— Je sais ce que devrait être son châtiment, dit Galilée.
Elle secoua la tête.
— Plus tard, dit-elle. Ce sont nos affaires. Vous devez vous occuper de votre propre procès.
Elle appuya sur un bouton de la boîte d’étain, à côté de lui.
17
Le Procès
Je veux ce que veut le Destin, dit Jupiter.
17.1
L’interdiction du Dialogo par le Saint-Office de l’Index, et l’ordre papal qui ordonnait à Galilée de se présenter devant le Saint-Office à Rome pour examen, au cours du mois d’octobre 1632, furent particulièrement traumatisants pour lui. Son livre avait été approuvé par toutes les autorités concernées, et son titre même annonçait son impartialité :
DIALOGUE
de
Galileo Galilei,
Mathématicien extraordinaire
d’obédience Lyncéenne
de l’Université de Pise
et Philosophe et Chef Mathématicien
du Sérénissime
GRAND-DUC DE TOSCANE,
Où, au cours de quatre jours, sont discutés
Les Deux
PRINCIPAUX SYSTÈMES DU MONDE,
PTOLÉMAÏQUE ET COPERNICIEN,
Proposant sans conclure
les raisons philosophiques et naturelles
Tant d’un côté que de l’autre.
Florence : Giovan Battista Landini MDCXXXII
Avec l’autorisation des autorités.
Il en eut connaissance par le biais d’une lettre envoyée par Cioli, le nouveau secrétaire du grand-duc, qu’un coursier apporta à Arcetri. Il vous est par la présente ordonné par la Sacrée Congrégation de l’Église de rendre compte de votre livre personnellement à Rome. Le livre lui-même est interdit. Aussi platement que cela. Personne ne voulait plus le connaître. Malgré tous les signes avertisseurs, les combats et les prémonitions, il n’arrivait pas à le croire.
S’il en avait su plus long sur ce qui se passait à Rome, il n’aurait pas été aussi surpris. L’ambassadeur du grand-duc auprès du pontife, qui était toujours Francesco Niccolini, lui-même profondément impliqué dans cette affaire, aurait pu tout lui expliquer. La situation transcendait de loin les spéculations philosophiques de Galilée, auxquelles il était seul à accorder une importance primordiale. Gustave-Adolphe, le roi de Suède, autrefois allié de Rome, faisait actuellement traverser à son armée protestante le sud de l’Allemagne, massacrant les catholiques sur son passage. Les Espagnols, furieux, estimaient qu’Urbain était à blâmer parce que le début de sa papauté avait été marqué par une trop grande tolérance à l’égard des protestants et de toutes sortes d’autres hétérodoxies. Maintenant, ils voulaient constater les suppressions rigoureuses qu’ils croyaient nécessaires pour maintenir la cohésion du catholicisme.
Les jésuites aussi étaient furieux ; leur ordre, largement répandu, était celui qui souffrait le plus de la déferlante protestante sur le nord de l’Europe. Pendant l’oraison annuelle du vendredi saint à la cathédrale de Saint-Pierre, le père Orazio Grassi lui-même, autrement dit Sarsi, le vieil adversaire de Galilée, prononça un sermon à glacer les sangs, mettant le pape en garde contre toute faiblesse future, sous les yeux d’Urbain lui-même, assis là, le visage rubicond, dans la loge papale. De mémoire d’homme, on n’avait jamais entendu adresser un tel reproche public à un pape en fonction, pour avoir négligé de s’occuper des guerres de l’Église. Le discours de Grassi plongea la Congrégation dans un tel silence qu’on entendait les pigeons – qu’il n’avait pas été possible d’éliminer totalement – roucouler dans leurs nids, en haut du dôme.
Ce fut un mauvais moment parmi bien d’autres. Urbain était un homme superstitieux, et le Vésuve était récemment entré en éruption, après cent trente années de calme absolu, recouvrant les environs de Naples d’une couverture de lave que les gens liaient aux armées protestantes. Un mauvais signe, indubitablement ; et les étoiles elles-mêmes étaient annonciatrices de catastrophe. L’interdiction faite par Urbain de publier des horoscopes prédisant sa mort était toujours en vigueur, mais des prédictions de désastres plus généraux ne pouvaient être interdites, et étaient monnaie courante.
Les convocations du jeudi auxquelles les cardinaux devaient se rendre devinrent de plus en plus tendues. Plusieurs furent le théâtre de récriminations amères entre Urbain et son principal ennemi, le formidablement corpulent cardinal Gasparo Borgia, qui faisait office d’ambassadeur du roi d’Espagne auprès du pontificat. Le pouvoir de l’Espagne était tel que les Borgia étaient presque aussi influents à Rome qu’Urbain, et il prenait la parole tous les jeudis en affichant son mépris pour Urbain, qu’il accusait de se montrer excessivement tolérant envers les activités hérétiques.
Ce chaudron bouillonnant avait fini par déborder, le 8 mars 1632. Très vite, le bruit courut que, lors d’une réunion des cardinaux, le Borgia était monté sur une petite estrade et, du haut de sa masse imposante ainsi surélevée, avait annoncé dans un rugissement qu’il allait lire un document officiel, « une question de la plus grande importance pour la religion et la foi ». Des copies du document avaient été préparées afin d’être distribuées par ses affidés, pour que chacun puisse lire, par la suite, ce qu’il avait dit et s’émerveiller de son audace. C’était une dénonciation de toutes les politiques d’Urbain, d’une violence stupéfiante, qui qualifiait notamment d’hérétique l’ancienne alliance d’Urbain avec Gustave-Adolphe.
Le visage virant aussitôt au rouge, parce qu’il avait la peau aussi sensible physiquement que moralement, Urbain tenta de réduire Borgia au silence en hurlant « Arrêtez ! », « Taisez-vous ! », et ainsi de suite. Mais le Borgia l’ignora et continua sa lecture, beuglant plus fort que jamais. L’effronterie de cette insubordination flagrante choqua tous ceux qui y assistèrent. Les partisans d’Urbain poussèrent les hauts cris et se précipitèrent en masse sur Borgia pour le faire descendre de l’estrade et l’obliger à se taire. Mais le Borgia s’y attendait, et autour de lui les cardinaux de sa faction – Ludovisi, Colonna, Spinola, Doria, Sandoval, Ubaldini, Ablornoz – se dressèrent comme autant de gardes du corps pour affronter la marée des hommes de Barberini, pendant que Borgia continuait sa dénonciation sur un ton audible malgré le raffut. Les gens racontèrent, encore stupéfaits, comment le cardinal Antonio Barberini, le frère d’Urbain, s’était alors jeté sur la foule des Espagnols avec un grand rugissement, les poings et les coudes volant, franchissant leur barrage, attrapant Borgia par sa robe et l’entraînant à bas de l’estrade. Tout à coup, tous les cardinaux se retrouvèrent en tas par terre, à se donner des coups de poing et de pied comme deux bandes d’ivrognes, Colonna flanquant des baffes à Antonio Barberini jusqu’à ce qu’il l’arrache au Borgia, qui se releva, déterminé à poursuivre sa proclamation. On vit Urbain faire un pas en direction de Borgia, le poing levé, avant de se rappeler sa position et d’appeler en hurlant ses gardes suisses.