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Ce fut un rude voyage d’hiver, en ce mois de janvier 1633. C’était son sixième voyage à Rome, et cette fois encore tout était pareil, et tout était différent. Le monde était devenu sombre et plein de boue. La peste était partout, et une semi-quarantaine le retint pendant vingt jours à Acquapendente, où il ne vécut que de pain, de vin et d’œufs. Il n’était pas pressé d’arriver à Rome, mais il avait trop de temps pour penser, pour s’inquiéter, pour regretter. Comme il regrettait, alors, la marche cahotante des jours ordinaires.

Pendant ce temps-là, à Rome, Niccolini demandait audience au pape pour lui remettre la protestation du grand-duc concernant la farce que constituait la commission de clercs constituée pour juger le livre de Galilée. Le grand-duc ne pouvait guère aller plus loin dans sa protestation contre le jugement proprement dit, et bien qu’il ait peu de chances de réussir, Niccolini pouvait utiliser la réunion pour essayer de comprendre ce qui se cachait derrière l’annulation de l’approbation du livre de Galilée, et sa subite convocation à Rome. Il espérait qu’une meilleure compréhension du dossier l’aiderait à préparer la défense de Galilée.

La rencontre ne fut pas un succès ; de retour à la Villa Médicis, Niccolini en rédigea un compte rendu détaillé pour le jeune grand-duc et Cioli, son secrétaire. La réunion, écrivit-il, s’était déroulée… dans une atmosphère de grande fièvre. Moi aussi, je commence à croire, ainsi que votre Très Illustrissime Seigneurie l’exprime si bien, que le ciel est sur le point de s’abattre. Pendant que nous abordions le sujet délicat du Saint-Office, Sa Sainteté a explosé d’une vive colère et m’a soudain dit que notre Galilei avait osé pénétrer là où il n’aurait pas dû, dans les sujets les plus graves et les plus dangereux qui se puissent aborder à cette époque.

C’était étrange, parce que le pape avait personnellement, et plus d’une fois au cours des dernières années, assuré Galilée qu’il pouvait écrire sur le système copernicien du monde. Ainsi que Niccolini le lui avait d’ailleurs rappelé : J’ai répondu que le signor Galilei n’avait pas publié sans l’approbation de ses ministres, et que dans ce but j’avais moi-même obtenu et envoyé les préfaces à Florence. Il répondit, dans un même éclat de fureur, qu’il avait été trompé par Galileo et Ciampoli.

Et il avait continué, disait Niccolini en substance, en dressant la liste, avec des détails bien documentés, des différentes occasions où Galilée avait promis un texte acceptable et ne l’avait pas fourni, et en rappelant de quelle manière Ciampoli et Riccardi avaient eux aussi promis de veiller à ce qu’il en soit ainsi, tout cela s’étant traduit par le texte proprement dit, et par les mensonges qui avaient été proférés par toutes les personnes impliquées.

Niccolini avait été obligé de le croire sur parole, bien que pour lui cela n’eût aucun sens, compte tenu des nombreuses fois où Galilée avait assuré dans son livre que toutes ses théories n’étaient qu’ex suppositione. Mais Niccolini n’était pas au courant de la dénonciation anonyme qui accusait Galilée de nier la doctrine de la transsubstantiation. À cause de cela, il continuait à mettre en avant l’affaire de Copernic comme étant la cause ostensible de l’interdiction et de l’arrestation.

J’ai interjeté que je savais que Sa Sainteté avait réuni une Commission dans le but d’enquêter sur le livre du signor Galileo et, parce qu’elle pouvait comporter des membres qui détestaient le signor Galilei (ce qui est le cas), j’ai humblement prié Sa Sainteté de consentir à lui donner l’occasion de se justifier. À quoi Sa Sainteté a répondu qu’en ces questions du Saint-Office la procédure consistait simplement à prononcer la censure puis à appeler le défenseur à se rétracter.

Niccolini n’en avait pas moins persisté à défendre Galilée :

« Ne semble-t-il pas à Votre Sainteté que Galilée devrait connaître à l’avance les problèmes et les objections qui ont entraîné la censure, et ce qui déplaît au Saint-Office ? »

Urbain, le visage rubicond, avait violemment rétorqué :

« Nous répondons que le Saint-Office ne fait pas ces choses et ne procède pas de la sorte, que ces éléments ne sont jamais fournis en avance à qui que ce soit. Telle n’est pas la coutume. D’ailleurs, il sait très bien où résident les problèmes, s’il veut les connaître, puisque nous les avons discutés avec lui et qu’il les a entendus de nous. »

Niccolini s’était battu, pied à pied :

« Je vous implore de considérer que le livre est dédié au grand-duc de Toscane… »

À quoi Urbain avait répondu :

« Nous avons fait interdire des œuvres à nous-même dédiées ! Dans ces questions, qui impliquent de grands dommages causés à la religion, en vérité les pires jamais conçus, Sa Grandeur le grand-duc devrait aussi contribuer à les empêcher, étant un prince chrétien ! Il devrait prendre garde à ne pas s’impliquer, parce qu’il n’en sortirait pas de manière honorable. »

Niccolini :

« Je suis sûr que je recevrai à nouveau l’ordre de déranger Votre Sainteté, et je le ferai, mais je ne crois pas que Votre Sainteté puisse entériner l’interdiction du livre préalablement accepté sans entendre au moins d’abord le signor Galilei… »

Urbain, sur un ton lugubre :

« C’est le moindre mal qui puisse lui être fait. Il devrait prendre soin de ne pas être convoqué par le Saint-Office. Nous avons constitué une commission de théologiens et d’autres personnes versées en diverses sciences qui soupèsent tous les détails, mot à mot, puisqu’il s’agit là du sujet le plus pervers qui puisse être abordé. Écrivez à votre prince pour dire que la doctrine en question est des plus perverses, et que Sa Grandeur devrait donc se calmer. Et nous vous imposons maintenant de savoir qu’il s’agit là d’informations secrètes que nous vous révélons. Vous êtes autorisé à les partager avec votre prince, mais il doit lui aussi les garder secrètes. Nous avons fait usage de toutes les civilités envers le signor Galilei, nous lui avons expliqué ce que nous savons être vrai, et nous n’avons pas envoyé l’affaire à la Congrégation de la Sainte Inquisition, comme cela aurait été normal, mais plutôt à une commission spéciale nouvellement créée. Nous avons employé envers Galileo de meilleures manières qu’il n’en a usé avec nous, parce que nous avons été trompé ! »

J’ai donc eu une réunion désagréable, conclut Niccolini avec un frisson, ayant couché par écrit l’intégralité de la conversation, et je sens que le pape n’aurait pas pu être plus mal disposé envers notre pauvre signor Galilei. Je crois qu’il est nécessaire d’aborder cette affaire sans violence, et de négocier avec les ministres et avec le seigneur cardinal Barberini plutôt qu’avec le pape lui-même, parce que quand Sa Sainteté a quelque chose dans la tête, c’est la fin de l’histoire, surtout si on s’oppose à elle, si on la menace ou si on la défie, car alors elle se durcit et ne témoigne plus de respect à quiconque. Le mieux est de temporiser et d’essayer de l’ébranler par une diplomatie insistante, habile et calme.