils ne peuvent même pas dire en quoi ils consistent. Qu’est-ce sinon faire d’une bûche un oracle et courir lui demander des réponses ! Trembler devant ! Redouter un livre ! Un bout de bois !

Une autre fois, toujours remontant précipitamment la colline de sa démarche claudicante :

— Pour chaque effet dans la nature, il y a un idiot pour affirmer le comprendre complètement ! Cette vaine présomption de tout comprendre ne peut avoir d’autre origine que celle de ne jamais rien comprendre. Parce que quiconque a fait l’expérience juste une fois de la compréhension d’une unique chose, goûtant ainsi véritablement comment la compréhension s’accomplit, reconnaîtrait alors qu’à l’infinité d’autres vérités il ne comprend rien.

Et cela hurlé de toute la force de ses poumons à Florence, à la face du monde. Avant de le coucher par écrit tout en continuant de se le répéter à haute voix. Aller et retour, du bureau au jardin, du jardin au bureau.

En fin d’après-midi, s’il faisait beau, il restait généralement sous l’arcade jusqu’au coucher du soleil, écrivant plus frénétiquement que jamais, ou relisant ses carnets de notes tout en buvant du vin. Parfois il contemplait le soleil qui descendait vers la ligne d’horizon, et en ces rares moments il paraissait heureux. Il dessinait les nuages s’il y en avait. Le bleu du ciel était une chose dont il ne se lassait jamais.

« C’est aussi beau que les couleurs de l’arc-en-ciel, insistait-il. En vérité, je dis que le ciel lui-même est la huitième couleur de l’arc-en-ciel, étalée sur le ciel entier pour nous, tout le temps. »

Il n’était pas rare, l’après-midi, de voir arriver une lettre de Maria Celeste. Ses lettres, il les ouvrait et les lisait toujours immédiatement, fronçant au début le sourcil d’un air préoccupé, avant, le plus souvent, de rire et même parfois d’éclater de rire. Il aimait ces lettres et les fruits confits qui les accompagnaient habituellement, fourrés dans un panier qu’il lui renvoyait ensuite plein de nourriture. La plupart du temps, il lui répondait sur-le-champ, tout en se régalant de fruits confits. Après quoi il appelait la Piera afin qu’elle prépare le panier qui devait repartir le jour même.

Il aimait écrire ; et quand il écrivait, à Bellosguardo, la vie était belle. Certaines heures, il restait simplement assis là, l’air content, le regard dans le vide, grattare il corpo, comme on dit, à se gratter le ventre au soleil – chose très rare pour Galilée. Il se retirait du monde au sens large et ignorait même les questions dont il aurait dû s’occuper. Il négligeait ses devoirs de cour, ne s’intéressait pas à la situation générale en Europe, ni d’ailleurs à quoi que ce soit qui ne concernât la villa en dehors de sa correspondance scientifique, toujours aussi volumineuse. La maisonnée était heureuse.

Mais ignorer la situation européenne était une erreur. Et il aurait dû prêter plus d’attention à ce que l’on apprenait sur le pape Urbain VIII alors que les mois et les années passaient. Parce que les gens, à Rome, racontaient des histoires. On disait, par exemple, que Galilée avait été à nouveau dénoncé à l’Inquisition. La dénonciation était anonyme, mais on racontait qu’elle avait été faite par un de ses ennemis parmi les jésuites, peut-être même Grassi, dont il s’était si bien moqué dans Il Saggiatore. Grassi étant dissimulé derrière le pseudonyme de Sarsi, Galilée s’était senti libre de flageller impitoyablement son adversaire. Les répliques consécutives de Sarsi avaient été tout aussi violentes ; il faisait allusion à Il Saggiatore en l’appelant L’Assagiatore, « le tastevin », ce qui faisait rire tout le monde, sauf Galilée.

Mais ce n’était qu’une blague. Une dénonciation de la Congrégation du Saint-Office était une tout autre paire de manches. D’après une rumeur, la dénonciation n’avait rien à voir avec l’interdiction de traiter du système copernicien du monde mais plutôt avec la vision atomiste des Grecs. Bruno avait défendu l’atomisme ; la guerre avec les pays protestants du nord de l’Europe était prétendument livrée au nom de l’atomisme, à cause des conséquences de cette théorie en matière de transsubstantiation. Aussi était-il potentiellement encore plus dangereux d’en discuter que de débattre des systèmes du monde. Pourtant, Galilée ne se rendait même pas compte que cela constituait un problème.

Et puis il y avait d’autres signes de trouble, plus publics. Urbain commençait à tester ses pouvoirs papaux, à se lancer avec enthousiasme dans la tâche traditionnelle consistant à rebâtir Rome. Il décida de construire au-dessus de l’autel de Saint-Pierre une arche sous laquelle lui seul serait autorisé à dire la messe. Et comme les pentes déboisées des Apennins ne pouvaient fournir de poutres assez longues pour couvrir la longueur de l’autel, ses architectes firent main basse sur le Panthéon et s’emparèrent de presque tous les bois de construction, démolissant pratiquement l’antique monument.

« Ce que les barbares n’avaient pas réussi à faire, Barberini l’a fait », disait le peuple, commentant ce vandalisme.

Les slogans de ce genre n’étaient que la partie émergée d’un mécontentement croissant envers le nouveau pape.

« En s’élevant, les abeilles se sont changées en taons », disait-on aussi.

Les Avvisi commencèrent à publier des attaques en vers contre le pape, et des horoscopes alarmants prédisant sa mort imminente. Urbain avait une passion pour l’astrologie, maintenant plutôt passée de mode ; et ces sombres et calomnieux horoscopes le dérangeaient tant qu’il décréta que prédire la mort d’un pape était un crime capital. Après cela, il n’en fut plus publié. Mais la parole s’était libérée, le mécontentement se généralisait. Les papes étaient nommés à un âge avancé pour une bonne raison : bons ou mauvais, ils ne duraient pas longtemps, et la succession rapide de vieillards dodelinants contribuait à faire bouillir la marmite du parrainage. Or Urbain était un quinquagénaire en parfaite santé, et plein d’une énergie colérique et nerveuse.

Ses ambitions et ses problèmes s’étendaient évidemment bien au-delà de Rome. Dans la guerre qui les opposait, il continuait à privilégier les Français plutôt que les Espagnols, et en venait donc à craindre les espions espagnols au Vatican. À juste raison, parce qu’ils étaient nombreux. Il n’avait pas été heureux, disait-on, d’apprendre la tentative de Galilée de vendre le Célatone et le Jovilabe à l’armée espagnole. Et quand il n’était pas content, les conséquences pouvaient être fâcheuses. Une fois, quelqu’un avait éternué pendant une messe qu’il disait à Saint-Pierre ; après quoi Urbain avait décrété que quiconque priserait à l’église serait excommunié. Encore plus parlante était sa décision de condamner au bûcher, pour hérésie, l’archevêque Marc-Antoine de Dominis. Dominis était déjà mort depuis trois mois quand cela s’était produit, car il avait expiré au château Saint-Ange après avoir été passé à la question par l’Inquisition, mais peu importait ; lors du jeûne de saint Thomas le Dubitatif, son corps avait été exhumé et transporté sur le Campo dei Fiori pour y être brûlé sur le bûcher. Après quoi ses cendres avaient été jetées dans le Tibre. L’offense qui avait outragé le pontife à un tel degré incluait notamment le fait d’avoir parlé précisément de l’affaire de l’atomisme et de la transsubstantiation pour laquelle Galilée avait été secrètement dénoncé.