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Ha ! Mais Simplicio était un personnage aussi têtu dans le livre que dans le monde. Sagredo tentait de lui expliquer les concepts de mouvement relatif. De multiples façons. Il utilisait, par exemple, l’effet rétro sur des balles ; il proposait même une expérience astucieuse mettant en scène des carreaux d’arbalète décochés vers l’arrière ou l’avant d’une voiture en mouvement, pour voir si les carreaux parcouraient des distances plus ou moins longues lorsqu’ils étaient tirés dans le sens du mouvement de la voiture, ou dans le sens contraire. Il fit remarquer, presque gentiment, après l’échec d’une de ces leçons socratiques, que Simplicio ne libérait pas suffisamment son esprit de ses préjugés pour se livrer à une expérience compliquée. Rien de tout cela ne faisait la moindre différence pour Simplicio, et le deuxième jour arriva à sa fin sans qu’il fut illuminé par une nouvelle compréhension.

Le Troisième Jour consista en une discussion technique portant sur des problèmes astronomiques, que Galilée enrichit par de nombreuses petites lignes géométriques, pour expliquer plus clairement son propos sur le mouvement de la Terre. Cela comprenait certaines données de Tycho, ainsi qu’une discussion serrée sur tous les travaux que Galilée avait menés avec son télescope : la tentative de trouver des parallaxes, les phases de Vénus, les étranges déplacements de Mars, la difficulté de voir Mercure. Ce dialogue devait être le plus long des quatre, et inévitablement, à ce qu’il semblait, le moins distrayant.

Le Quatrième Jour était une révision de l’ancien traité de Galilée sur les marées, et de la façon dont elles prouvaient la rotation de la Terre. Cela signifiait que les cinquante dernières pages de son chef-d’œuvre étaient consacrées à une argumentation fallacieuse. Galilée en avait obscurément conscience, mais il écrivit quand même le chapitre, en suivant le plan qu’il avait établi des années auparavant – parce que, entre autres raisons, il lui semblait que sa compréhension jovienne de la cause des marées était trop insensée pour être vraie, et tout aussi impossible à décrire.

— Je n’aime pas ça, grommela-t-il un soir à Cartaphilus. J’ai de nouveau cette impression. De n’avoir fait que ce que j’ai toujours fait.

— Eh bien, changez les choses, maestro.

— Les changements aussi se sont déjà produits, grommela Galilée. Le destin change, pas nous.

Il plongeait sa plume dans l’encrier, et il continuait. C’était le livre de sa vie ; il devait le finir avec panache. Mais cela suffirait-il à amener Urbain VIII à partager son point de vue ?

À ce stade de son existence, Galilée s’était fait trois sortes d’ennemis. D’abord, il y avait les dominicains, les Chiens de Dieu, ces cani Domini qui, depuis le concile de Trente, se servaient de l’Inquisition pour écraser toutes les remises en cause de l’orthodoxie. Ensuite, il y avait les aristotéliciens séculiers, les professeurs, les philosophes et les vulgaires qui suivaient la philosophie des péripatéticiens. Enfin, alors qu’ils avaient soutenu Galilée lors de ses premiers voyages à Rome, il y avait maintenant les jésuites, qui s’étaient eux aussi retournés contre lui, peut-être à cause de son attaque contre Sarsi. Personne n’en était tout à fait sûr, mais ils lui étaient maintenant hostiles. Cela commençait à faire pas mal de monde. Son personnage, Simplicio, offenserait assurément des dizaines, voire des centaines de gens. C’était peut-être par ironie que Galilée faisait dire à Simplicio, à la fin du Deuxième Jour : Plus ça va, plus je suis troublé, à quoi Sagredo répondait : C’est le signe que les arguments commencent à changer votre façon de voir.

À moins que ce ne fût le signe que Galilée n’avait pas encore compris que les arguments ne faisaient jamais changer la façon de voir de qui que ce soit.

Un jour, il rentrait seul du couvent de San Matteo, lorsque Cremonini, sa mule, effrayée par un lapin surpris, fit un écart, faisant mordre la poussière à Galilée, qui n’avait rien vu venir. Trop meurtri pour remonter en selle, il fut obligé de rentrer chez lui en boitant.

— Nous sommes trop loin, déclara-t-il en arrivant. Il faut nous installer plus près de San Matteo.

Il l’avait déjà dit, et souvent, mais à présent il le pensait.

Ce qui, à Bellosguardo, ne fit plaisir à personne. Arcetri, où se trouvait San Matteo, était un village dans les collines, à l’ouest de la ville. Florence était moins facile d’accès à partir de là qu’à partir de Bellosguardo. Par ailleurs, Bellosguardo était une vraiment grande demeure ; les villas d’Arcetri seraient fatalement plus petites et n’exigeraient pas un personnel aussi important.

N’empêche, cela devint un nouveau projet pour Galilée. Le Dialogo était presque achevé, aussi pouvait-il se consacrer à cette affaire, quand il ne s’attachait à régler celle de la publication de son ouvrage. Et puis Maria Celeste était heureuse d’aider à l’organisation d’une chasse à la maison, à Arcetri. En vérité, elle excella même tellement à cet exercice, industrieuse et pleine de ressources comme elle l’était, que Galilée commença à espérer à haute voix qu’elle pourrait s’occuper aussi de la publication de son livre. Puis Vincenzio et sa douce femme Sestilia revinrent à Bellosguardo, et la quête de la nouvelle maison devint une activité commune, une sorte de sortie en famille, un plaisir partagé par tous.

Les choses auraient pu se passer tout aussi bien en ce qui concernait la publication du Dialogo, si Federico Cesi n’était pas mort. Encore un grand et jeune personnage, partisan de Galilée, mort dans la force de l’âge, bien avant son heure. C’était un schéma de malchance derrière lequel certains commençaient à voir la main de la providence, ou du diable, et à s’en inquiéter.

Cette fois, le désastre fut pire que tout ce que Galilée avait imaginé. Cesi était le seul de ses protecteurs disposant d’un pouvoir suffisant pour faire publier le Dialogo sans s’attirer d’ennuis. Avec son départ, son Académie des Lynx s’effondra immédiatement. Alors seulement il devint évident que cela avait été un club privé depuis le début.

Cesi disparu, Galilée allait devoir chercher un éditeur à Florence, ce qui impliquait d’y obtenir l’accord formel de la censure, aussi bien que celui du Père Monstre à Rome. Or, à Florence, la forte probabilité que la publication provoque des troubles politiques gênait les Médicis. Le jeune Ferdinand avait maintenant pleinement hérité de la couronne, et il était soucieux de consolider son pouvoir. La dernière chose qu’il voulait, c’était que le vieil astronome de la cour de son père leur attire les foudres de l’Inquisition. Il y avait donc des factions florentines à ajouter aux coteries romaines opposées à la publication. En vérité, depuis la disparition du seul parti qui avait été en sa faveur, seule une bande diffuse de Galiléens éparpillés un peu partout en Italie continuait à espérer son succès.

En 1629, la situation du livre était devenue tellement compliquée que Galilée décida que le moment était venu de faire un nouveau voyage à Rome, afin d’obtenir la permission de le publier. Il y alla en 1630, après moult dérangement et force dépenses, et contre la volonté des Médicis.

À Rome, tout semblait avoir encore changé, comme lors de ses précédents voyages. C’était comme si, à chaque fois qu’il s’y rendait, c’était la ville d’un univers légèrement différent.