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Depuis l’Antiquité, on estimait le diamètre de la Lune à environ deux mille milles ; aussi disposait-il de suffisamment d’éléments pour mener à bien un simple calcul géométrique de la hauteur de ces montagnes lunaires. Il traça un cercle représentant la Lune, puis il dessina dessus un triangle dont un côté était le rayon à l’endroit du terminateur, un autre un rayon passant par le sommet de la montagne illuminée dans la zone obscure, et le troisième une ligne figurant la lumière du Soleil qui allait de la ligne du terminateur au sommet de la montagne. Les deux côtés qui se rencontraient sur le terminateur étant à angle droit, il pouvait en déduire leur longueur, basée sur le diamètre supposé, et donc, en appliquant le théorème de Pythagore, calculer la longueur de l’hypoténuse. En soustrayant cette hypoténuse du rayon de la Lune, on obtenait quatre milles, soit la hauteur de la montagne au-dessus de la surface au niveau du terminateur.

Mais sur Terre, écrivit-il, il n’existe pas une seule montagne qui atteigne seulement une hauteur perpendiculaire d’un mille.

Les montagnes de la Lune étaient plus hautes que les Alpes !

Une nuit, alors que la Lune était en son dernier quartier, il repéra un cratère parfaitement rond, juste au milieu du terminateur, et très près de l’équateur. Il le représenta un peu plus grand qu’il ne l’observait pour mettre en valeur la façon dont il apparaissait au regard, et combien il ressortait nettement de son environnement. Un bon dessin astronomique, décida-t-il, devait évoquer la vision que les spectateurs suivants chercheraient, plutôt que la représenter parfaitement à l’échelle, ce qui, dans la diminution du dessin, la rendrait simplement trop petite. Le fait d’attirer l’attention dessus était en soi une forme de grossissement.

Dessiner les constellations avec leur nouvelle foison d’étoiles compagnes était un problème très différent, plus simple à résoudre par certains côtés, car étant surtout un schéma, mais beaucoup plus difficile aussi dans la mesure où il n’avait aucune chance de représenter ce que la lunette offrait en réalité à la vue. Il modifia les dimensions bien au-delà de ce qu’il voyait, essayant de rendre les différences de luminosité, même si représenter quelque chose de blanc sur un fond noir par des dessins en noir sur blanc ne pouvait donner un résultat satisfaisant. Des traits blancs sur du noir, comme dans une gravure, auraient été préférables.

Il dessina à en avoir les doigts gelés. Au matin, il établit de bonnes copies de ses dessins, exagérant pour rendre les impressions plus fortes que jamais. Il fit des lavis à l’encre, très délicats, ainsi que des croquis plus schématiques destinés à servir de guide à un graveur, parce qu’il avait déjà en tête de faire un livre pour accompagner la lunette, tout comme un manuel d’instruction avait accompagné sa boussole militaire. Même si, dans ce cas précis, il ne s’agissait jamais que de voir les choses par soi-même. La Voie lactée, par exemple ; il voyait bien qu’elle était composée d’un grand nombre d’étoiles agglomérées. Une découverte vraiment stupéfiante, mais il n’y avait pas moyen de tout dessiner. Les gens devraient le voir de leurs propres yeux.

Alors que novembre avançait et que les nuits se faisaient plus froides, il n’en poursuivit pas moins, de plus en plus intensément, ce travail d’observation. Il avait toujours été insomniaque, mais il avait enfin quelque chose d’utile à faire pour occuper ces heures sans sommeil. Au lieu d’aller se coucher, il restait sur la terrasse, près de l’occhialino, à regarder dedans et à coucher des notes sur le papier tout en savourant le silence et la solitude de la ville assoupie. Il n’avait pas mesuré à quel point il aimait être seul. À l’aube, il écrivait ce qu’il avait observé, et puis il dormait, enroulé dans une couverture. C’est ainsi qu’il passa plus d’un clair matin froid, dans l’angle d’un mur ensoleillé, sous le grand L du cadran solaire de la maison.

Avec les journées de novembre, plus courtes, arrivèrent l’hiver et son cortège de nuages. Ces nuits-là, il lisait ou rattrapait son retard de sommeil, lorsqu’il y parvenait. Mais il lui arrivait souvent de se réveiller toutes les heures ou toutes les deux heures, le cerveau plein d’étoiles. Il allait alors observer le ciel. S’il était dégagé, il tisonnait les braises du feu de la cuisine, y ajoutait quelques brindilles, mettait un pot de vin épicé sur la grille et sortait installer la lunette, sentant dans son sang rugir ce tourbillon de poussière qu’il aimait tant. Il était bel et bien en quête, et c’était une quête comme il n’en avait jamais connu ! Quand la nuit était claire, rien ne pouvait l’empêcher d’observer. Si le travail de la journée devait en souffrir – et c’était le cas –, et bien, tant pis. Ces salauds de pregadi ne méritaient pas son travail, de toute façon.

Il avait ordonné de sortir l’un des établis sur la terrasse à côté du jardin, et de le placer sous un parasol, près d’un divan. Il avait une lanterne qui pouvait être assourdie, des carnets de travail, des encriers et des plumes ; et trois lunettes sur des trépieds, avec des puissances et des occlusions différentes. Enfin, des couvertures à jeter sur ses épaules. Mazzoleni et le cuisinier faisaient marcher la maisonnée le matin, lorsqu’il dormait, et mettaient de côté les provisions dont il aurait besoin la nuit. Ils étaient tous les deux du genre à se coucher avec les poules, et ils ne le voyaient travailler que s’il les y obligeait. Au bout d’un moment, il cessa de le faire. Il aimait être seul pendant les nuits froides, à regarder une chose, puis une autre.

La nuit du 7 janvier 1610, il était dehors à regarder les planètes. Ainsi qu’il l’écrivit dans une lettre qu’il préparait pour le jeune Antoine de Médicis : Les planètes semblent très rondes, comme de petites lunes pleines, d’une rondeur très nette et dépourvue de rayons. Mais les étoiles fixes n’ont pas le même aspect ; on les voit plutôt comme fulgurantes et tremblotantes, plus encore avec la lunette que sans, et leur rayonnement est tel que leur forme n’est pas révélée.

Aussi les planètes, qui étaient des petits disques aux bords nets, étaient-elles intéressantes. Or Jupiter se trouvait à présent à l’ouest, après le coucher du soleil. C’était la plus grande des planètes, dans la lorgnette – ce qui n’était nullement une surprise pour ceux qui étaient habitués à voir comment elle dominait le ciel nocturne lorsqu’elle était visible.

Galilée la centra dans l’oculaire, et s’aperçut que trois étoiles brillantes se trouvaient à sa gauche et à sa droite, alignées avec elle dans le plan de l’écliptique. Il consigna leur position sur une nouvelle page de sa lettre à Antoine, et les observa longuement. En fait, elles ne clignotaient pas comme des étoiles ; au contraire, leur lueur était constante. Elles étaient presque parfaitement alignées les unes avec les autres, et presque aussi brillantes que Jupiter, voire davantage, mais plus petites. Quant à Jupiter même, c’était un disque particulièrement net.

La nuit suivante, il regarda à nouveau Jupiter, et eut la surprise de voir que trois étoiles étaient encore là, mais cette fois toutes à l’ouest de la grande planète, alors que, la nuit précédente, deux d’entre elles étaient à l’est. Il se demanda si les éphémérides de la nuit étaient erronées.