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Le chef inquisiteur était l’un des cardinaux, Vincenzo Maculano da Firenzuola, un dominicain fluet, à peu près de la même taille que Galilée. Sa vie ascétique avait tellement ridé la peau de son visage et enfoncé ses yeux dans leurs orbites qu’il avait l’air presque aussi vieux que le vieil astronome, alors qu’il n’avait que quarante-cinq ans. Il avait le nez épaté, une petite bouche.

Lorsque le procès commença, il avait le regard acéré, mais sa bouche avait un pli détendu et même amical.

— Il est temps de faire une déposition, dit-il gentiment.

Cité à comparaître, s’est présenté personnellement à Rome au palais du Saint-Office, aux quartiers habituels du Révérend père commissaire, en présence du Révérend père Fra Vincenzo Maculano de Fiorenzuola, commissaire général, assisté par monseigneur Carolo Sinceri, procurateur du Saint-Office, etc.

Galilée, fils du défunt Vincenzio Galilei, Florentin, âgé de soixante-dix ans, requis sous serment de dire la vérité, a été questionné en ces termes par les pères présents :

Question : Par quels moyens et depuis combien de temps est-il arrivé à Rome ?

Réponse : Je suis arrivé à Rome le premier dimanche de Carême, et j’ai voyagé en litière.

Les questions du cardinal Maculano furent posées, et enregistrées par la nonne, en latin, alors que les réponses de Galilée furent faites et enregistrées en italien. Dès les premiers mots en toscan vernaculaire de Galilée, Maculano leva les yeux du bureau, surpris ;mais après un instant d’hésitation il n’interrompit pas la réponse et n’exigea pas que Galilée fournisse ses réponses en latin. Il se contenta de poser sa question suivante, toujours en latin :

— Êtes-vous venu à Rome de votre plein gré ou parce que vous y avez été convoqué, et, si quelqu’un vous a ordonné de vous y rendre, par qui cet ordre vous a-t-il été donné ?

Galilée répondit aussi sérieusement que si c’était le nœud de l’affaire :

— À Florence, le père inquisiteur m’a ordonné de me rendre à Rome pour me présenter devant le Saint-Office.

— Savez-vous ou devinez-vous pourquoi vous avez reçu cet ordre ?

Galilée répondit :

— J’imagine qu’on m’a ordonné de me présenter devant le Saint-Office pour que je rende compte de mon livre récemment imprimé ;et je suppose que c’est pour cette même raison que l’imprimeur et moi-même nous étions vu interdire de laisser paraître ledit livre quelques jours avant que je sois convoqué à Rome, le père inquisiteur ayant également prescrit à mon imprimeur de faire parvenir le manuscrit original de ce livre au Saint-Office de Rome.

À cela, Maculano hocha la tête.

— Veuillez donc expliquer ce qui, dans ce livre, pourrait avoir incité les autorités à vous ordonner de vous rendre à Rome.

— C’est un livre écrit sous la forme d’un dialogue, et il traite de la constitution du monde, ou plutôt des deux grands systèmes, c’est-à-dire des arrangements des Cieux et de leurs éléments.

— Si on vous montrait ledit livre, le reconnaîtriez-vous ?

— Je l’espère, répondit Galilée. J’espère que je reconnaîtrais le livre si on me le montrait.

Maculano lui jeta un regard d’acier. Était-ce un sarcasme ? Une pauvre tentative de plaisanterie ? Le ton plat et l’expression innocente de l’accusé ne permettaient aucune interprétation. Il était concentré, précis ; il était clair que l’affaire était importante pour lui, et il y avait de quoi. Son regard était rivé sur le visage de Maculano. Si quelque chose en lui se débattait pour retenir des répliques percutantes ou des rebuffades sarcastiques, il sut garder celles-ci par-devers lui, et elles ne s’échappaient peut-être que par bribes rapides, incontrôlables, formant des déclarations incongrues qui étaient les seules échardes restant d’une habitude de toute une vie passée à embrocher ses adversaires lors des débats.

Cet adversaire était trop dangereux pour être touché. Maculano laissa passer encore quelques instants. Appréciait-il l’ironie de Galilée, ou l’avertissait-il que ce n’était pas le moment de faire l’idiot ? Il était tout aussi impossible à Galilée de dire ce que pensait Maculano que pour Maculano de déterminer ce que Galilée avait voulu dire. Ils se regardaient, impassibles. Tout à coup, ceux d’entre nous qui l’observaient nous rapportèrent à quoi la partie allait ressembler ; à une rhétorique pareille à une partie d’échecs, mais avec un exécuteur debout derrière l’homme qui jouait avec les noirs. Celui-ci était l’un des savants les plus intelligents qui verraient jamais le jour, mais les échecs n’étaient pas une science ; et ce n’était pas exactement une partie d’échecs.

Et qui était l’homme qui jouait avec les blancs ? Qui était Maculano de Fiorenzuola ? Un dominicain de Pavie, grand et émacié, un fonctionnaire du Saint-Office, une médiocrité que personne n’avait remarquée jusqu’alors. Une fois de plus, un nouveau joueur sorti de l’ombre venait battre en brèche l’idée que le nombre des protagonistes de la pièce était fixé d’avance, ou que les participants le connaissaient parfaitement. Ou que le nombre en était fini.

On lui montre alors un livre, imprimé à Florence en 1632, qui s’intitule Dialogo di Galileo Galilei, Linceo, etc., qui examine les deux systèmes du monde, et après l’avoir regardé et examiné, il répond :

— Je connais très bien ce livre. C’est un de ceux imprimés à Florence, et je le reconnais comme mien, et composé par moi.

Cela fut dit sans aucune inflexion, mais l’inspection du livre avait pris un certain temps, comme pour constituer un pendant au temps que Maculano avait pris, et peut-être aussi pour renvoyer à la figure même de Maculano l’avertissement silencieux qu’il avait lancé.

Voyant cela, Maculano attendit encore plus longtemps qu’il ne semblait nécessaire. Finalement, il demanda, avec une pointe de délibération ou d’emphase, comme pour avertir Galilée :

— Reconnaissez-vous pareillement chacun des mots contenus dans ledit livre comme les vôtres ?

Cette fois, Galilée répondit rapidement, presque impatiemment :

— Je connais ce livre qu’on me présente, car c’est l’un de ceux imprimés à Florence, et je reconnais avoir écrit tout ce qu’il contient.

— Où et quand avez-vous composé ledit livre, et pendant combien de temps y avez-vous travaillé ?

— Pour ce qui est du lieu, répondit Galilée, je l’ai conçu à Florence il y a dix ou douze ans de cela, mais cette tâche ne m’a occupé que durant sept ou huit ans environ, et pas en permanence.

— Êtes-vous venu à Rome une autre fois, en particulier en l’an 1616, et à quelle occasion ?

— Je suis bien venu à Rome en 1616, confirma Galilée comme s’il répondait à une question en bonne et due forme.

Il s’était agi d’une visite très célèbre. Il fit aussi la liste de tous ses voyages suivants à Rome, expliquant que le plus récent était destiné à obtenir en personne la permission de publier le Dialogo. Il poursuivit en expliquant que la visite de 1616 avait été faite de son plein gré :