Ce que Niccolini avait fait, pendant le restant de cet automne et de l’hiver. De Riccardi, il reçut des assurances que tout irait probablement bien, mais également une mise en garde, dont Niccolini rendit compte à ses supérieurs :
Cela étant, il dit surtout, avec la confidentialité et le secret habituels, qu’ils ont découvert dans les dossiers du Saint-Office une chose de taille, à elle seule, à ruiner complètement le signor Galilei.
C’était probablement l’enregistrement fait par Seghizzi de l’interdiction prononcée par Bellarmino en 1616, comme Riccardi l’expliqua finalement à Niccolini. Le Vatican avait sorti la carte cachée dans sa manche.
Puis certains espions ajoutèrent à cette information que la dénonciation anonyme d’Il Saggiatore faite en 1624 avait aussi été localisée. Galilée était donc attaqué sur deux fronts, dont un seul était pris en charge par les schémas défensifs de Sarpi.
Les propres sources de Niccolini lui parlaient seulement d’une chose mystérieuse, sans autre précision, et lors d’une audience subséquente avec le pape il confirma le soupçon qu’il avait exprimé auprès du grand-duc et de Cioli, à savoir qu’il se tramait quelque chose de bizarre, qu’ils ne comprenaient pas. Niccolini rapporta que le pape, lors de cette audience, lui avait demandé d’avertir le grand-duc de ne pas laisser le signor Galilei répandre des opinions perturbatrices et dangereuses sous le prétexte de diriger une certaine école pour la jeunesse, parce qu’il avait « entendu quelque chose » (quoi, je l’ignore).
Des forces tournoyaient autour de Rome, et elles convergeaient vers ce procès.
La Villa Médicis était plus ou moins comme dix-huit ans auparavant : un grand bâtiment blanc, massif, entouré par de vastes jardins ornementés, pleins de vieilles statues romaines, qui fondaient lentement sur leurs socles de marbre lisse. L’ambassadeur Francesco Niccolini reçut Galilée avec la plus grande sollicitude, ce qui formait un contraste marqué avec l’accueil auquel il avait eu droit lors de ses visites précédentes. Dans le passé, il avait été de plus en plus mal accueilli à chaque fois. Un endroit de rêve ; et pourtant, cette fois surtout, un cauchemar. Mais dans ce cauchemar – chose on ne peut plus incongrue, bienvenue – émergeait ce visage amical et généreux.
— Je suis là pour vous aider par tous les moyens à ma disposition, lui dit Niccolini.
Et Galilée lut sur son visage que c’était vrai.
— D’où viennent des gens aussi bons ? demanda Galilée à Cartaphilus cet après-midi-là, alors que le vieux serviteur défaisait ses bagages.
Leurs chambres étaient magnifiques : hautes de plafond, dotées de fenêtres ouvrant à l’est.
— Les Niccolini ont toujours représenté un pouvoir à Florence, dit platement Cartaphilus depuis le grand placard où il accrochait les chemises de Galilée.
Galilée souffla grossièrement entre ses lèvres.
— Ce n’est pas un Niccolini ordinaire.
Ordinaire ou non, c’était un hôte généreux et un bon avocat. Il organisa rencontre sur rencontre avec des cardinaux importants et participa à de nombreuses réunions. Il arrondissait tous les angles, et il demanda encore une audience à Urbain lui-même, pour garantir si possible un traitement doux et rapide au vieil astronome, insistant sur le poste officiel de Galilée à la cour de Toscane, et sur son âge avancé.
Pourtant, comme Niccolini le décrivait dans sa lettre à Cioli, le pape resta insensible à ses demandes.
Il m’a répondu que le signor Galilei serait examiné conformément à la procédure, mais qu’il y a un argument auquel personne n’a jamais pu répliquer, et le voici : Dieu est omnipotent et peut tout faire ; et puisqu’il est omnipotent, pourquoi voulons-nous Le lier ? J’ai dit que je n’étais pas compétent pour aborder ces sujets, mais que j’avais entendu le signor Galilei lui-même dire que, premièrement, il ne tenait pas pour vraie l’idée que la Terre était en mouvement, et ensuite que puisque Dieu pouvait faire le monde d’un nombre incalculable de façons on ne pouvait pas nier, après tout, qu’il aurait pu le faire de cette façon. Cela dit, le pape s’est fâché à ce sujet, et m’a dit que nul ne devait imposer la nécessité au Dieu béni. Voyant qu’il perdait son calme, je n’ai pas voulu continuer à discuter de ce que je ne comprends pas, au risque de l’indisposer au détriment du signor Galilei. J’ai donc dit que, en gros, Galilée était là pour obéir et pour rétracter tout ce pour quoi il pourrait être blâmé concernant la religion ; et puis, afin de ne pas éveiller le soupçon que je pourrais moi aussi offenser le Saint-Office, j’ai changé de sujet.
Avant la fin de l’audience papale, Niccolini demanda que Galilée fût autorisé à demeurer à la Villa Médicis y compris durant son procès, mais le pape refusa d’accéder à sa requête, disant qu’on lui donnerait de bons appartements au Saint-Office, à l’intérieur du Vatican.
Lorsque je suis rentré, je n’ai pas parlé à Galilée du projet de l’installer au Saint-Office pendant le procès parce que j’étais sûr que cela le perturberait grandement et qu’il s’agiterait jusqu’à ce moment, d’autant qu’on ne sait pas encore quand ils le réclameront.
Je n’aime pas l’attitude de Sa Sainteté, qui ne s’est pas du tout laissé amadouer.
Galilée continua donc à mariner dans la Villa Médicis pendant plus de deux mois. Il n’y avait rien à faire, que rester assis dans les jardins tirés au cordeau et regarder les ombres bouger sur les cadrans solaires, penser, et endurer. Les jours succédaient aux jours, tous pareils.
Le 9 avril 1633, son vieil étudiant, le cardinal Francesco Barberini, apparut à la Villa Médicis, rompant le long silence. Il avertit Niccolini que le procès n’allait pas tarder à commencer, et que Galilée recevrait effectivement l’ordre de demeurer au Saint-Office pendant sa durée.
Cependant, écrivit Niccolini à Cioli, je n’ai pu cacher ni la mauvaise santé de ce bon vieil homme, qui avait gémi et hurlé pendant deux nuits entières à cause de ses douleurs arthritiques, ni son âge avancé, ni les souffrances qu’il connaîtrait en conséquence.
Niccolini insista donc auprès d’Urbain.
Ce matin, j’en ai parlé à Sa Sainteté, qui m’a dit regretter que le signor Galilei se soit trouvé impliqué dans cette affaire, qu’elle considère comme très grave et de grandes conséquences pour la religion.
Néanmoins, le signor Galilei essaie de défendre ses opinions avec beaucoup de force ; mais je l’ai exhorté, dans l’intérêt d’une rapide résolution, à ne pas prendre la peine de les affirmer et à se soumettre à ce qu’on veut l’entendre maintenir ou croire sur n’importe quel détail du mouvement de la Terre. Il était extrêmement désespéré par cela, et depuis hier il a l’air tellement déprimé que j’ai, en ce qui me concerne, les plus grandes craintes pour sa vie.
Toute la maisonnée l’aime beaucoup et se sent désolée pour lui à un point indicible.
Les espions et les colporteurs de rumeurs avaient beau répandre quantité de ragots pour expliquer la situation, ce qui se tramait au Vatican, et pourquoi, n’était pas encore clair pour les membres du camp de Galilée. Mais, qu’ils le comprennent ou non, le jour arriva ; et le procès commença.
Le 12 avril 1633, à dix heures du matin, Galilée fut escorté au Vatican en passant par l’arche des Cloches, jusqu’au palais du Saint-Office, un bâtiment coiffé d’un dôme sur le côté sud de la cathédrale Saint-Pierre. Des gardes suisses menèrent l’accusé et le petit contingent d’inquisiteurs le long des couloirs jusqu’à une petite pièce, aux murs de plâtre blanc uniquement ornés d’un grand crucifix. Un énorme bureau occupait le centre de la pièce ; les inquisiteurs se tenaient debout derrière. L’accusé était devant, et une nonne dominicaine, faisant office de scribe, était assise devant une grande écritoire sur le côté. Des serviteurs montaient la garde dans le couloir, silencieux et discrets.