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Mais les hérétiques étaient les hérétiques, et tout pouvait leur arriver. Les domestiques de toute l’Italie furent beaucoup plus choqués par une autre histoire, qui se répandit à la vitesse de l’étonnement. Urbain, sous la pression de ses soucis, avait du mal à dormir, la nuit. Comme il croyait que c’étaient les pépiements et les chants des oiseaux des jardins du Vatican qui l’empêchaient de trouver le sommeil, il avait ordonné qu’on les fasse tous tuer.

« Il a ordonné à ses jardiniers de tuer les oiseaux du Vatican ! disaient les gens. Tout ça pour faire la grasse matinée ! »

Voilà l’homme avec qui Galilée essayait de raisonner.

Il soupirait souvent en écrivant. Tant de gens étaient morts. Ses parents, Marina, Sarpi, Sagredo, Salviati, Cesarini et Cosme… Le monde de sa jeunesse et de ses années à Padoue semblait avoir disparu dans les ténèbres d’une époque révolue. Il vivait maintenant des temps plus troublés. Quand il était malade, la maisonnée avait l’impression que c’était le chagrin qui lui faisait garder le lit plutôt que les souffrances de la chair.

Pour se réconforter de deux de ces pertes, Galilée structura son nouveau traité comme une série de dialogues entre Filippo Salviati, Giovanfrancesco Sagredo et un troisième personnage, appelé Simplicio. Salviati exprimerait les idées que Galilée lui-même s’efforçait de défendre, même si Salviati faisait parfois référence à un « Académicien » qui était clairement, d’après le contexte, Galilée lui-même. Sagredo, l’homme dont Galilée avait fait le panégyrique, l’appelant « mon idole », était donc la voix d’un courtisan de l’époque, intelligent, curieux et à l’esprit ouvert. Un homme désireux de recevoir l’enseignement de Salviati. Cela reflétait on ne peut mieux ce qu’ils avaient été dans la vraie vie – non seulement les protecteurs de Galilée, mais des amis, des professeurs, des frères, comme les frères aînés qu’il n’avait jamais eus et qu’il aurait tellement aimé avoir. Tout le monde avait besoin de quelqu’un auprès de qui se vanter, quelqu’un qui aurait été ravi de vous entendre le faire et s’en serait montré fier ; tout le monde avait besoin, aussi, de têtes plus sages pour s’occuper de soi. Il écrivit, le cœur lourd et la gorge serrée :

Maintenant que la mort acerbe a privé Venise et Florence de ces deux grands luminaires dans le midi de leurs années, j’ai décidé de faire vivre leur célébrité sur ces pages, pour autant que mes pauvres facultés le permettront, en les présentant comme des interlocuteurs dans la présente dispute. Puissent ces deux grandes âmes, que mon cœur chérira à jamais, accepter ce monument public de mon amour éternel. Et puisse le souvenir de leur éloquence m’assister dans la délivrance à la postérité des réflexions promises.

Le personnage de Simplicio, quant à lui, était un simple d’esprit, comme le suggérait son nom – bien qu’il y ait eu un philosophe romain ainsi nommé, des siècles auparavant. Mais sa signification était évidente. Il incarnait tous les ennemis avec lesquels Galilée avait croisé le fer au fil des ans, toute cette foule dans son ensemble, non seulement ceux, nombreux, qui l’avaient dénoncé ouvertement, mais aussi tous les autres, encore plus nombreux, qui avaient parlé en privé, ou lors de conférences ou de sermons dans toute l’Italie. Les pauvres arguments de Simplicio illustreraient les erreurs logiques et les incompréhensions délibérées, les exagérations et les faux syllogismes, les incohérences, la stupidité bornée auxquels Galilée avait été confronté pendant toutes ces années. En écrivant, il riait souvent tout haut – non de son sourd « Huh, huh, huh » sincèrement amusé, mais en émettant l’aboiement solitaire qui signait son rire sarcastique.

Le livre était structuré en quatre jours de dialogue entre les trois hommes, qui se retrouvaient à Venise pour parler, au palais de Sagredo, cette arche rose où Galilée avait passé tant de nuits magnifiquement exaltantes. La discussion du premier jour portait sur ses propres découvertes astronomiques, y compris les nombreuses nouvelles observations de la Lune qu’il avait effectuées depuis la publication du Sidereus Nuncius. Au fil du texte, il plaçait des plaisanteries, des jeux de mots et d’étranges petites observations qui même pour lui étaient mystérieuses :

Les archives les plus anciennes nous apprennent sans doute possible que, au détroit de Gibraltar, Abila et Calpe se sont agrégées à des montagnes moins élevées qui tenaient l’océan à distance ; mais ces montagnes étant séparées par une cause inconnue, l’ouverture laissa entrer la mer, qui se déversa, formant la Méditerranée. Compte tenu de l’immensité de ce…

Oui, bien sûr ; mais cet événement s’était produit un million d’années auparavant et les « plus anciennes archives » dont il parlait n’existaient pas. Comment Galilée le savait-il ? Il n’en était pas complètement sûr lui-même. Ses vieux rêves revenaient le hanter ; leurs détails fluctuants lui apparaissaient, il lui arrivait même de rêver qu’il était à nouveau dans l’espace. Il savait avec certitude qu’il avait laissé là-bas une tâche inachevée, mais il était de moins en moins sûr de sa nature. Il savait qu’on avait fricoté avec son esprit, qu’on l’avait plus d’une fois dominé.

Aussi faisait-il demander à son Sagredo, alors qu’ils parlaient du télescope : Les nouvelles observations et découvertes effectuées avec cet admirable instrument ne cesseront-elles donc jamais ?

Et son Salviati répondait : Si ses progrès suivent le cours d’autres grandes inventions, on peut espérer qu’avec le temps d’autres choses, que nous ne pouvons même pas imaginer maintenant, seront vues.

En effet.

Plus tard, dans ce Premier Jour, il écrivit : Mais nous ne tenons plus le compte du passage du temps… la mémoire d’une personne se trouble tellement à cause d’une multitude de choses.

Tellement vrai.

Plus loin encore, il écrivit : Mais surpassant toutes les inventions stupéfiantes, quelle sublimité de l’esprit était donc la sienne pour rêver de trouver des moyens de communiquer ses pensées les plus profondes à autrui, alors qu’il s’en trouve éloigné par de puissants intervalles d’espace et de temps ! De s’adresser à ceux qui se trouvent en Inde ; de s’adresser à ceux qui ne sont pas encore nés et ne naîtront pas avant mille ou dix mille ans…

Quelle sublimité de l’esprit, en effet ! Si les gens savaient !

Il réécrivit ce passage de telle sorte qu’il paraisse se référer au langage et à l’écriture ; mais pour lui il faisait également allusion à quelque chose d’autrement plus immédiat et mystérieux. Parler avec des gens qui ne naîtraient pas avant mille ans…

Le Deuxième Jour de ses dialogues concernait le mouvement de la Terre – son évidence, et les raisons pour lesquelles il n’était pas immédiatement évident pour ceux qui se tenaient à sa surface mouvante. Cela exigea une description détaillée de certaines parties de ses études sur le mouvement, et Galilée ne put s’empêcher de faire dire à Salviati, à ce propos : Combien de propositions ai-je notées chez Aristote (toujours au sujet de sa science) qui sont non seulement erronées, mais si fausses que ce qui leur est diamétralement opposé est la vérité !