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Urbain n’accepta qu’une seule rencontre, et cela seulement après un important effort diplomatique de la part de l’ambassadeur Niccolini, qui fit cette démarche de son propre chef, probablement parce qu’il appréciait Galilée.

Ce matin-là, Galilée se réveilla à l’ambassade que les Médicis avaient à Rome, soigneusement vêtu de ses plus beaux atours élimés, se rappelant toutes les fois où cela s’était déjà produit. Il fut emmené au Vatican dans une litière de l’ambassade, répétant mentalement ses arguments, et si intensément curieux de ce qu’il y trouverait qu’il ne vit rien des étroites ruelles et des larges strada de l’immense ville aux sept collines.

Urbain était d’un calme officiel. N’ayant pas été invité à se relever, Galilée resta à genoux et parla dans cette posture.

La carapace de pouvoir d’Urbain était maintenant renforcée par une couche de chair compacte. Il était plus volubile que précédemment. Il parla de son jardin, de sa famille florentine, de l’état médiocre des routes. Il fit clairement comprendre qu’il ne voulait pas que le sujet de l’astronomie fut abordé – pas encore, en tout cas. Il laissa dans le vague son intention de le voir jamais abordé. Galilée sentait ses genoux commencer à se fendre sous son poids alors qu’il effectuait sa part de la conversation ; de cette perspective, il voyait un homme différent. Ce n’était pas seulement que le visage de Barberini s’était épaissi, que sa mâchoire était devenue plus massive, ses petits yeux plus petits, sa peau plus pâle et plus rugueuse ; ce n’était pas seulement que son bouc était teint en brun, un brun qui ne correspondait pas tout à fait à celui de ses cheveux. Son regard tombait sur Galilée comme depuis une distance énorme, évidemment, mais aussi comme s’il savait sur lui des choses que, d’après lui, Galilée aurait dû savoir mais ignorait. Ce qui était bel et bien le cas, à cause de la dénonciation secrète d’Il Saggiatore. Des espions avaient récemment fait savoir qu’Urbain avait demandé qu’une enquête soit ouverte à son sujet, mais personne n’avait eu connaissance du résultat. Il y avait parfois des moments où le Vatican était comme une boîte noire sans couvercle, et c’était l’un de ceux-là.

Le silence sur ce sujet faisait paraître plausible qu’Urbain ait écarté la question, au moins pour le moment. Et les développements de la situation plus vaste, en Europe, étaient tels qu’ils mettaient bizarrement Galilée à l’abri d’Urbain. Traîner en justice pour hérésie son scientifique jusque-là préféré n’aiderait pas Urbain dans ses démêlés avec les Espagnols, mais serait plutôt pris par eux pour un signe de faiblesse, comme s’il leur offrait sa gorge à nu. Urbain n’avait vraiment pas envie de cela.

Son regard suggérait à présent qu’il n’avait pas oublié la dénonciation, qu’il savait pouvoir l’utiliser s’il le souhaitait. Mais Galilée n’en savait pas assez long pour déchiffrer ce regard. Il n’avait d’yeux que pour une chose et, sentant qu’un moment de calme venait sur eux, il sauta sur ce qu’il pensait être une occasion et demanda :

— Votre Sainteté, j’aimerais savoir si vous accepteriez de m’accorder votre opinion sur les systèmes du monde exposés dans mon livre, que j’ai continué à écrire et que je suis prêt à soumettre à l’approbation de Fra Riccardi…

Le front d’Urbain se plissa et son regard s’assombrit.

— Si notre Commissaire est prêt à l’approuver, pourquoi nous interrogeriez-vous ? Pensez-vous que nous désavouerions celui que nous avons nous-même appointé à la Congrégation du Saint-Office ?

— Pas du tout, Votre Sainteté. C’est juste que votre parole est un tout en soi, pour moi.

— Vous avez clairement dit dans votre livre que Dieu pouvait faire tout ce qui Lui plaisait, exact ?

— Tout à fait, Votre Sainteté. C’est le sujet du livre.

Au fond du jardin du Vatican, Cartaphilus trembla en entendant cela. Il était impossible de dire, à partir de l’expression de Galilée, s’il savait ou non qu’il mentait.

Pendant un long moment, Urbain le regarda attentivement lui aussi. Le vieil astronome agenouillé ressemblait à une barrique habillée, surmontée par une tête dressée, son visage rouge, barbu, ouvert et sincère. Finalement, le pape hocha la tête, un unique, profond, lent hochement de tête – une bénédiction en soi.

— Vous pouvez aller avec notre bénédiction, signor Galileo Galilei.

Ces paroles surprirent nombre de ceux qui les entendirent. Le son de la sentence planait dans l’air –, l’espoir lui-même parut relever Galilée, comme s’il était un homme beaucoup plus jeune que celui qui s’était agenouillé.

Francesco Niccolini mit à sa disposition une pièce de l’ambassade romaine de Ferdinand, afin que pendant les deux mois suivants Galilée fut à son aise lorsqu’il sortirait tous les jours dans le cadre de ses efforts pour aligner le reste des forces présentes à Rome comme Cesi l’aurait fait. Il avait reçu l’approbation privée d’Urbain, mais il était clair qu’il y avait encore des démarches diplomatiques à entreprendre pour assurer le projet. Or Galilée n’avait jamais été un grand diplomate. Il avait passé sa vie à flatter excessivement ses supérieurs tout en présumant en même temps en savoir beaucoup plus qu’eux. Ce n’était pas une bonne combinaison. Pis encore, il avait toujours la langue aussi acérée, aussi prompte à lancer une réplique sarcastique lorsque quelqu’un n’était pas d’accord avec lui. Ce ne fut donc pas un hasard si après cinq visites il s’était fait plus d’ennemis que d’amis à Rome. Et comme la rumeur du but de sa visite dans la capitale s’était répandue, ils étaient maintenant nombreux à vouloir le faire échouer.

Ils furent efficaces. Au bout des deux mois, il n’avait réussi qu’à s’assurer la permission partielle de Riccardi de publier, permission conditionnée à l’approbation du texte complet, qui ne serait obtenue qu’après révision de tous les passages considérés comme problématiques.

En vérité, compte tenu de la situation d’ensemble, il ne pouvait guère espérer plus. Les paroles d’Urbain étaient celles qu’il voulait le plus entendre, de toute façon.

Il retourna donc à Florence. Il commençait à détester ces voyages à Rome, même si, bien sûr, ils n’avaient été que des pique-niques de printemps en comparaison de celui qui restait à venir.

Pendant son absence, Maria Celeste avait trouvé à Arcetri une villa convenable, appelée Il Gioello, le Joyau. Le loyer n’était que de trente-cinq scudi par an – beaucoup moins que les cent que coûtait Bellosguardo, parce que c’était beaucoup plus petit, et situé dans un endroit beaucoup moins pratique d’accès. Galilée déclara que malgré la diminution de taille il conserverait tout son personnel, et tout le monde se réjouit. Ils quittèrent Bellosguardo, où ils avaient vécu pendant quatorze ans, sans un regard en arrière.

Galilée était particulièrement heureux de la nouvelle maison. De la fenêtre de sa chambre au deuxième étage, il dominait la pelouse et voyait le coin du couvent de San Matteo. Il pouvait s’y rendre tous les jours, ce qu’il faisait. Là, les règles de la maison s’étaient relâchées au point qu’il était libre d’entrer dans le hall central et d’aider les femmes à leurs travaux domestiques. Il faisait de la menuiserie, il réparait leur horloge. Il leur écrivait de petites pièces qu’elles jouaient, et même de la musique, qu’elles pouvaient chanter. Une fois, il entremêla toutes les mélodies de son père qu’il préférait en un chœur polyphonique, qui lui fit monter les larmes aux yeux. Il leur jouait du luth.

Maria Celeste était dans son propre paradis personnel. Arcangela, quant à elle, ne voulait toujours pas lui parler. En fait, elle avait complètement cessé de parler ; ainsi que de se laver et de se brosser les cheveux. On aurait dit une folle, ce qui était de circonstance ; elle était folle. Ils devaient l’empêcher d’aller dans la cave à vin, et même dans la cuisine. Maria Celeste lui donnait à manger à la cuillère. Sans cela, sa sœur serait morte de faim. Mais ils faisaient avec.