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Lesquels, cuirasses d’acier et manches rouges, ramenèrent l’ordre avec leurs piques dressées, s’interposant entre Colonna, Antonio Barberini et les autres combattants plus âgés, tous hurlant comme des fous écumants, leurs robes rouges, leurs visages rouges abondamment couverts du sang des lèvres et des crânes fendus. Une scène rouge. Les hommes du Borgia distribuèrent les exemplaires imprimés de sa proclamation tout en quittant la salle en bloc. Urbain n’avait rien pu faire, sinon rester planté sur l’estrade et réaffirmer ses prérogatives. Mais, à ce stade, ses partisans, encore haletants, l’entendirent à peine.

C’était ce qu’on pouvait imaginer de plus proche d’une révolte ouverte contre un pape.

La nouvelle du pugilat se répandit rapidement. Niccolini, en écrivant à ce sujet à la cour de Florence, prédisait que le principal instrument de pression politique du parti espagnol sur la Curie consisterait en de violentes accusations d’hérésie. Urbain devrait faire preuve de prudence ; les extrémistes du côté espagnol, y compris le cardinal Ludovisi, menaçaient déjà d’entamer la procédure menant à la déposition papale. Urbain était incontestablement obligé d’adopter une position défensive. La mêlée dans le consistoire avait très clairement montré qu’il ne pouvait compter que sur sa propre famille pour le soutenir vraiment. Par bonheur, il avait déjà nommé des tas de Barberini au Vatican, et il pouvait contrer le parti espagnol de toutes sortes de façons. Son premier mouvement fut de renvoyer Ludovico Ludovisi de Rome.

Cela dit, le Borgia lui-même, en tant qu’ambassadeur du roi d’Espagne, et en tant que Borgia, tout simplement, était intouchable. La plupart des observateurs, à Rome, sentirent que tant qu’Urbain n’aurait pas trouvé le moyen de le vaincre, ou de lui survivre, il ne pourrait que jouer le jeu mené par ledit Borgia. Il devait rappeler qu’il était le chef en faisant croisade contre l’hérésie. Ce qui voulait dire, en un certain sens, que le Borgia et les Espagnols avaient déjà gagné. La haute culture barbérinienne avait fait long feu, la mirabile congiunture appartenait au passé.

La mise à l’Index du Dialogo de Galilée n’était donc qu’une partie de ce tournant dans le paysage politique italien. Une fois le livre sorti, presque tous les ennemis de Galilée vinrent se plaindre de sa publication auprès du Saint-Office, et la chasse fut ouverte. Riccardi était affolé, parce qu’il ne pouvait nier l’avoir approuvé. Il était déterminé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour apaiser Urbain sur la question. Et c’est ainsi qu’à la fin de l’été 1632 le livre fut interdit et Galilée sommé de venir à Rome s’expliquer.

Un ordre pareil était déjà un jugement, Galilée le savait pertinemment. Ce n’était pas comme un procès ordinaire ; la Congrégation du Saint-Office prononçait ses sentences par avance, en secret, et vous convoquait ensuite pour vous annoncer votre châtiment. Galilée passa donc l’automne 1632 à éviter, par tous les moyens auxquels il put songer, d’aller à Rome. Le grand-duc Ferdinand II et sa cour l’aidèrent au début, en tant qu’intermédiaires et avocats, parce qu’eux aussi avaient gros à perdre si leur philosophe et mathématicien de cour était jugé pour hérésie. Au nom de Galilée, ils demandèrent au pape s’il ne pouvait se soumettre à l’examen par questions écrites, depuis chez lui, à Arcetri, étant donné sa mauvaise santé.

Réponse de Rome : non.

Ils écrivirent pour demander s’il pourrait être interrogé par le bureau florentin de l’Inquisition.

Nouvelle réponse : non. Il devait se présenter à Rome.

Galilée s’alita et écrivit pour expliquer qu’à son âge avancé de soixante-dix ans (il en avait soixante-sept) sa santé précaire ne lui permettait pas de voyager.

Au bout d’un mois, un fonctionnaire florentin de l’Inquisition vint lui rendre visite pour voir à quel point il était vraiment malade. Galilée le reçut alité, en gémissant, agité et l’œil larmoyant. On aurait dit qu’il jouait la comédie, alors qu’en fait toute sa maisonnée l’avait déjà vu ainsi plusieurs centaines de fois. Il remit au fonctionnaire de l’Église une note que lui avaient rédigée ses trois docteurs, à lire et à transmettre à Rome :

Nous trouvons que son pouls s’interrompt tous les trois ou quatre battements. Le patient a de fréquentes attaques de vertige, de mélancolie hypocondriaque, de faiblesse digestive, d’insomnie et de douleurs fulgurantes de tout le corps. Nous avons aussi observé une grave hernie avec rupture du péritoine. Tous ces symptômes, à la moindre aggravation, pourraient mettre sa vie en danger.

Cette lettre, ainsi que le rapport du clerc, fut envoyée à Rome. Le pape les reçut avec rage et y fit répondre illico. Galilée viendrait à Rome de son plein gré, ou il y serait traîné enchaîné.

Du côté du pape, la température montait trop pour que le grand-duc Ferdinand y résiste. Il n’avait que vingt ans, et Urbain lui avait déjà pris le duché d’Urbino par la force, remplaçant l’héritier Médicis en titre par l’un de ses affidés. Ferdinand était intimidé, disait-on. Quelle qu’en soit la raison, il choisit de ne rien faire de plus pour défendre Galilée. En vérité, ce n’était pas le moment de s’opposer au pape. Ce n’était jamais le bon moment pour ce genre d’activité, bien entendu, mais ça l’était moins que jamais ; en tout cas, c’est ce que Cioli, le nouveau secrétaire de Ferdinand, et ses conseillers expliquèrent à Galilée, dans la cour d’Il Gioello, tout en lui assurant qu’il aurait tout le soutien du grand-duc, qu’ils allaient le transporter à Rome dans une belle litière, et qu’il y serait accueilli comme un invité du grand-duc, contrairement à certaines de ses précédentes visites, de sorte qu’il pourrait vivre là-bas dans le confort de la Villa Médicis, et ainsi de suite. Ce serait très bien. L’ambassadeur Francesco Niccolini était un fin diplomate, qui l’aiderait par tous les moyens à sa disposition. Il n’y avait pas moyen d’y couper, conclurent-ils. Il devait y aller.

À ce stade de la conversation, le visage de Galilée afficha un très curieux mélange de surprise, de consternation et d’une chose qui ressemblait à de la résignation. Il connaissait ce moment. Son jugement était venu.

Avant son départ pour Rome, Galilée alla rendre une dernière visite à Maria Celeste et à Arcangela. Arcangela ne voulut pas lui parler, évidemment, et regarda triomphalement les murs comme si elle avait prié pour qu’il passe en jugement et se réjouissait que ce moment arrive enfin. Galilée ne put avoir de bonne conversation avec Maria Celeste avant d’avoir fait escorter Arcangela hors de la pièce.

Alors ils s’assirent en se tenant par les mains dans la lumière du soleil qui tombait par la fenêtre. Maria Celeste survivait grâce à la foi, il le savait ; l’Église était tout pour elle, et elle vénérait son père en faisant de lui un saint dans son panthéon sacré. Et voilà qu’elle devait faire une croix sur tout cela à cause de ce terrible ordre du pape. Elle pleurait par petits sanglots réprimés, comme si elle était déchirée en deux mais essayait de le dissimuler par politesse. Le bruit de ses hoquets entrecoupés devait souvent revenir à Galilée au cours des mois sans sommeil à venir. Mais en cet instant il était déchiré par ses propres sentiments, ses propres peurs ; il se repliait sur lui-même et n’arrivait pas à lui accorder autant d’attention que d’habitude. Tout cet automne-là, il avait été calme, on aurait même pu dire serein. Cartaphilus savait que quelque chose d’extraordinaire lui était arrivé lors de sa dernière syncope, mais il n’en disait rien. Il n’y avait donc pas moyen de savoir si c’était la cause de cette attitude. Il semblait confiant, certain que les choses tourneraient bien. Maintenant, il avait l’air plus sombre. Il tapota la tête de Maria Celeste et partit pour Rome.